« La vitesse est la forme d’extase dont la révolution technique a fait cadeau à l’homme. » De qui est cette citation? D’un ancien ou actuel pilote de course? D’un amateur de sensations fortes? D’un drogué du volant? Non, de Milan Kundera (1929), le célèbre écrivain franco-tchèque. Encore que j’aurais pu choisir d’autres thuriféraires du vent dans les cheveux tel le chantre du futurisme italien Filippo Marinetti (1876-1944).
Les limitations de vitesse généralisées, visant les véhicules de particuliers, eurent lieu entre la fin des années 1970 et au début des années 1980 en Europe. Pour des raisons de sécurité mais aussi de préservation des ressources fossiles (et ce faisant de la balance commerciale) en raison de la première crise du pétrole en 1973. Depuis, elles n’ont cessé de s’accentuer dans la majeure partie des territoires tout en s’agrémentant de brise-vitesses les plus ingénieux les uns que les autres (ronds points en série, chicanes, coussins berlinois et autres dos d’âne). Et dont certains dispositifs font le délice des garagistes, sans que leur dangerosité ne soit pourtant un frein à leur essor.
Ce qui est symptomatique c’est que l’évolution technique relative à la sécurisation de la conduite des véhicules a été de pair avec une augmentation de leur puissance mais que les limitations n’ont cessé paradoxalement de se durcir.
Certes historiquement ces limitations ont vu le jour rapidement après l’avènement de l’automobile comme moyen de transport en croissance : d’une part en raison de l’inadéquation du revêtement routier et d’autre part du manque de dispositifs des véhicules à assurer la sauvegarde du conducteur, des passagers et des autres usagers de la voirie. Toutefois à partir des années 60, et ce y compris sur les circuits automobiles, le credo est de disposer d’autre chose que d’un corbillard sur roues (par exemple, les premières ceintures de sécurité vendues en format standard datent de 1958, par le constructeur suédois Saab). Or la crise pétrolière précitée n’est pas la seule responsable : la baisse drastique de la démographie va jouer concomitamment et même plus puissamment sur les nouvelles politiques. Et corrélativement plus la population va vieillir, moins elle va accepter la capacité de déplacement d’autrui car la peur du mouvement, la peur du changement, la peur de l’innovation vont, combinés à une masse électorale conséquente et de plus en plus pesante en raison d’une longévité accrue, à freiner l’évolution et même la circulation.
De plus, les villes de taille importante tendent à expulser les véhicules de chez elles (sans se demander comment les livraisons de produits pourront à terme être assurées?), confortant la thèse de ceux qui évoquent l’émergence de cités-bulles déconnectée de leur périphérie. Ces lieux où désormais un simple vélo est plus rapide qu’une automobile ou un transport en commun! Faire de la bicyclette l’avenir de la société, c’est dire combien l’idée de progrès est renversée! Au lien d’en faire un complément de déplacement, l’on en vient à la sacraliser. Cette évolution est symptomatique d’une société qui se meurt, qui refuse tout simplement le changement et dont le corps dirigeant erre entre le cynisme, le clientélisme électoral, et les lobbies ne représentant qu’une frange infinitésimale de la population. Le tout mâtiné d’hygiénisme dont le résultat produit des conséquences nocives : stress, volonté de transgresser des lois jugées étouffantes, rétrécissement de l’horizon géographique et intellectuel etc. En somme, c’est un esprit mortifère qui règne sur la question et dont les victimes de la route ne sont que de bien malheureuses et commodes excuses.
Cette politique inchangée depuis trop longtemps est un aspect qui se doit d’être analysé sous les angles démographique, philosophique, sociologique et économique. Économique oui, car plus vous restreignez la vitesse de déplacement plus vous contractez l’essor économique : c’est une évidence.
Sur le sujet, un document à lire sur le rôle de bride économique : La Tribune, Réduire les limitations de vitesse, c’est freiner la croissance et l’emploi, 6 janvier 2014, http://www.latribune.fr/blogs/cercle-des-ingenieurs-economistes/20140103trib000807759/reduire-les-limitations-de-vitesse-c-est-freiner-la-croissance-et-l-emploi.html
Contrairement à une idée intuitive,la réduction de la vitesse sur route et autoroute ne conduit pas, statistiquement, à augmenter les temps de trajet mais à diminuer la distance moyenne parcourue par trajet, ce que l’on appelle la portée du déplacement. Il en résulte une perte d’efficacité économique. La fonction économique essentielle d’un territoire desservi par un réseau de transport est en effet d’assurer la meilleure synergie possible entre les compétences de plus en plus diversifiées des actifs et les spécificités de plus en plus avancées des emplois qu’ils convoitent pour exercer leurs talents. … Lorsque la zone de chalandise des emplois est amputée du fait de la réduction des portées de déplacement, la synergie est mise en défaut et il y a baisse de productivité des actifs, donc de la richesse produite. A quoi cela sert-il de former de mieux en mieux les jeunes français si on leur interdit simultanément d’accéder commodément aux emplois correspondant à leurs compétences ?
