La définition de la puissance globale d’une nation ou d’un Etat repose sur la combinaison souple de 4 ou 5 critères identifiants dont le dénominateur commun est l’indépendance, et la raison d’être, la souveraineté comme valeur de droit universelle. Il n’est en effet de puissance que souveraine, la souveraineté sans puissance étant une fiction, de même que la puissance sans souveraineté reste un artefact. Ces critères généralement acceptés sont :

  • une monnaie comme instrument de politique économique
  • une politique économique autonome dont la monnaie est l’instrument central
  • une politique étrangère et de défense indépendante
  • un système de valeurs propres au service d’un engagement collectif
  • une taille suffisante pour donner réalité à cet ensemble
Le Petit Journal Rêve Don Quichotte - ER

Dans le temps et l’espace de l’histoire contemporaine, la combinaison de ces critères s’opère selon des amplitudes variables déterminant le degré relatif de puissance, c’est-à-dire de liberté exploitable, ou de contrainte subie. Dans ce cadre, un risque d’analyse est la déformation d’optique donnée par l’apparence ou le discours. Ainsi, un Etat actuel d’Amérique centrale formellement souverain, disposant de sa propre monnaie et d’une armée nationale, n’en est pas moins, dans sa réalité et sous une forme spécifique, une colonie des USA. De même, la souveraineté formelle des ex-démocraties populaires placées dans l’orbite de l’URSS, n’était que fictive.

La taille est un facteur de puissance, sans la garantir. La taille gigantesque du bloc soviétique n’a pas empêché son écroulement, dont la cause fut la désactivation, la sclérose et la fossilisation de ses fonctions de puissance. A l’inverse, la Corée du sud actuelle, petite par sa taille, est une puissance réelle par une stratégie nationale développant la synergie de toutes ses ressources dans un cadre de souveraineté.

Au XXIème siècle, le classement courant distingue les puissances qualifiées de mondiales (USA, Chine) et celles de niveau infra mondial (Russie, Japon, Brésil, Inde). Dans cette échelle planétaire, le classement de l’Union Européenne reste non évident parce qu’il soulève la question, toujours éludée, de sa nature et de sa finalité véritables. Si la lecture des grandes puissances reconnues est donc claire, celle de l’Europe actuelle requiert un exercice d’identification exigé par le brouillage de ses signes, la distorsion fréquente entre son langage et la réalité, l’inconnue de son orientation fondamentale.

L’Union Européenne a toutes les apparences d’une puissance mondiale : taille continentale, gabarit démographique, poids économique, monnaie forte, revendication d’un modèle propre. Elle n’est pourtant pas comparable aux USA, à la Chine, à la Russie, puissances avec lesquelles on lui attribue une parité de rang. Dans sa phraséologie, l’UE n’use elle-même du mot puissance que dans le sens univoque du « marché de 500 millions de consommateurs » dont elle fait son emblème, son modèle et son orgueil.

L’analyse méthodique des fonctions de puissance et du positionnement géostratégique de l’Union Européenne parmi ses homologues présumés, a pour but de parvenir au constat de réalité derrière l’écran de son architecture et de son discours.

UNE POLITIQUE DE DÉFENSE INEXISTANTE ET IMPRATICABLE

Toutes les puissances mondiales ont une politique de défense partant d’un concept stratégique élaboré en fonction de leurs capacités et de leur perception des risques. Ce schéma reste approximativement identique pour les puissances de niveau infra mondial ou seulement régional. Etant avéré que l’Union Européenne ne possède pas cet attribut essentiel de la puissance, la question est de savoir si elle veut réellement s’en doter, ou si elle entretient cette carence pour des raisons qui sont à déterminer. De prime abord, cette question apparaîtrait comme une fausse alternative puisque les textes fondateurs de l’Union prévoient la mise en place d’une « politique de sécurité et de défense commune » (PSDC) dont la dernière formulation figure au Traité de Lisbonne unanimement ratifié en 2009/2010.

L’absence d’une telle politique 5 ans après cette ratification appelle deux approches explicatives .L’une procède du mode de pensée idéaliste, l’autre de l’analyse stratégique. La première, partant du constat de la « désunion de l’Union » en la matière, croit au volontarisme et à l’activisme politique pour la surmonter. C’est la démarche française, suivie peu ou prou par quelques membres de l’Union (Espagne, Belgique…) ou qui simulent une adhésion de principe (Allemagne, Italie…) ; elle repose sur l’idée d’un nombre limité de participants formant le noyau dur de ceux réellement dotés de capacités opérationnelles. Cette approche déconnecte l’objectif des réalités qui l’entravent dans l’espérance d’un « déblocage » négocié qui ouvrirait un processus d’unification.

