Monnaie virtuelle très controversée, le Bitcoin crée le débat avec d’une part ses détracteurs qui l’assimilent à une invention nuisible permettant le blanchiment d’argent et la fraude fiscale et d’autre part ses admirateurs qui le considèrent au contraire comme une révolution monétaire apte à bouleverser les moyens de paiement dits traditionnels. Aussi étonnant que cela puisse paraître, le rapport sénatorial du 23 juillet 2014 1 se range du côté de l’opinion des admirateurs. Inversement la Banque de France, elle, émet un avis farouchement opposé 2 au Bitcoin et souligne avant tout les risques issus de cette nouvelle monnaie.
[caption id="attachment_340" align="aligncenter" width="470" class=" "] Bitcoin Armstrong via le Bitcoin subreddit.[/caption] Avant de rentrer plus précisément dans le débat, quelques éléments de définition et de contexte s’imposent.Créé par un certain Satoshi Nakamoto, le Bitcoin est un système de paiement totalement décentralisé qui fonctionne sans l’intervention des banques et des États mais uniquement via un protocole informatique. Dans le cadre des monnaies ayant un cours légal, les banques jouent le rôle de tiers de confiance. Dans les transactions avec le Bitcoin, ce sont les utilisateurs eux-mêmes, sur un réseau pair à pair ou « peer to peer », et sous couvert de l’utilisation d’un algorithme cryptographique garantissant en principe la sécurité et l’anonymat, qui effectuent directement la transaction3.
Le Bitcoin a été créé avec la réelle intention de se substituer aux monnaies classiques car il remplit exactement leurs trois fonctions traditionnelles. En effet, il représente une unité de compte qui mesure la valeur des flux et des stocks de bien, de services ou d’actifs, il facilite les transactions commerciales pour l’acquisition de biens et services et enfin il permet de stocker une valeur pouvant être utilisée dans le futur.
Toutefois, juridiquement, le Bitcoin ne correspond pas aux caractéristiques légales imposées aux différents types de monnaie4.
En premier lieu, et pour revenir aux fondamentaux, l’article L.111-1 du Code monétaire et financier dispose que « La monnaie de la France est l’euro. Un euro est divisé en cent centimes.». Il en résulte que la monnaie est une unité monétaire. Certes, mais encore ! Comme le Bitcoin n’est pas l’euro, il n’est pas une monnaie au cours légal réglementé par l’État français. Il n’est donc pas concerné pas les sanctions du code pénal liées aux atteintes de la monnaie, où par exemple, un commerçant pourrait refuser un paiement en Bitcoin sans contrevenir à l’article R 642-3 code pénal.
De plus, l’ article L 315-1-I du code monétaire et financier 5,dispose que « la monnaie électronique est une valeur monétaire qui est stockée sous une forme électronique, y compris magnétique, représentant une créance sur l’émetteur, qui est émise contre la remise de fonds aux fins d’opérations de paiement définies à l’article L. 133-3 et qui est acceptée par une personne physique ou morale autre que l’émetteur de monnaie électronique. ». Or, le Bitcoin n’est pas émis contre la remise de fonds comme le texte l’exige mais grâce à un algorithme et ne fournit pas de garantie légale de remboursement à tout moment et à sa valeur nominale.
Au-delà, des dispositions juridiques citées, le Bitcoin peut quand même être rattachée à une notion définie par la Banque centrale européenne, qui elle, donnait, en 2012, la définition de la monnaie virtuelle : « monnaie dématérialisée non réglementée, créée et contrôlée par ses développeurs, utilisée et acceptée parmi une communauté d’utilisateurs ». Au final, le Bitcoin ne peut donc pas se définir comme une monnaie électronique mais bel et bien comme une monnaie virtuelle.