Ceux qui prétextent que les limitations de vitesse sont nécessaires pour éviter la pollution ne sont que de fieffés mystificateurs dont la particularité est de ne jamais se remettre en question (ce qui leur donne cet air de si niaise assurance lorsqu’on les aborde). Car ont-ils jamais entendu parlé des véhicules électriques et de leurs performances aérodynamiques croissantes, tels les modèles Tesla dont la compagnie a été fondée par un magnat de la révolution du numérique, Elon Musk? Et même sans penser au tout électrique mais en faisant appel au simple bon sens : plus vous vous déplacez lentement à un endroit, et plus vous ralentissez le trafic général et provoquez du rejet de particules fines sans possibilité de l’évacuer par les mouvements du flux de circulation. Si en plus vous rajouter que les dernières études démontrent que ce sont les freinages intempestifs et non les rejets par les pots qui pénalisent la pureté de nos villes, la multiplication des feux rouges, stops et zones 30 deviennent difficilement défendables. Sauf pour les idéologues réactionnaires bien entendu.
Et pour reprendre une analogie avec le numérique : à l’heure de la fibre optique et de ses débits à 500 Mb/s s’imagine-t-on revenir aux modems des années 1990 et leurs 90 Kb/s ? Pourtant les dangers, les cybermenaces, ont aussi proliféré avec la puissance exponentielle des nouvelles infrastructures et ne sauraient être considérées comme anodines. Pourtant, ce n’est pas sur la vitesse que l’on tente de remédier au problème mais par la pédagogie et les mesures techniques passives/actives...
Qu’est-ce qui est le plus dangereux : un individu ayant toutes ses capacités de réaction maître d’un véhicule sécurisé ou un narcomane au téléphone conduisant une automobile aux pneus lisses et aux freins usés? Pis, lorsque les véhicules autonomes seront fiabilisés, comment continuer à justifier ces tracasseries diverses? Lorsqu’un véhicule roulant à 30 km/h refuse la priorité à un piéton sur un passage, on ne retiendra que le fait qu’il ait respecté la vitesse en ville mais le tort n’est-il pas plus important qu’il n’ait pas cédé le passage à un usager vulnérable?
Malheureusement en se focalisant sur l’unique critère de la vitesse, qui est un facteur aggravant et non causal, la mortalité ne baissera guère plus ces prochaines années vu qu’elle a pratiquement atteint son plancher incompressible (exceptionnel si l’on prend en considération le nombre exponentiel de véhicules en circulation depuis ces vingt dernières années). À moins bien entendu d’interdire aux véhicules de rouler mais ça, c’est pour les prochaines élections.
Enfin, pour clore ce billet, une curiosité : George Harrison (oui le membre du groupe de Liverpool Les Beatles) et son ode aux pilotes… Faster.
PS : pour relativiser la tendance évoquée, certaines municipalités en viennent à reconsidérer leur politique visant à gêner au possible l’immixtion de véhicules dans leur localité.
Réalités routières, Ces nouveaux maires qui réintroduisent la voiture en ville, 1er octobre 2014
http://realitesroutieres.fr/ces-nouveaux-maires-qui-reintroduisent-la-voiture-en-ville-82/
PS bis : je précise qu’il y a une différence sémantique entre conduire et piloter, et que de trop nombreuses personnes au volant se prennent pour des pilotes alors qu’elles n’ont pas visiblement assimilé que 1) elles ne sont pas toutes seules sur les axes de circulation, d’où une éthique de responsabilité et une conduite respectueuse d’autrui et que 2) il est nécessaire de bien connaître son véhicule avant de le « pousser » dans ses retranchements, et que rien ne vaut pour cela une session sur piste où les conditions de sécurité sont réunies de façon optimales.