La deuxième approche vise à expliquer pourquoi l’Union Européenne n’a pas et n’aura pas de politique de défense commune. Dans cette optique, il importe de bien distinguer d’une part les obstacles communément identifiés à cette politique, de l’autre la contradiction stratégique qui existe entre elle et les finalités réelles, et occultes, de l’Union Européenne. Les obstacles connus et recensés sont 1) l’alliance et les « liens spéciaux » de la Grande-Bretagne avec les USA. 2) le désintérêt quasi complet des ex-membres du Pacte de Varsovie tous intégrés dans l’OTAN. 3) l’inertie spécifique de la Roumanie actuellement dotée de 4 bases américaines sur son sol. 4) le louvoiement habile de l’Allemagne entre OTAN et coopération bilatérale. 5) la perte d’autonomie décisionnelle de la Grèce et du Portugal en tant que laboratoires de l’abolition de la souveraineté en Europe.

L’objectif proclamé d’une « Europe de la défense » impliquant de réduire un tel imbroglio par une hypothétique convergence de volontés, ignore d’abord, spontanément ou délibérément, deux contraintes stratégiques articulées. La première est l’interdiction de facto, informelle, non écrite, mais incontestable, par les USA, de former une défense européenne qui échapperait à leur contrôle politique et opérationnel. La seconde, son pendant logique, est le traité de l’OTAN dont la fonction est précisément d’assurer, sous le commandement suprême américain, la sécurité et la défense de l’Europe. Tout raisonnement, toute spéculation en dehors de ce cadre sont vides de sens. Il existe à ce niveau une déformation tendant à interpréter la demande récurrente des USA de « partager le fardeau » comme le reflet d’un octroi d’autonomie, alors qu’elle porte sur le seul rééquilibrage de budgets disproportionnés de part et d’autre de l’Atlantique. Une autre pensée irénique consiste à accréditer l’idée que les accords militaires bilatéraux (franco-allemand, franco-britannique), si pertinents soient-ils, seraient la base d’un multilatéralisme susceptible d’être développé.

Dans l’agenda formel de ses réunions tournant au simulacre, le dernier conseil ministériel européen de la défense de décembre 2013 s’est logiquement conclu comme les précédents par une absence de résultat. Toute question sur les problématiques d’une défense européenne est par ailleurs d’autant plus mise en suspens qu’est attendu pour fin 2014 le schéma global du TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership) en cours de discussion à Washington entre les USA et l’Union Européenne. Le cadre de ce futur traité n’excluant aucune activité commerciale, industrielle et de service, il est logique que l’industrie de l’armement y soit incluse. Dans cette discussion, l’avantage des USA est initial et instantané. En effet, dans l’idéologie mercantile qui régit l’Europe, cette industrie n’appartient pas, ou doit cesser d’appartenir, au domaine politique dès lors qu’elle procède encore de survivances « nationales » héritées d’un passé révoqué. Mais sous un autre angle, les progrès technologiques les plus récents ayant effacé l’étanchéité entre industries civiles et militaires, il est devenu aléatoire de distinguer les applications des unes qui entraînent celles des autres. Les USA ayant une parfaite expertise dans ces combinaisons alternatives, il est hautement probable que l’angélisme européen accélérera leur pénétration dans les industries d’armement de l’Europe sous le couvert des grands principes du « libre accès aux marchés » et de la « liberté d’investir ».Ces industries seront donc d’autant moins le sous bassement de toute politique de défense, nationale et à fortiori européenne, que les américains en prendraient le contrôle stratégique au prétexte d’une nécessaire standardisation exigée par l’efficacité et l’économie budgétaire.

C’est dans ce cadre que, nonobstant même le futur traité transatlantique, « l’Europe de la défense » resterait de toute façon un projet sans consistance possible. L’industrie d’armement qui est son indispensable substrat nécessiterait par nature une forte implication coordonnée des Etats en termes d’organisation, d’investissement et,de financement, dans un éventail d’accords à géométrie variable entre les membres de l’UE. Une telle visée est totalement contradictoire avec les obligations de privatisation intégrale des industries et de leur « concurrence libre et non faussée » inscrites dans les traités européens.

Une réelle politique européenne de sécurité et de défense restera donc, selon l’optique choisie, un ectoplasme, un tigre de papier, ou une imposture, ce dont les maîtres de l’Europe ne sauraient être inconscients. C’est pourquoi, pour échapper à de telles désignations, le traité de Lisbonne mentionne textuellement que « les engagements et la coopération dans le domaine de la Politique de Sécurité et de Défense (PESD) demeurent conformes aux engagements souscrits au sein de l’OTAN qui reste pour les Etats qui en sont membres le fondement de leur défense collective et l’instance de leur mise en œuvre ». « L’Europe de la défense » ramenée à l’OTAN est donc, dans cette contradiction assumée, la négation de sa propre affirmation, ce qui lui retire toute crédibilité.

