La BD raconte l’histoire d’un reportage, effectué en 2010 par Pascale Bourgaux, une journaliste belge, dans un village du nord de l’Afghanistan, dans un fief d’un ancien lieutenant de Shah Massoud. Autrement dit, une zone a priori calme et en tout cas rétive aux talibans. Or, cette enquête montre comment, peu à peu, l’influence des talibans gagne du terrain même dans ce milieu qui lui était défavorable. L’histoire entremêle plusieurs angles.

Celui du journaliste (on est très loin de ceux qui avaient voulu enquêter sur le camp d’en face sans prendre de précaution et qui s’étaient retrouvés otages pendant plusieurs mois…) : angoisse constante de la sécurité, nécessité d’organiser un entourage conséquent (gardes du corps, fixeur, chauffeur…), difficulté budgétaire (tout se paye et tout coûte cher), rusticité du mode de vie, quête improbable des interviews, obstacles aux enquêtes, confidences sous le boisseau et témoignages anonymes, audace et imagination, découragements.

Celui de la micro société locale et des tensions qui la traversent : autorité quasi féodale du maître des lieux, influence grandissante des talibans dont les idées se propagent, prêches extrêmes, pauvreté généralisée, cercle des femmes, écoles, dépouillement des lieux.

Celui des résonances politiques, entre une « démocratie » tant vantée, la corruption généralisée, l’aide qui ne parvient pas « en bas », un gouvernement central qui s’abime dans les jeux politiciens, et un discours cohérent, celui des talibans qui paraît d’abord un discours anti-corruption…

Celui de la guerre, avec des incidents qui sont masqués, une bavure allemande qui est niée, un reportage médiatique qui ne suscite aucune réaction et une affaire enterrée…

Celui des doutes, des inquiétudes, des espoirs, des états d’âme, de la nostalgie de la famille au loin, des rares coups de fil qui ne suffisent pas à donner du réconfort…

Le scénario est de ce point de vue bien bâti, servi par un dessin d’apparence allusif mais qui rend compte, finalement, les paysages et la monotonie, les couleurs et le morne quotidien.

Une BD qui est donc fort intéressante, montrant les ambiguïtés de la situation afghane, attachante et émouvante, par bien des côtés surprenante. Elle vient en contrepoint des témoignages militaires que les lecteurs du Chardon ont probablement plus l’habitude de fréquenter.

Les larmes du seigneur afghan, Pascale Bourgaux, Campi, Zabusi

  • Dupuis collection Aire libre

Le Chardon