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C’est en effet chaque année un étonnement plus grand que d’inverser toujours plus, pour la seule circulation routière, la logique d’efficacité qui prévaut partout ailleurs. Sur l’impact de nos dirigeants, leurs propres biais, ainsi que ceux de bien des conducteurs un petit livre qui n’a rien perdu de son actualité: « Je suis un chauffard », de Claude Vallier.
Au niveau des lobbies, il dénonçait en premier lieu celui qu’il nommait non sans malice les « associations de gens qui ont eu des accidents » (=assoc de victimes)… et qui, premier paradoxe, ne résisterait là encore dans tout autre domaine a la plus élémentaire analyse critique… prétendent apprendre aux a ceux qui n’en ont pas comment les éviter! Notons que pendant ce temps, ils omettent leur mission première: L’aide aux victimes. Ces associations ne méritent décidément pas leur nom et auront été les premières, bien avant le lobby vert, à faire bien du mal.
Notons aussi que le première hausse de mortalité intervenue après des décennies de baisse continue, à partir du milieu des années 90, celle là même qui a incité les pouvoirs publics a poser les bases de la répression automatique actuelle (loi Gayssot sur le propriétaire payeur)… a été concomitante du boom de la téléphonie mobile avec le GSM.
Personne ne s’est alors posé la question, malgré les progrès des infrastructures (passages à 2×2 voies plus soutenus que depuis la crise) et des véhicules (arrivée en masse des sécurités actives), de l’impact de cet objet qui arrivait dans toute les poches et aussi derrière bien des volants.
C’est juste lamentable.
Bonjour et merci pour votre commentaire constructif.
Il est à souhaiter que les autorités révisent leur position prochainement. Un bon début serait déjà l’écoute en stéréo et non en mono, et la concentration sur les comportements accidentogènes plus que la vitesse.
Cordialement
Bonjour Yannick,
Malheureusement, je ne partage pas ton billet qui, si je ne l’ai pas lu trop rapidement – ce qui peut arriver – omet, semble-t-il, le problème de la saturation des centres urbains. Et c’est une question qui se pose dans le cyberespace sous d’autres formes : la fin de la neutralité du net, voulue par certains, s’appuie sur des problèmes de production des flux nécessaires pour satisfaire tout le monde… à la même vitesse.
Nous pourrions parler des villes européennes, de l’Est comme de l’Ouest, tout aussi bien de celles d’Asie et d’Amérique. Le constat est le même : aucun centre urbain n’est capable d’encaisser les flux constitués de l’égalité homme-voiture (soit un véhicule 4 roues par être humain). C’est impossible, les villes américaines, chinoises (Pékin, par exemple) et asiatiques pour le reste (rien que Jakarta) ne parviennent plus à supporter.
Tout comme la réduction de la vitesse permet de réduire les « bouchons » et de favoriser les transports doux… rendus nécessaires par l’impossibilité de disposer d’un véhicule personnel ou de s’en servir. L’ « uberisation » des places de stationnement démontrent une autre facette de cette problématique. Paradoxalement, les transports publics ne cessent de progresser en vitesse parallèlement. Faut-il ajouter que dans une ville comme Paris, faute d’investir chaque année dans les infrastructures nécessaires pour que tout le monde puisse rouler vite, les franciliens se dotent massivement de véhicules à deux roues ?
Pour ma part, je ne sais pas si le facteur énergétique compte encore dans le choix de défavoriser l’usage d’une voiture de moins en moins produite en France. Par contre, je m’interroge fortement sur un calcul démographique où la recherche de la réduction du nombre de morts sur les routes serait un bénéfice pour la démographie alors que la natalité résiste tant bien que mal pour renouveler la population. Plus largement, le coût de l’automobile (mais pas seulement), notamment diesel – et je parle aucunement de la protection de l’environnement – serait très lourd pour notre pays, entre le nettoyage des façades et les problèmes de santé. Ce qui donne un autre relief à la transition énergétique (énergies renouvelables et transports sans énergie fossile).
Enfin, je ne crois pas qu’il y ait une sacralisation du vélo mais bien une redécouverte de l’espace urbain. C’est assez symptomatique de se rendre compte qu’un automobiliste, français, je précise, connaît très mal – il faut le constater – son espace urbain qu’il ne voit que trop vite. Et par extension, je me demande s’il ne faut pas s’interroger sur un culte de la vitesse qui sur mer (navire à effet de surface), sur terre (TGV, autoroutes, etc.), dans les airs (Concorde) qui atteint ses limites, tant économiques (le coût de l’énergie et des infrastructures) que physiques (difficulté à sortir des formules architecturales permettant de passer au palier suivant pour la vitesse).