UNE POLITIQUE EXTÉRIEURE SOUS TRAITANTE, ALIGNÉE , SATELLISÉE

Politique de défense et politique extérieure ne génèrent une synergie que par une conception stratégique de la puissance au service d’un intérêt collectif présent et futur. La question est donc de savoir quelle est la finalité d’une politique extérieure de l’Union Européenne dépourvue de l’attribut de la puissance militaire, et par conséquent quelle est sa conception stratégique sans cet attribut. Aux origines de l’Union, cette question était sans objet tant que prévalait encore, parmi les nations d’Europe, l’indépendance de leur politique étrangère. Or, le  transfert  de leur souveraineté organisée par les traités européens au profit d’une souveraineté « commune » présuppose que cette substitution soit légitimée par la condition absolue d’un intérêt collectif de niveau supérieur. La question corrélative sera donc de savoir si l’Union Européenne, par sa politique extérieure, parmi ses politiques, œuvre à un tel intérêt.

Le vide gigantesque provoqué par la chute simultanée de l’empire soviétique et de l’idéologie communiste en Europe a permis à l’Union Européenne d’atteindre 5 objectifs d’ampleur géostratégique 1) incorporer en son sein, de la Baltique à la Mer Noire, 11 nouveaux Etats 2) leur imposer sa propre idéologie 3) leur imposer un même régime économique 4) imposer leur intégration dans l’OTAN 5) affaiblir et repousser à l’Est la puissance russe.

Dans ce processus d’intégration, dit d’élargissement et non achevé, l’image valorisante donnée par l’Europe aux européens a permis d’accréditer une présomption d’indépendance de la politique extérieure de l’UE, en occultant le rôle déterminant qu’y jouent les USA. Ce rôle s’inscrit dans le projet d’une intégration euroatlantique amorcée et programmée de longue date devant aboutir en 2015 à un accord que négocient l’Union Européenne et les USA depuis juin 2013. C’est dans ce cadre que la politique extérieure de l’UE en direction de l’Est procède par délégation de rôle et non par autodétermination.

Pour éclairer cette finalité peu visible parce que maintenue opaque, un rappel du processus postsoviétique en Europe est utile. La première évidence est de constater que les PECO (pays d’Europe centrale et orientale) n’ont pas bénéficié d’une émancipation authentique, mais sont passés d’un état de subordination à un autre. En analyse de système, le cadre et les contraintes imposés aux PECO par l’Union Européenne apparaissent en effet de même nature que ceux de l’ex-bloc soviétique : principe d’uniformité, idéologie coercitive, modèle économique obligatoire, corset juridique, sujétion militaire, souveraineté limitée, démocratie contingentée, sortie du système prohibée.

Dans l’Union Européenne, il est exclu de facto que l’un de ses membres échappe à son intégration à l’OTAN, à l’exception (provisoire ?) d’Etats encore dotés d’un ancien statut de neutralité (Autriche, Suède, Finlande) ; inversement, tous les nouveaux membres de l’OTAN non encore membres de l’UE sont appelés à le devenir (par exemple l’Albanie, admise comme candidate en 2013).Enfin, les derniers Etats ou pseudo Etats balkaniques non encore intégrés (Monténégro, Macédoine, Kosovo, Moldavie, Serbie) sont programmés à terme pour cette double intégration.

La seconde évidence de ce processus est sa finalité géostratégique ultime dont « la crise de l’Ukraine » ouverte depuis 2004 est le révélateur. Pour la comprendre, doit être rappelée la théorie pénétrante de l’ancien conseiller à la sécurité nationale des USA Zbignew Brzezinski, qui lie l’abaissement définitif de la puissance russe/ex-soviétique au détachement radical de l’Ukraine de sa sphère de contrôle et d’influence. Les soubresauts de ce pays entre l’objectif de sa captation par l’Ouest euroatlantique et l’action défensive de la Russie pour le conserver dans son giron, ne sont que l’expression d’une offensive globale conduite pour atteindre cet objectif. Il est devenu clair que l’Union Européenne agit dans cette direction sous délégation de rôle confiée par les USA.

L’UE déploie cette action sur deux axes, dénommés dans son jargon : « la politique de voisinage » et « la politique de partenariat oriental », qui utilisent tous les moyens et méthodes du soft power, le hard power étant réservé par vocation aux USA. Les accords de coopération assortis de promesses d’ « aide » (subventions) ont systématiquement pour contreparties : l’exigence d’une formation des élites à l’économie « libérale » (c.a.d. ultralibérale), de l’abolition des droits de douane, et de « réformes » internes à base de privatisations et de démantèlement des services publics. Sous couvert de « modernisation » et d’«ouverture » (des marchés), l’objectif est d’exploiter le différentiel de développement est / ouest, pour araser le tissu économique local et y implanter les prédateurs de tout type (baptisés investisseurs) dont les organes européens sont par vocation les servants. L’histoire reste à écrire de cette gigantesque prédation opérée durant la « transition » postsoviétique.

Opaques dans leurs contenus libellés en langue de bois, les politiques de voisinage et de partenariat oriental le sont encore davantage dans leurs manœuvres de formation de camarillas politiques locales profitant des subventions, des privatisations, des monopoles d’importation, et chargées en contrepartie d’organiser des élections politiquement correctes. Celles-ci entendent que l’orientation « libérale » et euroatlantique des pays soit contrôlée et verrouillée quels que soient les aléas électoraux. Dans cette configuration générale, l’Union Européenne montre une réelle dynamique d’extension et de captation, de dimension continentale, par son élargissement continu depuis la chute du bloc soviétique.

