Les 10, 11 et 12 mars 2015 se déroulait dans la capitale des Gaules un ambitieux colloque pour « Repenser la Guerre ». Celui-ci était organisé en hommage au professeur Coutau-Bégarie, dans l’enceinte de l’université Jean Moulin (Lyon III).

La communication du professeur Martin Motte (Directeur d’études à l’EPHE, enseignant à l’Ecole de Guerre et membre du CESM) – « La stratégie maritime comme interface du politique et du militaire dans l’œuvre d’Hervé Coutau-Bégarie » – ne pouvait qu’intéresser tous ceux ayant apprécié l’apport du maître à la stratégie maritime en France.

ob_43105c_10-03-2015-repenser-la-guerre-theor Avant de poursuivre, il est parfaitement entendu que les propos rapportés (ci-dessous) ne sont qu’une transcription de cette communication. Toute erreur ou méprise, tout ajout ou oubli ne saurait être que de la seule responsabilité de l’auteur de ces lignes.

Martin motte introduisait son propos par une citation du professeur Coutau-Bégarie :

« Les fonctions de la marine en temps de paix sont nettement plus importantes que celles de l’armée de terre parce que sa flexibilité est incomparablement plus grande. » Hervé Coutau-Bégarie, Le Meilleur des ambassadeurs (2013).

Nous arrivons au propos central de l’exposé développé en trois parties : le contexte des années 1980 – dans lequel émerge la pensée de Coutau-Bégarie –, son rapport aux stratèges navals du XXe siècle (Mahan, Corbett et Castex) et, enfin, la mise en regard de l’héritage par rapport aux enjeux maritimes actuels.

I – le contexte des années 1980

Hervé Coutau-Bégarie débute sa carrière de penseur stratégique dans le contexte des années 1980. Ce contexte peut se découper selon trois grands moments distincts :

  • une guerre aéronavale de haute intensité ;
  • une mutation radicale du droit de la mer : la convention des Nations unies sur le droit de la mer (1982) ;
  • une extension de la guerre aéronavale de côtière à haute mer.

Le conflit Est-Ouest (1947-1991) est aussi un affrontement naval sans précédent. Les flottes américaine et soviétique s’affrontent – en temps de paix – sur une large partie des mers du globe avec l’appui de leurs alliés. Certains affirmeront – en corollaire – que ce conflit était aussi un intense affrontement anti-sous-marin autour du rôle joué par les dissuasions nucléaires océaniques.

Ce décor accouchera d’affrontements navals de haute intensité dont la guerre des Malouines (mai-juin 1982). Cet épisode constitue une des rares guerres inter-étatiques ayant eu un volet maritime poussé. Il s’agissait du dernier engagement d’un navire de conception opérationnelle de la seconde guerre mondiale. Bien mal en a pris au croiseur argentin Belgrano, torpillé par le HMS Conqueror.

Au demeurant, cette guerre restait de bout en bout sous contrôle politique. Par exemple, il n’y eu pas de bombardement de l’Argentine ou de guerre des communications contre le commerce maritime. L’ascension aux extrêmes, concept clausewitzien, ne s’est pas produite.

La Convention de Montego Bay (1982) est le fruit d’un long débat juridique. Lors du café géostratégique numéro 3 (ajout de l’auteur de ces lignes), le professeur Coutau-Bégarie expliquait en quoi cette nouvelle régulation des mers et des océans introduisait un processus de territorialisation des mers. Le XXe siècle apportait de nombreux conflits entre flottes de pêches aux débats, notamment en Atlantique Nord et Sud, ainsi que dans le Pacifique. Les zones économiques exclusives sont la plus grande manifestation de cette territorialisation La mer comme res nullius est battue en brèche. Le professeur Motte de remarquait que désormais il peut y avoir conflit, non plus pour les ressources contenues dans l’Océan ou la libre navigation, mais bien des conflits pour une portion de l’Océan. De remarquer aussi que c’est une chance pour la France, qui, avec plus de 11 millions de km², dispose d’un avantage stratégique considérable dans cette course à l’expansion en mer.

Dernier et troisième point, la pensée d’Hervé Coutau-Bégarie émergeait aussi dans un contexte d’affirmation de la flotte rouge en haute mer. Il est remarqué pour son ouvrage La puissance maritime soviétique (1983, IFRI). Ce dernier constituera une « carte de visite » qui lui vaudra d’être recruté pour représenter la France l’ONU. Flotte rouge, donc, qui est conçue pour l’essentiel par l’amiral Gorshkov. Alors que la marine soviétique était souvent présentée comme un outil défensif, il a pu être avéré qu’elle était très certainement un outil offensif. Par exemple, les zones de déploiements de cette flotte présentait des jonctions intéressantes. Les flottes de la mer Noire et de la mer Blanche pouvaient tenter de se concentrer dans l’Atlantique pour faire la guerre au commerce. La même manœuvre pouvait être tentée à l’égard de la Chine et du Japon grâce à la flotte du Pacifique. Le positionnement régulier de navires du côté du Golfe Arabo-Persique pouvait prétendre à couper la route du pétrole. La présence de la Flotte rouge au large de l’Afrique servait à soutenir les mouvements ayant la faveur de Moscou. Tout comme c’était là aussi une opportunité de pouvoir couper la seconde route du pétrole en cas d’impossibilité d’emprunter le canal de Suez. Ces capacités de projection étaient facilité par la progression des régimes favorables sur le pourtour de l’Afrique. Rayonnement qui, à son tour, reposait aussi sur les capacités nouvelles de la flotte. C’est un usage de la marine en temps de paix.

II – De Mahan à Corbett et Castex

Hervé Coutau-Bégarie abordait le patrimoine des grands stratèges navals. Il les mettait à la portée du grand public. Principal éducateur maritime des français sur ce domaine là. Il serait même le « père de l’histoire navale française » (selon un ancien président de Paris IV).

