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Des Grandes Écoles à la Grande Guerre : Polytechniciens sous la mitraille - EchoЯadar

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1 – Le sacrifice de Younes Résal

55 ème d’Artillerie, 5 août 1914, le sous-lieutenant Younes Résal à sa mère, Julie :

« Ainsi, voilà donc la guerre déclarée, tout est déclenché !

Pour ma part sois sans inquiétude jusqu’à nouvel ordre, car je ne verrai pas de casques à pointe, à mon grand regret, avant quelques jours. Je suis à la 22ème batterie de renforcement du 55ème d’Artillerie : nous sommes donc faits pour remplacer ceux qui nous précèdent, ou dans le cas où le territoire serait envahi. Puissions-nous être à l’abri d’une pareille chose ! Puissions-nous quand même faire du bon ouvrage !

J’ai eu beaucoup à faire, et c’est pourquoi je ne vous ai pas écrit hier. Vous quittant samedi à La Ferté j’étais à 22h à Paris, où je dus aller à l’ X à pied avec ma valise : pas de tramway, métro inabordable, pas de taxis. A l’école, j’apprends mon envoi à Orange, départ à 8h30. Nuit très agitée, mes camarades partant pour l’Est immédiatement, venant causer….etc. A 6h30, j’ai été dire au revoir à mon oncle Jean et tante Juliette.

Partis à 8h avec quatre camarades, nous sommes arrivés à Orange à 1h du matin, lundi. Voyage sans anicroche mais lent. Partout un esprit extraordinaire qui, espérons-le, se maintiendra. A Orange, pas moyen de trouver un lit ; j’ai donc dormi dans la cour de l’hôtel, la tête sur une botte d’herbe.

Nous avons ici à former entièrement cette batterie de réserve. Aussi ne partons-nous que dimanche prochain 9 août, et je te réponds que nous n’avons pas de temps à perdre. Nous sommes désignés pour aller à Cannes, surveiller la frontière italienne ; mais j’espère que l’Italie continuera à se tenir tranquille, ce qui nous permettra de monter au Nord.

Et vous, que devenez-vous ? Envoyez-moi de vos nouvelles, je les attends avec impatience. Et Salem…. où est-il ? et Paul…., que fait-il ? Donnez-moi bien de leurs nouvelles.

Il est impossible de savoir quoi que ce soit. Les journaux ne donnent que des fausses nouvelles, et les dépêches officielles ne disent à peu près rien.»

[caption id="attachment_42" align="aligncenter" width="470"]Younes Resal X Younes Résal, 1914[/caption]    

Né en 1891, Younes Résal entre à l’École Polytechnique en 1912. Deux années plus tard, il est élève ingénieur à l’école de Génie Maritime. Mobilisé le 2 août 1914, il est affecté et sert comme sous-lieutenant au 55 ème régiment d’artillerie. Vite remarqué pour son courage et sa fougue au combat, il témoigne d’un engagement total et d’un patriotisme qui s’exprime sous la mitraille.

« Le Commandant de Batterie signale :

La conduite du Sous-Lieutenant RESAL qui alla sous le feu des tranchées ennemies prendre les renseignements sur les positions ennemies.

Sur la 1ère ligne d’infanterie, le cheval du Sous-Lieutenant a été légèrement blessé.

Signé : Lieutenant VAGNEUR »

Son combat est de courte de durée puisque Younes Résal meurt pour la France le 8 septembre 1914 à Issoncourt au sud de Verdun, lors d’une offensive allemande nocturne, avec une dizaine de ses camarades officiers. Tous ont défendu leurs pièces d’artillerie jusqu’à la mort. Younes est retrouvé le lendemain, une carabine à la main, blessé mortellement à la tête. Ses parents n’apprendront son décès que trois semaines plus tard. Son frère Salem est lui aussi sur le front.

Younes Résal fait partie des 260 Polytechniciens tombés pour la France durant la période 1914-1918, soit 17,46 % de l’effectif des promotions réunies.

2 – Quelques chiffres

Le tableau suivant reprend l’effectif par promotion des officiers Polytechniciens morts pour la France. On notera qu’il n’existe pas de promotion 1915, le concours ayant été suspendu durant l’année.

Polytechniciens morts pour la France 1914-1918

Promotion

Nombre de morts pour la France

Pourcentage de l’effectif de promotion

1911

55

25,00%

1912

46

19,91%

1913

64

23,70%

1914

82

19,61%

1916

8

11,42%

1917

3

2,30%

1918

2

1,33%

D’une façon générale, la guerre de 1914-1918 a été « socialement sélective » . Les enfants de la bourgeoisie et des milieux favorisés ont été plus touchés par les pertes que ceux issus des autres milieux. Ainsi, les écoles d’officiers de Saint-Cyr, l’École Polytechnique et l’École Normale Supérieure ont surcontribué à l’effort de guerre. Le niveau des pertes dans le rang des officiers est triple de celui de la troupe. 70 % des Polytechniciens furent répartis dans l’artillerie et 30 % dans le génie à l’exception de la promotion 1913 qui fut totalement affectée dans l’artillerie de campagne.