Il est notoire de longue date que l’Union Européenne s’abstient de définir ses limites géographiques pour éviter de définir sa propre identité, ce qui lui permet d’occulter sa véritable finalité. Le nœud de cette occultation est le cas de la Turquie (membre de l’OTAN) dont les dirigeants de l’UE, soutenus officiellement par le gouvernement américain, préparent l’intégration. Mais cette occultation est aussi un atout pour contribuer à dissimuler la stratégie d’encerclement de la Russie par son flanc sud, qui est l’objectif conjoint des USA et de l’Union Européenne. Dans cette stratégie, l’extension de l’UE ne sera donc pas terminée par l’intégration de la Turquie, ni par celle des Etats ou pseudo Etats balkaniques encore « à l’extérieur ». Les crises internationales de Géorgie (2008) et d’Ukraine (2014) ont ainsi été provoquées par le travail de sape qu’y mènent les USA et l’UE pour les détacher de la sphère russe, l’objectif restant, quel qu’en soit le délai, leur double intégration dans l’OTAN / UE.

Dans ces mouvements, le fait majeur, et lourd de conséquences, est que l’UE exclut (ou se montre incapable) de concevoir et de proposer à tous les pays émancipés de la tutelle soviétique un quelconque modèle intermédiaire entre le socialisme et l’ultralibéralisme respectant leur identité, leur passé, leur culture de tradition communautaire et/ou orthodoxe. Un tel modèle aurait eu vraisemblablement l’agrément de la Russie dans une logique d’entente et d’harmonisation graduée depuis l’Atlantique jusqu’à l’Oural. Or, l’Union Européenne poursuit au contraire une logique de confrontation avec la Russie ex-soviétique qui l’expose mécaniquement à des contre-réactions. Elle a perdu à ce titre, comme à d’autres, sa légitimité à exercer le magistère qu’elle revendique. Sa politique extérieure vers l’Est se réduit à une sous-traitance des USA ; elle favorise la conflictualité ; elle n’est pas fondée à s’ériger en référence.

Cette politique devrait néanmoins être poursuivie jusqu’à son terme géostratégique qui, dans le partage des rôles avec les USA, établira la frontière orientale (et ultime) de l’Union Européenne sur la rive occidentale de la Caspienne en cherchant à incorporer la Géorgie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Le relais sur sa rive orientale est ensuite (déjà) pris par les USA dans les ex-républiques d’Asie centrale par l’emprise de leurs compagnies pétrolières, l’achat des complaisances politiques locales, et l’installation de bases militaires.

En dehors du domaine est-européen, le « Service Extérieur » de la Commission Européenne (créé par le Traité de Lisbonne) n’accrédite que l’apparence d’une politique extérieure de l’UE. Il cherche avant tout, sans aucune conception stratégique, à doubler, remplacer ou contrecarrer l’action diplomatique des pays membres de l’UE dans le cadre du « transfert » de leur souveraineté. Par contre, ce service multiplie les missions à travers le monde pour donner consistance à des objectifs qui, sous couvert diplomatique, sont essentiellement d’ordre mercantile. Il est bien connu que l’Union Européenne est la seule entité politique de dimension planétaire à déployer un prosélytisme libre échangiste obsessionnel cultivant davantage l’intérêt des autres que le sien. Sortie du cadre de cet activisme, la politique extérieure de l’UE n’a aucune crédibilité internationale. Sur des questions aussi graves que la crise des « printemps arabes », la guerre civile en Syrie, les capacités nucléaires de l’Iran, les relations avec l’Afrique noire, l’UE n’a ni conception globale, ni solution particulière qui inspireraient le respect, la reconnaissance, le mérite, le prestige. Le succédané de ce vide est par contre sa pratique récurrente d’ingérence par une surenchère moralisatrice, sans portée, ni utilité diplomatique, ni intérêt politique.

A tous ces titres, l’Union Européenne ne peut être considérée comme une puissance mondiale à l’égal de la Russie ou des USA.

L’EURO CONTRE L’EUROPE

Les objectifs réels et les conséquences finales de l’Euro sont exceptionnellement difficiles à clarifier en raison de son apparence identique aux autres grandes monnaies. Cette apparence a été et reste accréditée par l’une des plus vastes propagandes de l’histoire contemporaine, et qui se poursuit sans relâche par des centaines de relais médiatiques. Le concept moderne et universel d’une monnaie la définit comme un instrument à la fois monétaire, financier, économique, et politique, ce qui a facilité l’acceptation passive ou mal interprétée de l’Euro par les populations. La véritable question est de savoir comment et dans quels buts ces 4 fonctions sont utilisées par les dirigeants de l’Union Européenne et ceux dont ils sont les mandants. Cette question dépasse les frontières de la zone Euro (18 pays sur 28), puisque l’Euro sert également d’outil d’action et de pression sur les pays qui ne l’ont pas encore.