Allons-nous moins vite ? Aujourd’hui, il me semble possible d’habiter à Lyon et de travailler à Paris tout en prenant le train tous les jours. J’exagère mais il faut combien de temps pour un francilien pour aller travailler à Bercy à 8h pétante ? Quatre à six heures de transport par jour ? Si le sacre du vélo c’est de revenir à des villes plus concentré, comme au temps du Moyen-Âge, et de sortir des ghettos de riches et de pauvres via une ville dont la surface aura été réduite de 4 ou 6 fois, alors, in fine, nous irons encore plus vite puisque besoin d’aller moins loin dans l’espace urbain.
Entre l’ « uberisation » des moyens de transport et le développement des dispositifs d’aide à la sécurisation du moyen de transport, nous semblons nous diriger vers la quasi disparition du véhicule personnel, donc une réduction drastique de leur nombre, et une réduction presque totale de la part de l’homme dans la conduite. Est-ce un progrès de ne plus être maître de ses mouvements et être de plus en plus emprisonné dans des réseaux ?
Bonjour Marquis,
Merci d’avoir pris le temps de lire ma prose et d’y répondre.
La saturation des villes tient à plusieurs facteurs dont l’un des plus notables est notamment celui de la concentration des richesses. Les villes ont toujours favorisé les moyens de locomotion en raison de la venue en leur sein de produits et de services, c’était dans leur intérêt et ça le reste encore de nos jours (avec au passage le prélèvement d’une taxe d’entrée au Moyen-Âge et d’un droit de stationner à l’époque contemporaine).
Là en revanche où le bât blesse, c’est qu’il n’y a pas eu de prévision, de réflexion approfondie, quant à l’explosion des véhicules individuels alors que les moyens de voyage autrefois étaient bien moins nombreux et limités à des professions spécifiques. Les années 1950 ont été de ce point de vue décisives avec la démocratisation de la voiture (ce qui a coulé au passage plusieurs marques qui s’obstinaient à produire des modèles artisanaux pour ‘happy few’). Il y a clairement eu un manque de clairvoyance en matière d’urbanisme, d’autant que l’on a prôné de plus en plus avec le chômage de masse la mobilité, régionale puis nationale.
Le covoiturage et les services de location de chauffeurs permettront peut-être de réduire le flux de véhicules circulant mais dans des proportions qui ne changeront pas fondamentalement la donne avant une bonne décennie. Le véritable choc accélérateur serait peut-être une nouvelle crise pétrolière. N’oublions pas cependant que le pétrole ne sert pas qu’à rouler mais aussi à confectionner une foultitude de produits, de fait le moindre nombre de véhicules sur les routes serait une victoire des plus amères en raison d’un ralentissement conséquent de l’économie.
Une des solutions serait d’accélérer les zones de richesse hors des villes dans les zones désertifiées (ce qui est déjà en cours et rencontre un certain succès mais pénalise économiquement les villes en raison du manque de rentrées fiscales) et d’avoir un réseau de transport en commun flexible et efficient (là ce sont les contractions budgétaires qui deviennent un frein considérable).
Un autre point non négligeable : la dislocation des communautés. Autrefois, les familles ne bougeaient que très peu géographiquement. Or, depuis elles sont éclatées au possible pour nombre d’entre elles et le véhicule personnel demeure le moyen le plus pratique pour conserver un lien en dépit de la distance. Cette distance entre les membres de la famille serait par ailleurs extrêmement utile à analyser en ses causes et ses modalités…
Quant à la connaissance du milieu urbain, il y a nombre d’exemples où des riverains d’un quartier sont incapables de te citer une rue des environs lorsqu’on leur demande ou de te montrer une curiosité et d’en expliquer son historique alors que l’automobiliste qui débarque de deux cents kilomètres de là peut venir s’informer plus en détail de ce qui l’environne justement 😉
Mais pour en revenir au sujet initial : la vitesse est un outil de développement personnel ou collectif, public ou privé par le déplacement géographique qu’elle autorise. La vitesse a comme vraie limite la réactivité cérébrale de l’être humain, mais là c’est déjà une autre histoire qui s’écrira avec l’avènement de l’intelligence artificielle et de l’autonomisation des véhicules qui, comme tu le soulignes, ouvre de nouvelles problématiques…
Juste pour conclure, la vitesse n’est pas non plus synonyme d’éternel mouvement ni de fin en soi. Je le répète : elle doit servir, et non s’auto-prolonger.