Quand est-ce que le sous-marin cesse de faire rire les amiraux et qu’il quitte son statut de jouet pour devenir un redoutable tueur des profondeurs ? L’exploit d’un seul sous-marin peut être la source de ce spectaculaire changement de statut. Il a été préalablement cité par l’article de Si Vis Pacem ( 1914-1918 : du sous-marin à la détection sous-marine, une guerre d’innovations) versé au dossier « Eté 1914 : un autre monde ?« . Mais il peut être intéressant de le replacer dans une autre perspective afin de souligner l’importance de la rupture, tout comme sa profonde introduction, sans calembour.

 A vrai dire, l’avènement d’un engin sous-marin militaire est assez difficile à préciser dans le temps. A l’instar de la victoire (qui a de nombreux pères alors que la défaite est orpheline), la paternité de « la » création du sous-marin est disputée entre plusieurs nations, manifestement.

Quelques exemples pour illustrer la naissance difficile :

Premièrement, dans son article versé au dossier Eté 1914, Si Vis Pacem nous relate la première expérimentation d’un engin sous-marin au XVIIe siècle : « Historiquement (4), le sous-marin n’est pas une invention de la 1ère Guerre mondiale puisque le premier semi-submersible de l’époque moderne (5), le « Drebbel » du nom de son inventeur, fut testé et amélioré entre 1620 et 1624 à Londres. Le potentiel militaire d’une telle invention apparait rapidement et c’est un ecclésiastique et scientifique britanniques, John Wilkins, qui est le premier à en décrire (6) les avantages potentiels dès 1648. »

Deuxièmement, l’auteur canadien Spencer Dunmore retient un autre commencement à l’aventure sous-marine militaire dans Sous-marins – La fascinante aventure des guerriers du silence (1776 – 2002) : l’expérimentation puis la mise en oeuvre au combat la Turtle de David Bushmell. L’engin tenta de fixer une charge sur le HMS Eagle. Repéré par l’équipage, la torture fut mise en fuite. Pour l’auteur c’est le premier fait d’arme d’un engin sous-marin. Néanmoins, il y a de quoi tiquer quand ce même auteur écrit : « Finalement, l’Angleterre gagne la bataille sur les mers, et les Américains la guerre d’Indépendance » (page 15). L’Angleterre gagne quoi pendant la guerre d’Indépendance américaine ?! Le lecteur ne peut que lire ironiquement la présentation du sous-marin de transport Deutschland située quelques pages plus loin dans le même livre. Bateau qui après avoir forcé le blocus anglais en 1916, entre triomphalement en Amérique en remontant la Chesapeake (tel que relaté dans Les sous-marins allemands devant New York de A. Beckman (1935) pour accoster à Newport News. Passons…

Troisièmement, et c’est ce qui semble plus intéressant sur le plan militaire est le fait d’arme d’un autre prototype de submersible : le CSS Hunley (pp. 18-37 de l’ouvrage de S. Dunmore). L’engin ne se singularisa pas par un torpillage mais par une dépose de charge de combat sur la coque du navire nordiste Housatonic en juillet 1863 afin de briser le blocus nordiste. Le navire coule et, première historique, un sous-marin force un blocus et se révèle être un système d’arme militaire viable.

De ces trois exemples cités arbitrairement, nous ne pouvons que constater la longue et lente montée en puissante du sous-marin étalée du XVIIe au XIXe siècle. Peu à peu, les marines se dotent de navires submersibles et/ou sous-marins. En témoigne la mise en service des Plongeur (1863 -alors que le CSS Hunley réalisera sont exploit, le Plongeur est d’une conception plus avancée) et Gustave Zédé (1893) dans la Marine nationale.

Pourtant, rien ne laisse augurer la rupture stratégique, qui dépassera le seul cadre des stratégies navale et maritime, avec l’exploit de l’U-9 au tout début de la Grande guerre. Curieux paradoxe que les marines considèrent suffisamment les submersibles et sous-marins pour les développer et en acquérir mais pas suffisamment pour les intégrer dans les plans. Justement, l’U-9 est engagée dans le cadre de la première patrouille sous-marine de l’histoire avec neuf autres de ses congénères.

Les dix U-boat sont en mer depuis sept semaines, soit depuis la déclaration de guerre entre l’Allemagne et l’Angleterre. Pendant cette septième semaine, l’U-9 commandé par le lieutenant de vaisseau Otto Weddigen, croise la route de trois croiseurs-cuirassés anglais. Les Aboukir, Hogue et Cressy (c’est une blague ?) font partie de la même classe et subiront un destin de famille. Le 22 septembre 1914 ils sont aperçus depuis le périscope de l’U-9. Le commandant n’en revient pas. Il amène le bateau pour aligner l’Aboukir. La manoeuvre dure une demi-heure. Une fois à portée, à seulement 500 mètres, il fait lancer une seule torpille sur le navire anglais. Touché-coulé. Le Hogue s’approche et l’U-9 n’est toujours pas repéré ! Le malheureux Saint-Bernard est visé par deux torpilles. Touché-coulé. Le Cressy s’approche enfin et l’U-9, toujours non-repéré, lance deux nouvelles torpilles. Touché et coulé.

Définitivement -et avec une certaine ironie pour les noms des trois croiseurs-cuirassés- l’U-9 après sept semaines de guerre, vient d’entrer dans l’histoire. Son exploit impose l’arme sous-marine comme le principal moyen naval allemand pour contourner le blocus naval anglais et reprendre l’offensive. La flotte de surface allemande, chassée de ses stations lointaines ou défaite (comme à la bataille des Falklands (8 décembre 1914) ne peut que tenter de se replier sur l’Allemagne pour contre-attaquer (bataille du Jutland (31 mai – 1er juin 1916) puis rester en vie (stratégie de flotte en vie).

Le sous-marin est désormais l’arme du contournement des forces de surface. La plus puissante des flottes de surface (la Royal Navy, à tout hasard) doit apprendre une toute nouvelle lutte, anti-sous-marine. Nouvel art qui doit permettre de conjurer une menace militaire qui repose sur un savant calcul pendant la première bataille de l’Atlantique : si les U-Boat réussissent à couler plus de cargos que les anglais peuvent en construire alors la bataille sera remportée. Et au passage, nous sommes passés de la guerre de course, ponctuelle, à sa systématisation, son industrialisation pour devenir guerre des communication. 

Après la première guerre mondiale, la construction de sous-marins pourra être interdite à l’Allemagne ou remplacer un déficit de cuirassés en France et en Italie. Les anglais tentèrent de faire interdire ce navire, preuve suprême de la menace qu’il représente pour les communications maritimes.

Le marquis de Seignelay / Le Fauteuil de Colbert

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