Près de 10% de l’ensemble des élèves de l’X mobilisés servirent en tant que pilotes ou observateurs au sein des premières unités d’aéronautique militaire. Les avions, peu nombreux, légers et rudimentaires furent utilisés pour l’observation puis pour le réglage des tirs d’artillerie. Les accidents étaient fréquents et l’esprit chevaleresque prédominait.

Le 2 août 1914, jour de mobilisation, deux promotions résidaient à l’École : les aspirants de la promotion 1911 terminaient leurs deux années d’étude après avoir effectué un service militaire.

Ce groupe constituait la première division. La seconde division rassemblait les aspirants de la promotion 1912 qui eux aussi avaient fait leur service. C’est avec une grande confiance et un certain enthousiasme que les élèves accueillent la déclaration de guerre. L’ École, dans son ensemble, y voit l’heure de la revanche et la possibilité de restituer à la nation la confiance qu’elle a toujours su lui témoigner. Le patriotisme est à son paroxysme et il ne laisse aucun doute sur la rapidité et l’issue de la confrontation.

3 – L’ École durant la guerre

Dès le 2 août 1914, l’ École se vide. Le concours 1914, interrompu après la phase des oraux à Paris

est validé par arrêté ministériel. Ce dernier nomme les 228 admissibles ayant passé les oraux et ayant obtenu une moyenne supérieure à 13. Les admis de 1914 sont immédiatement affectés dans l’artillerie de campagne en tant que seconds canonniers conducteurs. Ces élèves sont promus sous-lieutenants en janvier 1915. Le général Cornille, commandant l’ École, et ses officiers rejoignent les unités combattantes. Un ancien Polytechnicien, chef d’escadron retraité, est rappelé et nommé commandant par intérim d’une école vide. Dès le 4 août 1914, les bâtiments de l’X sont réquisitionnés pour y installer une annexe d’hôpital. A partir de mai 1917, cet hôpital, baptisé VG3, fonctionne comme une structure d’évacuation et soigne de nombreux blessés et gazés (400 lits pour 10 123 blessés durant les quatre années du conflit ). L’hôpital fermera définitivement ses portes le 1er janvier 1919. En 1915, un bureau technique du génie s’installe dans les laboratoires de l’ École pour y développer un atelier de périscopes dirigé par la capitaine Carvallo, Directeur des études de l’X depuis 1900. Le périscope était en effet devenu un outil indispensable pour l’observation depuis la tranchée… L’année 1915 se déroule sans organiser le concours X1915. Les pertes importantes de Polytechniciens sur le front obligent à rouvrir le concours en 1916 pour une promotion réduite à 70 élèves. Ceux-ci furent immédiatement affectés en école d’application de l’artillerie (Fontainebleau) et du génie (Angers). Le concours 1917 intégra 130 nouveaux polytechniciens et 150 pour le concours 1918. Certains élèves des promotions antérieures, blessés au combat, réintégrèrent les rangs de promotions 1916 et 1917.

4 – Gloire et honneur, de retour à l’ École

La grande rentrée de l’École Polytechnique intervient le 15 mars 1919. C’est certainement la plus glorieuse de toute son histoire compte-tenu du lourd tribu payé tout au long du conflit.

Sept promotions de 1912 à 1919 sont présentes en ce jour historique. Le 16 avril 1919, le Président Poincaré et le Maréchal Joffre passent en revue l’ensemble des promotions.

Le discours du Président rend gloire et honneur au sacrifice polytechnicien :

«  Où étaient les enfants qui, en 1914, partaient pour la frontière ? Ceux qui se présentaient devant lui étaient 130 capitaines, 630 lieutenants et sous-lieutenants, et ils portaient 46 croix de la Légion d’Honneur, 1650 palmes ou étoiles, 400 chevrons de blessures. C’étaient des hommes qui s’étaient longuement accoutumés à la fréquentation du danger et qui avaient vécu, en moins de cinq ans, au contact de réalités épouvantables, une existence remplie des plus fortes passions qui puissent agiter l’âme humaine ».

[caption id="attachment_43" align="aligncenter" width="467"]Le Maréchal Joffre à l'Ecole Le Maréchal Joffre à l’Ecole[/caption]  

En 1919, l’école accueillit une délégation de 300 cadets américains de l’ École militaire West Point. Ce fut l’occasion de célébrer une victoire si chèrement acquise.

Pourtant, au-delà des célébrations qui participent au redémarrage de l’École, le traumatisme de la guerre a profondément marqué les Polytechniciens engagés dans le conflit.