L’utilité de distinguer les 4 fonctions d’une monnaie n’est qu’analytique, toutes procédant de sa fonction politique globale liée à la souveraineté et à son exercice. C’est au niveau de cette clé de voûte que l’Euro diverge radicalement des autres grandes monnaies. L’Euro est le fruit d’une fabrication idéologique mariée à une exigence du consortium des multinationales qui, depuis les années 1980, pilote et manipule les organes dirigeants de l’Union Européenne. Même s’il fut d’initiative française à l’époque où la France contrôlait la Commission Européenne, il ne doit son existence qu’à l’accord de l’Allemagne qui a décidé des conditions de son introduction, de son usage, et de sa gestion. Le système monétaire européen bâti autour de l’Euro n’est autre que l’extension à l’Europe du système monétaire allemand, ce qui a procuré un avantage stratégique instantané à l’Allemagne.

L’Euro est une construction habile dont la commodité faciale a permis de dissimuler aux populations ses fonctions stratégiques réelles. La fin des opérations de change pour les particuliers (à relativiser par le service des automates bancaires) et les entreprises donne le sentiment de facilité lié à la liberté de circulation et à la fluidité du commerce. Pour les acheteurs de tout type, la forte inflation générée par l’Euro a été psychologiquement gommée par une perception floue des nouveaux prix, et le surendettement organisé par les banques. Pour celles-ci et autres «investisseurs », l’Euro est la naissance d’un âge d’or où leur enrichissement colossal est instauré et garanti par le système financier européen lui-même.(cf. infra)

Une erreur de fond encore largement partagée est de croire que l’Euro est une monnaie équivalente aux autres grandes monnaies (dollar américain, livre sterling, franc suisse, yen japonais). Le principe essentialiste étant que la monnaie est un support et un instrument de la souveraineté, l’erreur corollaire est croire que l’abandon des monnaies nationales de l’Europe fait de l’Euro une monnaie de même nature à l’échelon européen, ce qu’elle n’est pas. L’Euro est statutairement détaché de tout rôle de politique économique à l’échelle européenne, et par ricochet aux échelons nationaux dépouillés de leur souveraineté monétaire. Dans le cadre des traités européens, la Banque Centrale Européenne (BCE) est seule maîtresse, juge et gestionnaire de cette monnaie, sans aucun contrôle démocratique ou étatique, ni responsabilité devant qui que ce soit. La question centrale est de savoir quelle la raison de ce schéma sans équivalent planétaire.

Au-delà de sa commodité pratique qui n’est pas en soi un privilège, la conception de l’Euro procède, en dépit de sa présumée neutralité politique et économique, d’une visée stratégique dissimulée aux populations, et que l’expérience de « la crise » a permis de décrypter. Au départ, l’objectif principal a été d’offrir aux banques, assurances, et autres « investisseurs », le marché colossal, captif et unifié, des financements publics (Etats, collectivités locales, etc). Simultanément, la BCE dotée du monopole d’allocation de la monnaie unique, n’alloue aux Banques Nationales, ses relais, que les dotations nécessaires à la liquidité de l’Euro avec interdit statutaire pour elle de financer les Etats à crédit. Cette intrusion de la finance européenne et mondiale dans l’espace public autrefois régi par le droit souverain et régalien des monnaies nationales, est en soi un processus d’éviction du principe d’intérêt général ou collectif. L’Union Européenne est en effet la seule entité politique mondiale où la Banque Centrale exclut de financer (les) l’Etat (s) par les achats d’obligations du Trésor dans un but de politique économique. Les conséquences récessives et régressives de cette option radicale commencent à être révélées par «la crise».

Le transfert de la puissance financière des Etats au profit des banques par l’Euro, est par excellence le procédé permettant aux secondes de contrôler les premiers par des normes elles-mêmes libres de tout «check and balance » (contrôle et contre pouvoir) qui définit la démocratie. L’Union Européenne dans sa zone Euro peut ainsi prétendre au titre de grande puissance monétaire et financière mise au service direct des intérêts de la finance mondiale.

Le deuxième volet de la stratégie de l’Euro est son rôle macroéconomique de restructuration du tissu industriel européen. Dans la propagande de son lancement, l’Euro a d’abord été vanté comme un outil par excellence de croissance, de convergence, de plein emploi et de prospérité générale. Ce messianisme relevant de la pensée magique avait notamment postulé, sans aucun fondement rationnel, que l’Euro, par sa seule création, induirait 6 millions d’emplois nouveaux en Europe. Toutefois, les 18 millions de chômeurs officiels de la zone Euro et sa stagnation économique globale ne reflètent pas une égalité de préjudice entre ses membres. Si la fonction intrinsèquement discriminatoire de l’Euro est de favoriser les économies «avancées» au détriment des économies «traditionnelles», c’est parce que l’UE a pour objectif occulte de remodeler la division internationale du travail en Europe. Cette autre division consiste à favoriser la concentration du capital au profit des multinationales, à détruire les PME/PMI « non compétitives » pour les satelliser ensuite en sous-traitance à bas coûts, et à développer la financiarisation de l’ensemble au profit des fonds d’investissement et des banques de toute origine. Le cours élevé de l’Euro assuré par la BCE garantit ce processus renforcé par l’interdiction des protections et des aides d’Etat, de même que par les politiques d’austérité et de déflation. L’Euro «fort»comme vecteur de désertification industrielle, fabrique de chômage, et outil de favoritisme, est ainsi un exemple rare dans l’histoire de la capacité de nuisance d’une monnaie.

