Le 26ème sommet de l’APEC qui s’est tenu en la ville de Pékin les 10 et 11 novembre 2014 a réuni la majeure partie des puissances qui comptent dans le monde. Ce fut notoirement l’occasion d’une brève entrevue entre le président américain Obama et son homologue russe Poutine. Et la démonstration d’un acte de galanterie de la part de ce dernier envers la première dame de Chine, la chanteuse Peng Liyuan, censurée par la télévision chinoise de peur de laisser naître de perfides allusions.
Ce faisant, cette rencontre fut bien plus cruciale qu’une simple agape telle que le G8 (devenu G7 depuis l’exclusion de la Russie) car d’une part symbolisant la montée en puissance de cette zone devenue le moteur de l’économie mondiale (le FMI prévoyant 5,5 à 5,6% de croissance pour 2015 dans son dernier rapport [1] ) et d’autre part le lieu d’annonces remarquables pesant à la fois sur le monde géopolitique et sur la finance.
Dans ce second registre, mentionnons l’évolution et la libéralisation prochaine (le 17 novembre si l’opération n’est pas reportée) des bourses de Shanghaï et de Hong-Kong. L’interconnexion entre les deux bourses va avoir pour principale conséquence que des titres chinois pourront être détenus et échangés par des étrangers. Le Shanghaï-Honk Kong Connect va de la sorte permettre une croissance des échanges entre les deux bourses et avec l’extérieur, moyennant quelques restrictions résiduelles.
Or c’est ce moment précis que choisit la seconde banque de Russie, la VTB (Vnechtorgbank), pour annoncer qu’elle entend se décôter du London Stock Exchange (inscrite depuis 2007) pour s’inscrire dans cette dynamique des bourses chinoises. Le propos n’est pas anodin et doit être couplée à cette volonté réitérée par les autorités russes et chinoises de peser sur les échanges mondiaux en opérant des échanges financiers roubles/yuans en lieu et place du dollar. La mise à l’index puis les sanctions opérées envers des banques comme la française BNP Parisbas ayant utilisé le dollar pour des transactions avec des pays frappés d’embargo n’ont pas peu incité à l’accélération de mesures visant à se rendre moins dépendants du billet vert. Ce programme conclu en août 2014 signifie concrètement que la Chine s’engage progressivement à acheter des matières premières russes en yuans/roubles et que la Russie opèrera de même pour ses importations de produits chinois.
En sus, l’APEC a été le théâtre de l’affrontement de projets de coopération économique régionale : l’un d’essence américaine, l’autre d’inspiration chinoise mais tous deux visant à accroître les échanges de la zone Asie-Pacifique. Si l’Australie a répondu présent au dessein américain, la Russie a apporté son rapide soutien à la proposition chinoise. Une annonce qui a raffermi temporairement la monnaie russe, laquelle a dévissé conséquemment depuis le 30 octobre, date à laquelle Wall Street et la City ont décidé de mener une guerre monétaire sur le rouble russe, avec le concours de leurs alliés de l’OPEP [2].
Cette volonté de prise en main des destinées financières mondiales augurent d’une aggravation des relations futures avec nombre de pays occidentaux. Car l’arme économique et financière bascule de plus en plus de l’ouest vers l’est : tant la Chine, atelier et créancier du monde, que Singapour, nouvelle ruche de la finance mondiale, pèsent d’un poids conséquent sur les échanges mondiaux et ne peuvent plus être ignorés par les décideurs.Quant à la Russie, ses deux prochains écueils dans l’immédiat sont, comme le mentionne l’économiste Jacques Sapir : une inflation à maîtriser pour éviter qu’elle ne gangrène trop le système économique et ne rogne sur le pouvoir d’achat des ménages ; une baisse des investissements, corollaire d’une hausse des taux d’intérêt par la banque de Russie.
Ces indicateurs seront surveillés de très près ces prochaines semaines, le temps soit de laisser le rouble se renforcer soit de prendre des mesures régulationnistes. Mais aussi le temps de gérer les évènements géopolitiques et géoéconomiques à l’origine d’une telle complication.
Yannick Harrel, Cyberstratégie Est-Ouest
[2] Une situation qui ne fait pas que des malheureux : outre que les exportations seront facilitées avec un rouble faible, nombre d’acteurs étrangers ont récemment investi dans des valeurs russes en misant sur un rebond prochain, et lucratif à terme, de la bourse russe. Laquelle est de toute façon considérée comme un marché versatile. L’investisseur Jim Rogers n’hésitant pas à le qualifier de marché le plus haï de la planète en raison de sa susceptibilité aux influences géopolitiques et géoéconomiques. Enfin, en 1998, la crise financière qui avait sérieusement touché de nombreuses institutions avait permis de « lessiver » de nombreuses structures peu rentables et mêmes frauduleuses pour certaines, reposant sur un système dit Ponzi (précédé en 1997 par la chute de la banque MMM qui ruina des centaines de milliers d’épargnants) tout en obligeant à une régulation plus stricte des échanges et des accréditations d’exercice.
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