Ainsi, la promotion 1913 rend les honneurs à l’élève entré major au concours de 1913 mort pour la France en 1916. L’un de ses camarades de promotion 1914, Croix de guerre, ne parvient plus à vivre avec ses souvenirs de combat et finit par se suicider en 1920. Ce que l’on appellera un siècle plus tard, le syndrome de stress post-traumatique du combattant, affecte de nombreux officiers Polytechniciens acteurs et témoins des turbulences de guerre. Intrépides, audacieux, endurcis par la souffrance, parfois mutilés ou malades, ils entament une phase de « reconstruction » aidés en cela par la reconnaissance et la maternelle bienveillance d’une École Polytechnique touchée dans sa chair mais capable de surmonter l’épreuve.

5 – Un siècle plus tard, d’autres combats polytechniciens…

Ces cents dernières années nous ont donné deux guerres mondiales, l’ère nucléaire, la guerre froide, la conquête spatiale, et les révolutions cybernétiques. Tout au long de ce siècle extraordinaire, l’ École Polytechnique n’a pas démérité et a su s’adapter aux mutations et aux exigences de la nation. L’esprit polytechnicien a traversé plus de deux cents ans de notre histoire en maintenant un corpus de valeurs et de traditions et en sachant s’adapter aux nouveaux paysages technologiques.

Pour autant, ce siècle passé doit nous questionner : Le patriotisme polytechnicien a-t-il encore un sens aujourd’hui ? Quelles sont les nouvelles formes d’engagement et de contributions pour les Polytechniciens de la promotion 2014 ? Vers quels combats sont-ils ou seront-ils mobilisés ?

Si le sacrifice ultime, celui de Younes Résal et de tant d’autres de ses camarades, semble bien éloigné aujourd’hui de l’actualité et des réalités polytechniciennes, il ne fait aucun doute que la conflictualité mondiale s’exprime désormais sous d’autres formes et qu’elle impacte durement nos sociétés. En tant que futur grand serviteur de la Nation, l’élève Polytechnicien occupera les premières lignes des duels économiques, industriels et technologiques à venir. Nous devons l’attendre aujourd’hui sur ce front stratégique et c’est bien là qu’il relèvera ou non les grands défis de la Nation. Il faut prendre conscience que la double culture, militaire et scientifique, du Polytechnicien de 2014 constitue la meilleure garantie de résilience face aux turbulences technologiques qui émergent. La course mondiale à l’innovation, la révolution numérique et la convergence NBIC (Nanotechnologie, Biotechnologies, Informatique, sciences cognitive) constituent les nouveaux fronts du 21ème siècle. Ils n’engagent plus le Polytechnicien dans sa chair mais l’obligent à une mobilisation de l’esprit. C’est en elle qu’il faut rechercher les nouvelles formes du patriotisme.

Pour conclure…

Élèves officiers Polytechniciens de la promotion X2013, Félix Berriat et Augustin Lenormand ont composé à l’automne 2013, le chant de promotion du 4ème bataillon de l’École Spéciale Militaire de Saint-Cyr. La promotion a reçu comme nom de baptême « CBA Charles Delvert ».

Charles Delvert, historien, ancien élève de l’École Normale Supérieure s’est distingué au combat durant la Grande Guerre.

Chant de la promotion Charles Delvert

La Grande Guerre déchirait notre belle patrie.

La France dans la tempête appelait ses enfants.

Delvert sous ces sombres nuages vint gravement,

Menant ses hommes avec courage pour son pays.

En ce jour enseignez l’audace et la grandeur

Au bataillon qui s’avance dans l’honneur.

Commandant Charles Delvert, pour marcher sur vos traces nous servons, jeunes officiers !

A l’automne de la guerre, sous un rideau de pluie

La boue recouvre les hommes d’un linceul infini.

Quand vous menez l’assaut se lèvent parmi les ombres

Ces hommes et le drapeau défiant l’orage sombre.

Dans la fumée des canons, héros du fort de Vaux,

Vous avez bravé la mort, contenu les assauts.

Malgré le froid, le feu, la peur de l’inconnu,

Quand sonne la relève vous restez invaincu.

La plume remplaçant l’épée célébra la victoire.

L’homme sortant des tranchées nous conta son histoire.

Humbles Carnets d’un Fantassin, par cet ouvrage,

Vous associez à nos destins un héritage.

Voyez vos fils droits et fiers, qu’éclairent les étoiles,

Rêvant sous cette bannière d’être un jour votre égal.

Célébrons la plume qui honore la mémoire

De ceux par qui la France emporta la victoire.

Le chant de promotion CBA Charles Delvert

http://www.youtube.com/watch?v=kS9FMyurGNI

Sources documentaires

Dossier SABIX – L’ École Polytechnique de 1914 à 1920 – Bernard Villermet

http://www.sabix.org/bulletin/b10/sabix10.html

Histoire de l’ École Polytechnique, Jean-Pierre Callot, Éditions Charles-Lavauzelle 1982

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