Recension du livre de Nicolas CHEVASSUS-AU-LOUIS
« Au matin du 6 août 1945, la première bombe atomique de l’histoire explose sur Hiroshima, tuant sur le coup 75000 personnes. Des dizaines de milliers d’autres périront dans les jours, les mois, les années à venir des séquelles de leurs brûlures et de l’irradiation ». Cette ultime démonstration de force des États-Unis a considérablement changé la donne stratégique de la Seconde guerre mondiale et de l’ensemble des conflits futurs. La frappe nucléaire devenant l’arme de dissuasion absolue, l’arme qui instaure la peur face à ce que pourrait être à nouveau une véritable catastrophe humaine.
Les deux frappes nucléaires américaines des 6 et 9 août 1945 interviennent à la grande surprise des dix physiciens allemands prisonniers des Alliés à Farm Hall, maison sous écoute et lieu de l’opération Epsilon [1] . Cet étonnement sincère démontre que l’élite scientifique allemande n’était donc pas intellectuellement prête de son côté à concevoir intégralement l’arme nucléaire malgré des recherches poussées dans cette matière. Ces écoutes révèlent également que les physiciens allemands eux-mêmes vont avancer toutes sortes d’explications au fait que l’Allemagne n’ait pas réussi à fabriquer avant les États-Unis la bombe nucléaire. Pourquoi, (heureusement !), Hitler n’a pas eu la bombe atomique ? L’Allemagne nazie était-elle oui ou non en mesure de concevoir une bombe atomique durant la Seconde guerre mondiale ? Le livre de Nicolas Chevassus-Au-Louis présente, du côté de l’Allemagne, les différents épisodes de la course à l’atome durant la Seconde guerre mondiale.
L’Allemagne annoncée favorite dans la course à l’arme nucléaire « La course à l’arme atomique débute le 6 janvier 1939, neuf mois avant que le Seconde Guerre mondiale n’éclate » et c’est l’Allemagne qui part la première au travers d’un article scientifique corédigé par Otto Hahn [2] , prix Nobel de Chimie en 1944, considéré comme le « père de la chimie nucléaire », et par son assistant Fritz Strassmann. Dans cet article, les deux chercheurs énoncent qu’ils ont réussi à désintégrer l’atome d’uranium en deux atomes plus petits : il s’agit de la fission de l’uranium! Sur la ligne de départ, l’Allemagne a tout pour remporter cette course. D’une part, elle regroupe dans sa population les meilleurs physiciens et chimistes par rapport aux autres nations, même si elle a subi en 1933 quelques départs d’imminents scientifiques dont Albert Einstein. D’autre part, l’Allemagne met en place deux puis quatre ambitieux programmes de recherche relatifs à la bombe nucléaire dont le plus célèbre est le programme Uranverein (mot-à-mot «l’association de l’atome») qui réunit l’élite des physiciens du pays. En outre, l’arrivée effective de la guerre ainsi que le rapide succès de la Blitzkrieg [3] va permettre des avancées majeures dans la recherche nucléaire allemande. Dès août 1940, les Allemands s’emparent du cyclotron [4] des laboratoires Curie à Paris et augmentent leurs réserves en uranium produit dans les mines du Congo belge et en eau lourde [5] dont la seule usine mondiale se situait alors en Norvège. Toutefois, à l’image de l’enlisement de l’armée allemande sur le front de l’Est et grâce aux bombardements alliés, la recherche nucléaire allemande va connaître également une stagnation notable, en grande partie à cause du sabotage de la réserve d’eau lourde dans l’usine Rjukan. Malgré cette inertie, il est probable que l’Allemagne ait quand même réussi à effectuer un essai nucléaire atomique en mars 1945 qui aurait eu lieu dans une zone forestière en Thuringe.
Un essai nucléaire allemand, mythe ou réalité ? Cet événement a été source de quelques mythes mais également d’une thèse plus vraisemblable, d’ailleurs confirmée par Rainer Karlsch, historien allemand, qui dans son livre « La bombe de Hitler » [6] , prouve que les nazis ont testé plusieurs bombes nucléaires tactiques entre octobre 1944 et mars 1945. Le sérieux de cette thèse est étayé par l’exploration fouillée d’archives russes et par l’analyse des sols confirmant la présence, entre autres, de césium 137 et de cobalt 60 [7] . Cet essai aurait été vraisemblablement l’œuvre d’un groupe concurrent de l’Uranverein piloté directement par les Schutzstaffen c’est-à-dire les SS, exigeant fin 1944 une accélération des recherches nucléaires au regard des nombreuses défaites subies par le III ème Reich. Toutefois, le manque de matières fissiles n’a pu aboutir à un essai concluant. Cela montre quand même, qu’à terme et sans doute après plusieurs essais, l’Allemagne aurait pu se doter de l’arme atomique. Si cette thèse reste la plus plausible, force est de constater qu’elle soulève encore quelques scepticismes de la part d’autres historiens car selon Harry Lustig, professeur émérite de physique à la City University de New York, il est étonnant qu’aucun document écrit durant la guerre ne relate cet événement ou qu’aucun participant n’ait raconté cet épisode dans ses mémoires.
