Asseoir une puissance militaire, économique et politique ne relève pas uniquement du nombre de fantassins ou de l’avance technologique. Pour l’avoir oublié, les attentats du 11 septembre 2001 sont venus cruellement rappeler aux États-Unis et au reste du monde qu’il faut préalablement être bien informé afin d’apprendre à mieux connaître son ennemi, sa façon de penser, mesurer ses forces et ses faiblesses, le désinformer au besoin, etc.
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Ce principe est parfaitement illustré par les opérations militaires actuelles en Irak, en Afghanistan et, dans une moindre mesure au Pakistan : un rapport de forces a priori très déséquilibré n’est pas suffisant pour l’emporter sur le terrain. Le parallèle qui peut être fait entre les États-Unis, superpuissance mondiale depuis plus d’un demi-siècle et l’Empire romain il y a deux millénaires, semble suffisamment pertinent pour s’y intéresser.
L’Empire romain à son apogéeL’expression est utilisée pour décrire l’État romain pendant et après l’époque du premier empereur, Auguste. L’expansion romaine commence à l’époque de la République, vieille de 500 ans (509 av. J.-C. – 27 av. J.-C.), à laquelle succède l’Empire romain qui atteint son apogée sous l’empereur Trajan en l’An 116 . À ce pic territorial, l’Empire romain contrôle approximativement 6 500 000 km2 de territoire.
Renseignement et espionnage dans la Rome antique, l’ouvrage de référenceEn 2005 est publié l’ouvrage historique de référence sur le sujet : Renseignement et espionnage dans la Rome antique [1] du Colonel Rose Mary Sheldon. Chercheuse et historienne, RM Sheldon va montrer comment le renseignement va passer d’une activité embryonnaire et entachée d’amateurisme aux origines de Rome (recours aux renseignements fournis par des transfuges ou des prisonniers de guerre torturés) pour devenir une activité organisée, très élaborée et surtout efficace à partir du règne de l’empereur Auguste (27 av. J.-C), successeur de Jules César, jusqu’à celui de Dioclétien (3è siècle ap. J.-C).
Les Romains n’ont au départ ni le goût, ni le savoir-faire en matière d’espionnage. Pour eux, la guerre est avant tout affaire de force, non de ruse qu’ils laissent à leurs ennemis. Ils ont pourtant une caractéristique qui participe de leur puissance : l’apprentissage par l’erreur. Ces erreurs, (relativement) peu nombreuses mais cuisantes, qu’elles soient de l’ordre de la défaillance du renseignement ou de l’utilisation inadéquate de renseignements disponibles, vont leur servir : les deux campagnes de César en Bretagne, celle de Crassus qui envahit le royaume des Parthes en n’ayant aucune idée de ce qu’il va rencontrer, Varus contre les Germains ou, inversement, l’invasion réussie de l’Italie par Hannibal (qui disposait d’un service d’espionnage pour récolter de l’information mais aussi pour désinformer). Militairement, on doit également souligner les qualités d’observation (reconnaissance dans la profondeur) de Scipion l’Africain.
Sans chercher à en institutionnaliser les principes, les empereurs successifs ont su tirer profit d’activités structurées de renseignement. Sous l’Empire, Auguste prend les choses en main et le renseignement se professionnalise. Cela n’empêche pas toujours les défaites, comme celle du Teutobourg où les Romains étaient avertis du retournement d’Arminius… mais avaient ignoré l’information.
Des frumentarii aux agentes in rebusQuelle que soit l’époque, toute armée a besoin en premier lieu de connaître la localisation des unités ennemies. Ce qui implique de connaître la topographie, les voies de communication, la taille des unités ennemies, leur équipement ainsi que les objectifs stratégiques comme le ravitaillement (à l’époque, les greniers à blé ou les fermes).
Les échecs cuisants subis à l’époque républicaine, contre les Gaulois, les Samnites, les Carthaginois ou les Parthes, convainquirent Auguste et ses successeurs de mettre en place un service de renseignement qui, en réalité, fut tourné bien plus vers la sécurité intérieure que vers les opérations extérieures.
L’Empire finit donc par spécialiser des hommes dans ce type de mission, les frumentarii. Issus des légions, ils sont officiellement chargés de l’approvisionnement en blé. Ce ne sont cependant pas des espions au sens traditionnel du terme car leurs missions sont multiples : bureau de poste, collecte des impôts, voire dans certaines périodes, l’assassinat politique.
À la fin du IIIe siècle, Dioclétien créa les agentes in rebus («ceux qui sont chargés des affaires»), et rendit le système plus efficace encore. Les princes chrétiens qui lui succédèrent les pérennisèrent en les utilisant jusque dans les affaires religieuses.
ConclusionLes activités de renseignement font partie intégrante de l’art de gouverner et, sans elles, les Romains n’auraient pas pu édifier et protéger leur empire. Même s’il ne séparaient pas les différentes fonctions du renseignement entre activités civiles et militaires, une grande partie de leurs activités de renseignement ressemblaient aux nôtres. L’éventail des activités concernées est assez large: collecte de renseignements, contre-espionnage, infiltration, opérations clandestines, utilisation (limitée) de codes et de chiffres. Toutes ont laissé des traces littéraires, épigraphiques mais aussi archéologiques.
Il est néanmoins vain de vouloir balayer un sujet aussi vaste en quelques paragraphes. Pour autant, les questions soulevées par le parallèle qui peut être fait entre l’époque romaine et l’époque actuelle sont pertinentes voire troublantes: les méthodes de renseignement ont radicalement changé avec l’avènement de la technologie moderne mais les principes restent étonnamment similaires et immuables.
Du point de vue politique, les interrogations plongent leurs racines dans le monde gréco-romain : quelle place ont les services de renseignement dans une démocratie et une république ? Enfin, de la République romaine à l’Amérique du XXIe siècle, ce n’est jamais la technologie ou la force qui font le bon stratège, c’est d’abord le renseignement.
[1] http://www.lesbelleslettres.com/livre/?GCOI=22510100061800 Sources : http://fr.wikipedia.org/wiki/Empire_romain http://en.wikipedia.org/wiki/Frumentarii http://www.nonfiction.fr/article-3250-espions_sur_le_tibre.htm http://www.lesbelleslettres.com/livre/?GCOI=22510100061800 http://www.bortzmeyer.org/rome-espionnage.html http://www.scienceshumaines.com/renseignement-et-espionnage-dans-la-rome-antique-jean-vincent-holeindre_fr_25126.html http://www.histoire.presse.fr/content/2_articles/article?id=12011 Note : article écrit en février 2011 et paru simultanément sur mon blog et celui de l’Alliance géostratégique]]>