Le troisième volet de la stratégie de l’Euro est son rapport au dollar. Aux plus hauts niveaux de décision de l’UE, il a été exclu 1) que l’Euro fasse concurrence au dollar en baissant son taux de change, afin d’éviter de pénaliser les exportations américaines 2) que l’Euro devienne une monnaie de réserve internationale rivale du dollar 3) que l’Euro devienne une monnaie de transaction des matières premières mondiales qui doit rester le monopole du dollar. S’il faut un seul exemple de l’atrophie volontaire de l’Euro dans sa fonction internationale, c’est la renonciation 1) à en faire une monnaie de règlement des achats de pétrole 2) à créer une bourse de valeurs en Euro des autres matières premières (blé, café, cacao, etc) dont le monopole de transaction, aux bourses de Chicago et de Londres, est en dollar.

En finalité, l’Euro est une monnaie désarticulée entre sa dévolution aux puissances financières, la fiction de son intérêt économique, et la réalité du fossé qu’il creuse entre les pays de sa zone. La dictature de l’Euro sous commandement allemand repose en fait sur un même principe d’unification forcée que l’internationale communiste sous commandement soviétique. L’argument suprême de ses défenseurs est que son retrait provoquerait un cataclysme, ce qui révèle à la fois le désir de certains pays d’en réchapper, et leur interdiction de le faire. Dans cette combinaison de nuisance, de coercition et de dissension, l’Euro ne peut en tout état de cause être considéré comme une monnaie support de puissance mondiale au rang du dollar ou du yen.

UNE POLITIQUE ÉCONOMIQUE ANTI EUROPÉENNE

S’agissant de l’Union Européenne, l’expression « politique économique » est à employer avec circonspection. Le brouillage sémantique opéré par les textes des traités rend difficile, dans leur jargon en langue de bois, la perception d’une définition claire de ce que l’UE entend par politique économique. Dans le traité de Lisbonne, il existe bien un chapitre « politique économique » formulée en «coordination» des politiques économiques des Etats membres, mais celles-ci ont été vidées de sens par le traité budgétaire de 2012 (TSCG) qui place les budgets des Etats sous le cadrage, le contrôle et l’autorisation de la Commission Européenne. Toute politique économique procédant de l’économie politique, ces concepts appartiennent par essence au domaine de la puissance publique, de l’autorité des Etats, et donc de l’exercice de leur souveraineté. Celle des membres de l’Union Européenne étant transférable et transférée à des organes centraux de décision, la question est de savoir s’il existe réellement une politique économique commune autre qu’une coordination de politiques d’Etats devenues largement fictives.

Le principe essentialiste et l’objectif stratégique de toute politique économique, indépendamment du régime qui la met en œuvre, sont de préserver et développer les intérêts de l’entité à laquelle elle s’applique. En corollaire, la politique économique doit assurer leur cohésion dans la meilleure harmonie possible au sein de l’entité concernée. C’est déjà au titre de cet impératif axiologique, que l’Union Européenne n’a pas de politique économique puisqu’elle n’a aucune conception stratégique de ses intérêts. Sous une deuxième optique, le dépérissement des Etats souverains organisé par l’UE en paralyse la recherche, puisque l’Etat, par l’exercice de la souveraineté qui le légitime, a vocation et mission d’en être le garant. Sous un troisième angle, L’Union Européenne a créé et entretient une confusion volontaire entre politique économique et politique commerciale qui contribue à brouiller leur perception par l’opinion publique. L’UE déploie en effet une politique commerciale extrêmement cohérente et déterminée qu’elle fait passer pour une politique économique.

Le concept de cette politique remonte aux balbutiements de la science économique du 18ème siècle : c’est le « laisser faire, laisser passer » intégral, reformulé en « concurrence libre et non faussée » avec la terre entière, et sublimé en religion messianique.

Il est mieux perçu aujourd’hui, notamment grâce à  «la crise» et à l’action de la TROïKA, (Grèce, Portugal, Chypre…) que l’Union Européenne repose entièrement sur une base idéologique, c’est-à-dire ni sur la continuité du passé de l’Europe, ni sur un quelconque empirisme organisateur. Parmi les mythes fondateurs de l’UE et de l’Euro (la croissance, le plein emploi, la prospérité) figure d’abord « la paix », dont la recherche de l’intérêt collectif et de l’harmonie devraient être précisément l’expression première. Or, la politique de l’UE, qu’on l’appelle économique et/ou commerciale, est antinomique avec le principe de paix, et génère en réalité un état de guerre délibérément organisé en Europe.