Cette monnaie virtuelle a l’avantage d’être un moyen de paiement innovant et de mettre en avant une nouvelle technologie car il s’agit d’une monnaie libre en open source pour la grande joie des militants du logiciel libre ainsi que pour les économistes libertariens qui voient dans le Bitcoin le moyen de se soustraire enfin à la « main invisible »6 !
De plus, il semble qu’elle garantisse à la fois l’anonymat au travers de la décentralisation du système. En effet, au cours de la transaction, personne n’est jamais en possession de l’information complète qui est, d’autant plus, chiffrée par une technologie cryptographique complexe.
Toutefois, cet anonymat favorise également le contournement des règles relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. L’exemple le plus significatif fut la fermeture aux États-Unis le 2o octobre 2013 du site Silk Road, site d’acquisition de produits notamment narcotiques en ligne et anonyme.
La sécurité n’est elle pas entièrement garantie par le chiffrement car les plateformes d’échange peuvent être piratées, certaines l’ayant d’ailleurs été, et aucune autorité ne veille à la sécurité des coffre forts électroniques qui permettent le stockage des Bitcoins. Avec pour corollaire qu’aucune garantie légale de remboursement aux détenteurs du Bitcoin ne peut leur être offerte.
En outre, la caractéristique majeure du Bitcoin est son caractère spéculatif et sa forte volatilité. Contrairement à l’or, le Bitcoin n’est pas une monnaie marchandise qui procure une contrepartie matérielle à son détenteur. La valeur de l’or est adossée à un bien précieux tandis que celle du Bitcoin ne repose que sur son appréciation par ses utilisateurs et résulte exclusivement de la confrontation de l’offre et de la demande. Ce système spéculatif par excellence, renforcé par la pénurie organisée fixée à un maximum possible de 21 millions de Bitcoins générables, a d’ailleurs déjà entrainé 2 krachs en l’espace de quatre ans d’existence !
Au final, une certaine unanimité prévaut préconisant un encadrement juridique du Bitcoin « pour empêcher les dérives sans compromettre la capacité d’innovation », selon le rapport sénatorial. Il s’agit donc bien d’encadrer sans interdire !
Cette régulation ne peut cependant être cantonnée au niveau national compte tenu de la dimension virtuelle et transfrontalière du Bitcoin et doit s’établir au niveau européen voire mondial. Cela d’autant plus qu’actuellement, de grandes disparités existent au niveau international. Par exemple, le Bitcoin est formellement interdit en Thaïlande tandis que l’Allemagne l’a reconnue en août 2013 comme une monnaie privée permettant ainsi à l’État fédéral de prélever une taxe sur toutes ces transactions7.
Cette réglementation doit établir avant tout la transparence du processus ainsi que le contrôle des plate-formes d’échange et des services de conversion entre le Bitcoin et les monnaies ayant un cours légal.
La solution alternative pour la survie8du Bitcoin est de proposer une solution de paiement électronique fondée sur le protocole du Bitcoin à savoir un paiement électronique qui ne transite pas par un réseau privé comme les réseaux bancaires mais par un réseau libre.
Ainsi, les transactions circulent via le réseau Bitcoin mais l’euro reste l’unité de compte des échanges et le moyen de paiement « apparent » grâce à un système de double compte. Cette solution conserve quand même l’existence d’un tiers de confiance et de l’encadrement par l’État. Le Bitcoin ne doit pas se positionner en concurrent des monnaies nationales mais plutôt s’intégrer dans le paysage du paiement électronique tout en se séparant de son image sulfureuse.
3C, Securité des Systèmes Juridiques
Autres sources sur le même thème :
L’encadrement des monnaies virtuelles – Recommandations visant à prévenir leurs usages à des fins frauduleuses ou de blanchiment par TracFin (cellule française de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme)
Note Stratégique de CEIS – Monnaies virtuelles et cybercriminalité – État des lieux et perspectives du 10 avril 2014.
8 En pratique, seules 40 transactions en Bitcoin sont enregistrées par minute au niveau mondial contre 200 000 transactions avec la carte Visa.