La vérité historique pose un premier problème. Ou plus exactement, le respect d’un certain état des connaissances tel qu’il est appréhendé par les historiens, aujourd’hui. Pour cela, un historien de métier est dès le départ associé à l’écriture (ce qui explique le nombre de coauteurs de l’album). Il s’agit ici de V Duclert qui patronne l’ouvrage et écrit le dossier documentaire de la fin. Ceci explique également que la BD soit publiée par un éditeur de BD (Glénat) et un éditeur d’histoire (Fayard). Mais du coup, comment rendre la vie d’un homme « historique » qui n’a à son actif presque aucun événement évocateur, sinon le fait qu’il est assassiné la veille de la déclaration de guerre ? Comment bâtir un scénario sur un assassinat ? Surtout quand l’homme assassiné est d’abord un homme de mots et de paroles, non d’actes et d’aventures ? Sans surprise, les deux scénaristes (il fallait bien ça) organisent le récit autour du mois de juillet 1914 qu’ils entrecoupent de flash-back. Comme cela risquait de ne pas suffire, ils y ajoutent un suspense autour de la famille de l’assassin, de façon aussi à montrer l’adversaire. Convenons en : si le résultat est habile, si la BD se lit sans déplaisir, elle n’est pas trépidante. Elle n’intéressera donc que les amateurs d’histoire, non ceux d’histoires. Mais elle a le grand mérite de restituer la parole et donc la pensée de Jean Jaurès. Tout d’abord son approche « pacifiste » de 1914 : je mets le mot entre guillemets car il n’a, à l’évidence, pas la même signification qu’aujourd’hui. Mais aussi son approche socialiste et internationaliste, telle qu’elle pouvait exister en 14 avant l’éclatement du Congrès de Tours en 1920 et l’expérience communiste tout au long du XXe siècle. On se rend compte de l’humanité familiale de l’homme, bon vivant, très cultivé (normalien et agrégé), amateur de bonne chère et de primitifs flamands. Enfin, on découvre quelques clichés : le rôle tenu lors de la grève des mineurs à Carmaux, la création de l’Humanité mais aussi le discours tenu au pré Saint-Gervais, en 1913, devant 150 000 personnes, sans sonorisation : on a peine à imaginer la puissance oratoire qu’il fallait alors déployer pour convaincre. Désormais, le moindre âne ânonnant son prompteur et récitant des euh tous les trois mots réussit à être un « homme politique d’envergure nationale » (cas à droite comme à gauche). Enfin, cela donne l’occasion de lire des textes de Jaurès et donc d’aller au-delà de l’iconographie habituelle pour rencontrer l’homme au travers de ses écrits, pas seulement de sa légende. L’ouvrage vaut donc le détour car il constitue une biographie illustrée qui renouvelle le genre de la BD et de la biographie. Loin d’une biographie complète, bien sûr, mais suffisamment sérieux pour que l’on s’éduque avec plaisir. Pour compléter, on lira le billet de Lignes stratégiques consacré à la lecture de L’armée nouvelle de J Jaurès. Jaurès
  • Glénat et Fayard
A. Le Chardon