Si l’armature de ses traités empêche (encore) les conflits armés au sein de l’UE, la conception de son système a pour objectif de favoriser la guerre économique tout en interdisant à l’Europe de se défendre par un désarmement unilatéral. (cf. texte «Etat(s) de guerre en Europe » AGS 9/2012). L de ce processus est doublement idéologique et stratégique, reflétant la pensée duale qui formate l’esprit public dans l’UE. Son expression première est celle des idéalistes, intellectuels, experts auto désignés, unis dans le mode de pensée irénique par lequel le verbe crée la réalité. Pour cette catégorie, le concept de guerre étant formellement récusé par la théorie et le discours de l’Union Européenne, la guerre économique n’existe pas puisque théorie et discours l’ont bannie. La seconde expression est celle du pouvoir réel formé par l’aréopage des banquiers et dirigeants de multinationales dont la Commission Européenne est la courroie de transmission et le mandataire. Cette catégorie mondialisée n’a cure des intérêts de l’Europe et défend prioritairement les siens sous la couverture idéologique du « libéralisme » que lui fabriquent les intellectuels sus évoqués.

Dans sa rhétorique, l’Union Européenne travestit la guerre économique par ses stéréotypes usuels : «compétitivité », « concurrence libre et non faussée », « grand marché mondial », « libre échange » « globalisation ». La réalité aujourd’hui reconnue est que son système organise le dumping fiscal, social et salarial généralisé aussi bien en son propre sein qu’en y introduisant la concurrence mondiale sans aucune entrave ni protection. La vocation de toute puissance étant de pratiquer une combinaison flexible de protection et d’ouverture, l’Union Européenne est la seule exception mondiale à récuser ce principe. Ce changement radical de conception de la politique européenne avait été opéré subrepticement dans les années 1980 sous la commission Delors par l’abandon des principes du Traité de Rome (1957) que viole le Traité de Lisbonne, à savoir : la préférence communautaire, le tarif extérieur commun et l’autosuffisance alimentaire.

L’objectif des stratèges de l’UE est tout autre : le libre-échangisme comme norme mondialisée obligatoire La recherche systématique d’accords de libre-échange négociés dans une complète opacité par la Commission Européenne (par exemple avec le Canada, la Corée du sud, les USA) a entre autres pour objectifs 1) aider à déstructurer le tissu industriel historique de l’Europe 2) faciliter son rachat au prix de casse par, soit des investisseurs financiers, soit des multinationales 3) briser l’échelle des salaires pour assurer la «compétitivité » des activités rachetées au profit actionnarial de ces prédateurs.

Dans un état de concurrence voulu sans frontières ni protections, « la première puissance économique du monde » auto proclamée de l’Union Européenne est autant une absurdité conceptuelle qu’une niaiserie ; elle équivaut à dire que la France et l’Italie réunies forment la première puissance économique d’Europe (devant l’Allemagne), ou la Slovénie et la Croatie réunies, la première des Balkans. Une puissance sans stratégie, ni conception de ses intérêts supérieurs, ni frontières, ni protections, ne saurait à l’évidence être classée dans un quelconque rang de puissance.

LES VALEURS EUROPÉENNES ENTRE ILLUSIONS ET IMPOSTURES

L’adhésion collective à un système de valeurs partagées est un fondement essentiel de la puissance dans ses composantes politique, économique, culturelle et autre, quelle que soit la nature d’un régime considéré. Ces valeurs ont pour socle leur identification commune par le peuple, la perception d’une cohérence entre le discours et les actes, et la confiance dans l’avenir. C’est à ces titres que l’Union Européenne est une exception radicale parmi les puissances de rang mondial, USA, Russie, Chine, Japon.

Plusieurs angles de vue sont nécessaires pour évaluer le système de valeurs difficilement déchiffrable de l’Union Européenne. Une vision spectrale et a-politique en a été donnée par le philosophe français P. Bourdieu : « l’UE ne dit pas ce qu’elle fait ; elle ne fait pas ce qu’elle dit ; elle dit ce qu’elle ne fait pas ; elle fait ce qu’elle ne dit pas ».

Un premier angle de vue doit relever que l’Union Européenne est régie par une idéologie globale d’essence totalitaire (l’ultralibéralisme) dont la force initiale est de nier sa propre existence. C’est dans ce cadre de coercition que son régime économique et financier est affirmé comme étant l’ordre naturel des choses, et par conséquent sans alternative possible. Les déviations à cet ordre sont dès lors des anomalies, des hérésies, des risques et des menaces à juguler, et qui sont effectivement combattus avec détermination par l’aréopage qui dirige l’Europe.