La défaite atomique du Reich Au final, l’échec allemand peut s’expliquer par plusieurs causes. La dispersion entre les différents groupes de recherche ne communiquant pas entre eux et ne bénéficiant pas d’un moteur comme, par exemple, un soutien politique fort qui fut accordé en revanche aux fusées et aux avions à réaction, est la principale raison. A titre d’exemple, l’Uranverein a changé trois fois de direction et il est passé à plusieurs reprises d’une tutelle civile à une tutelle militaire. La désorganisation interne de l’appareil d’État nazi a mené à l’échec à la fois de la recherche nucléaire allemande mais également in fine du régime nazi. « Le 14 juin 1949, Vannevar Bush, conseiller scientifique du président Roosevelt, prononça un discours dans lequel il expliquait les raisons de l’échec du programme nucléaire allemand : La raison de cet échec est vitalement importante. [ …] Sa véritable raison fut la mise au pas dans un système totalitaire. L’organisation de guerre, dans ce système, était lamentable ». De plus, les Allemands ne possédaient pas assez de matériaux fissiles, comme l’uranium enrichi pour construire des bombes A, et le choix unique d’un enrichissement d’uranium a conduit inexorablement au gaspillage des ressources allemandes limitées. Enfin, il est possible d’imaginer que la lente avancée de la recherche allemande peut également être interprétée comme une résistance passive de la part de certains physiciens allemands, pas tous adhérents du NSDAP [8] , qui face aux horreurs faites par les Nazis préfèrent ne pas faire aboutir leurs recherches sur le nucléaire.
Du côté des Alliés, c’est grâce à la surenchère technologique entre les deux fronts que les Américains vont finir par gagner cette course à l’arme nucléaire. En effet, les Américains sont habités par une réelle peur que les Allemands arrivent à obtenir la bombe nucléaire avant eux [9] . Le fait de surestimer les Allemands est probablement un des facteur du succès des études américaines sur le nucléaire, encore appelé le projet Manhattan qui regroupe 130 000 personnes travaillant à temps plein.
En conclusion et selon l’opinion de l’auteur de cet article, Hitler n’a pas eu la bombe atomique car, contrairement aux autres wunderwaffen [10] , il n’y croyait tout simplement pas ! Il a préféré mettre les moyens financiers et humains sur des armes rapides à fabriquer et qui produisaient des résultats immédiats et quantifiables. Le programme nucléaire n’était pas pour lui une priorité stratégique.
Les deux forces de la frappe nucléaire restent, depuis les événements d’Hiroshima et Nagasaki, sa caractéristique de dissuasion, ainsi que, depuis le traité de non prolifération des armes nucléaires (TNP) du 1er juillet 1968, le cantonnement de cette arme aux cinq nations du conseil de sécurité de l’ONU [11] qui ne doivent pas aider un autre pays à acquérir des armes nucléaires et à d’autres nations qui s’engagent à ne pas fabriquer d’armes nucléaires et à ne pas essayer de s’en procurer. Même, si aujourd’hui de nouveaux conflits asymétriques apparaissent, il reste encore primordial de veiller à la restriction stricte de l’obtention d’une telle arme par d’autres pays notamment dictatoriaux.
[1] http://www.paperlessarchives.com/wwii-operation-epsilon.html [2] http://www.universalis.fr/encyclopedie/otto-hahn/ [3] En l’espace de trois mois, l’Allemagne a envahi le Danemark, la Belgique, la Norvège et la France. [4] Le cyclotron est un accélérateur de particules qui utilise l’action combinée d’un champ électrique et d’un champ magnétique, afin d’accélérer et de confiner les particules dans un espace restreint http://www.sciences.univ-nantes.fr/sites/genevieve_tulloue/Meca/Charges/cyclotron.html [5] www.societechimiquedefrance.fr/produit-du-jour/eau-lourde.html [6] ? La Bombe de Hitler de Rainer Karlsch – éd. Calmann-Levy – 521p., 25€. [7] Le césium 137 est un des produits de fission possibles de l’uranium et le cobalt 60 est l’une des traces de l’existence passé d’un flux de neutron intense. [8] Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei, désigné sous le sigle NSDAP qui est le parti Nazi mené par Hitler. [9] En 1940, Einstein adresse une lettre à Roosevelt pour le mettre en garde que l’Allemagne nazie obtienne en première la bombe atomique. [10] Lire l’article « Armes de rupture, armes miraculeuses, le miracle n’est pas venu du ciel » sur EchoRadar paru le 21 décembre 2014. [11]Les cinq nations qui siègent au conseil de sécurité de l’ONU sont la Chine, les États-Unis, la Russie, la France et le Royaume-Uni.]]>
[…] Armes miraculeuses, armes de rupture ? Pourquoi Hitler n’a pas eu la bombe atomique ? […]