« L’empire de la mer est indubitablement l’empire du monde. » Amiral Alfred Thayer Mahan (1900).

Lecteur de Mahan. Coutau-Bégarie le critiquait. Pour l’américain, l’objectif du combat naval est la maîtrise de la mer par la destruction de la flotte ennemie. Cet objectif atteint, le maître de la mer mer peut ainsi contrôler le commerce et donc le dominer face à ses ennemis, quitte à les couper de celui-ci.

« La stratégie navale n’existe pas en tant que telle. Elle est seulement une partie d’une branche de l’art de la guerre, laquelle est une continuation de la politique étrangère. » Julian S. Corbett (1906).

Vision simpliste critiquait dès le début du XXe siècle par Corbett. Les enjeux des guerres se décident à terre. La stratégie navale est donc subordonnée à la stratégie terrestre. La destruction de la flotte ennemie ne signifie donc pas la victoire. Il dédit Mahan en faisant remarquer qu’il s’écoule dix ans entre Trafalgar (21 octobre 1805) et Waterloo (18 juin 1805).

Les missions principales de la marine sont donc la protection du commerce, l’aide éventuelle aux alliés, la guerre amphibie et les opérations de protection des voies de communication.Il explique ainsi que de la Grande stratégie découle les stratégies terrestre, économique, diplomatique et maritime. Et de cette dernière dépend la stratégie navale.

Corbett insiste, par ailleurs, sur les différences géographiques entre la terre et la mer. Cette dernière ne peut pas être conquise ou contrôlée durablement, car inhabitable. Juridiquement, la mer est res nullius ou res omnium. Apparaît alors une conséquence immédiate : il n’est pas possible d’exclure les neutres de la mer. La stratégie maritime implique donc une stratégie juridique. Le risque est que les neutres se retournent contre une partie des belligérants s’ils ne respectent pas les règles juridiques.

Il montrait aussi qu’une guerre maritime peut plus facilement demeurer terrestre.

« Les missions des forces maritimes est d’obtenir le contrôle des communications essentielles et de travailler avec les forces terrestres à son exploitation économique et militaire, dans le cadre de la guerre navale. » Amiral Raoul Castex (1929).

L’apport de Castex est notamment l’enrichissement du logiciel corbettien. Il apporte la « paix » définitivement dans la guerre des écoles par la synthèse des approches de la stratégie maritime. Aussi, il introduisait la servitude dans le vocabulaire. L’action de chaque armée ou de chaque secteur de la stratégie nationale n’est pas libre, il est en servitude par rapport aux autres secteurs de la stratégie. Il insistait sur les servitudes juridiques, et en particulier celle de l’opinion publique.

III – Les enjeux maritimes actuels

L’héritage d’Hervé Coutau-Bégarie est considérable pour aborder les enjeux maritimes actuels. Le premier sans être l’un des moindre est la multiplication par 8 du trafic maritime depuis 1960. Il totalise de 80 à 90% du commerce mondial. Les flux pétroliers représentent le tiers du total.

La première des menaces pour la mer, artère du commerce mondial, est en tout premier lieu la résurgence de la piraterie. Ils opèrent de manière trop artisanale pour perturber les flux. L’amiral Castex parlerait de servitude économique et médiatique puisque, entre autres conséquences, la piraterie pèse sur les conditions financières des transports (les primes d’assurance).

La seconde de ces menaces n’est autre que le terrorisme. Il peut frapper les flux maritimes, ce ne serait pas une première, eu égard à l’attaque du pétrolier Limburg (6 octobre 2002) par Al-Quaïda. Le théoricien du djihad global, Abu Mus’ab Al-Suri, dans ses travaux signalent que cinq des plus grands détroits internationaux sont situés en terre d’Islam. Aurons-nous demain une maritimisation du djihadisme ?

La troisième de ces menaces est l’immigration clandestine massive par voie de mer. L’actuel first sea lord – l’amiral Sir George Zambellas – reconnaissait que c’est un problème de niveau stratégique. C’est aussi l’avis de la Marina militare comme de groupes libyens voulant employer cette « arme ». Comment concilier les droits des clandestins comme ceux des Etats européens ?

Ce qui revient à souligner la place des marines, toujours en première ligne dans les gestions de crise. C’est l’exemple de l’opération Baliste (2006) où la Royale évacuait 13 000 personnes au Liban. Hervé Coutau-Bégarie comptabilisait plus de 22 000 personnes évacuaient par la Marine nationale depuis 1973 dans son ouvrage sur la diplomatie navale.

Concernant la stratégie des moyens, l’importance du porte-avions est soulignée comme arme de statut et comme outil de souplesse opérationnelle. Dans le cas de la guerre du Kosovo (1999), le délai de réaction des avions du groupe aérien embarqué est réduit à 30 minutes contre 3 à 4 heures pour ceux basés en Italie.

Dernier point, aujourd’hui l’exploitation de la mer n’est jamais allée aussi loin depuis l’histoire de l’humanité. C’est l’exploitation des protéines, des énergies marines, l’exploitation énergétique offshore (le tiers des gisements). Nous retrouvons les problématiques de Montego Bay. Nous pouvons imaginer des guerres demain livrés pour la première fois pour le contrôle d’une zone de mer car elle devient un enjeu à part entière.

En conclusion, le combat de haute intensité est une capacité que doivent conserver les flottes de guerre. Depuis la flotte rouge jusqu’à nos jours, les marines offrent aux décideurs des gammes d’actions très large ce qui permet de s’intéresser plus à la stratégie maritime plutôt qu’à la stratégie navale trop restrictive.

Le marquis de Seignelay

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