C’est à ce titre que la comparaison de l’Union Européenne avec l’Union Soviétique apparaît pertinente sur deux plans essentiels : 1) la proclamation de la « fin de l’Histoire » en Europe en raison du caractère indépassable de son régime actuel équivaut à la fin de l’Histoire théorisée par Karl Marx en raison de « la fin de la lutte des classes ». 2) la mise en place d’un système de contrôle, de coercition et de répression. En Union Soviétique, ces fonctions étaient assurées par le parti unique et la police politique ; dans l’UE, ces fonctions sont assurées par le pouvoir absolu de la finance qui permet d’oxygéner ou d’asphyxier à volonté les Etats, les entreprises, et toute activité ramenée à l’étalon exclusif de l’argent. En termes de fonctionnalité et d’efficacité, la Banque Centrale Européenne et l’Euro jouent le même rôle d’organes centraux qu’un parti unique et sa police politique, la seule différence étant la nature et la forme de la violence exercée sur les déviants : brutale et directe d’un côté, feutrée et sophistiquée de l’autre.

En proclamant le caractère intangible et indépassable de son régime, l’Union Européenne récuse simultanément la notion et le principe de progrès qui transcendent toute l’histoire de l’Europe depuis la Renaissance. Ce dogmatisme n’a aucun équivalent planétaire puisque toutes les puissances mondiales, quel que soit le socle doctrinal et culturel de leurs régimes, ne rejettent ni le pragmatisme ni l’empirisme qui permettent l’adaptation aux circonstances et aux changements.

Comme il a été vu, le mythe de la paix perpétuelle est un des ectoplasmes de l’Union Européenne déguisant l’acceptation d’un état de guerre économique universelle antinomique avec le principe de cohésion et de solidarité qui devrait théoriquement prévaloir dans une zone de paix.

Un autre de ces mythes est celui de l’exemplarité de la démocratie en Europe, dont l’exercice réel, restrictif et contingenté, dévoile la volonté de contrôle et de coercition qui le canalise. Au premier chef, il est d’abord évident que la démocratie est largement vidée de sa substance par la perte de la souveraineté des Etats membres. L’UE a ainsi réussi à briser au fil du temps le principe de droit universel (inscrit dans la Charte de l’ONU) qui fonde la démocratie sur la souveraineté. Sur le plan dit «communautaire», combler le « déficit démocratique» reconnu reste un leurre alors que le processus d’intégration européenne est par essence strictement itératif (contraint, autobloquant, sans retour), contournant ou interdisant notamment les referendums qui l’entraveraient. S’y greffent l’absence de processus électif de la Commission Européenne et de la BCE, et leur irresponsabilité devant quelque instance que ce soit. Mais la profondeur de ce « déficit démocratique » se mesure d’abord à l’empêchement de facto de voies alternatives, étant constaté que tous les Etats membres sont gouvernés par un type post-moderne de parti unique fonctionnant soit par coalitions, soit par alternance bipartite sans alternative. Enfin, l’architecture de l’UE est une forteresse carcérale juridique et monétaire (y compris pour les pays hors zone Euro) conçue pour qu’il soit impossible d’en sortir en dépit de la liberté théorique de le faire.

Un second angle de vue porte à distinguer les valeurs « officielles » de l’Union Européenne de ses valeurs sous-jacentes, c’est-à-dire informulées, donc occultes, et procédant de son arsenal idéologique. Dans la masse colossale de ses textes, le système européen distille une idéologie qui rompt radicalement avec la plupart des conceptions qui ont prévalu en Europe pour avoir nourri ses progrès pendant plusieurs siècles. La rupture centrale est celle qui met fin aux idées de coopération, de solidarité, de partage, d’intérêt général, et à fortiori de service public. Pour être contrôlable, la société européenne doit être complètement atomisée par la neutralisation de ses corps intermédiaires, de ses structures collectives, afin d’assurer une emprise directe sur les individus par les nouveaux pouvoirs. L’extrapolation ultime de ce processus conduit à la meilleure définition jamais donnée en son temps à l’idéologie dominante en Europe : « la société n’existe pas, il n’y a que des individus » (Mrs Thatcher, premier ministre britannique).

Dans cet inventaire non exhaustif des «valeurs » de l’Union Européenne et de l’Euro, figure encore leur « rôle protecteur » (pour la stabilité, la croissance, le plein emploi et la prospérité, « l’économie de la connaissance la plus performante du monde », etc) qu’il est superflu de commenter.

En tant que requiem anticipé, le questionnement qui précède sur l’Union Européenne en tant que puissance mondiale n’aura plus aucun sens ni intérêt lorsque entrera en application le Traité transatlantique en gestation. La satellisation organique de l’Europe par les USA qu’il prépare restera une œuvre d’orfèvrerie politique et juridique, puisque toutes les institutions européennes devraient continuer de fonctionner dans un rôle de mise en scène et de simulacre.

Michel Ruch est diplômé de l’IEP de Strasbourg et de l’Institut des hautes études européennes. Il a publié L’Empire attaque : Essai sur Le système de domination américain, aux éditions Amalthée.

Les vues et les opinions exprimées dans cet article sont celles de leur auteur et ne reflètent pas nécessairement les vues ou les opinions d’Echo RadaR.

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