L’Écho du mois permet d’échanger, au travers d’une interview,  avec des personnalités dont l’action s’inscrit dans les thèmes relatifs à la stratégie, à ses diverses variantes, à ses évolutions technologiques et à leur influence sur celle-ci.

Photo YTR

Pour cette rentrée 2015-2016, EchoRadar a le plaisir de vous présenter l’entretien réalisé avec Yannick Tranchier, créateur d’une agence de conseil et spécialiste des partenariats technologiques franco-russes. Après l’affaire des Mistral russes et dans cette période de conflits dramatiques, notamment en Ukraine mais aussi bien évidemment en Syrie, parler économie et nouvelles technologies apporte un souffle de fraîcheur bienvenu.

Yannick Tranchier est ingénieur français, diplômé en 2000. Il a été directeur technique et responsable offshore dans les principales SSII françaises (Altran, Cap Gemini, Alten, ..) pendant 10 ans.

En 2011, il crée l’agence de conseil Ob’vious, par et pour des entrepreneurs, afin d’accompagner et de soutenir l’innovation en France et en Russie. Spécialisée initialement dans les partenariats technologiques franco-russes, Ob’vious propose des services de conseil en stratégie et financement pour transformer une idée en produit et amener une technologie sur le marché.

En 2013, il fonde la Maison des Entrepreneurs Français à Moscou (MEF), hub de services pour PME françaises en Russie.

Inaugurée officiellement en février dernier par l’ambassadeur, la MEF a pour objet de faciliter l’implantation des PME françaises de tout secteur sur le marché russe. Aujourd’hui, 20 sociétés ont déjà rejoint la MEF. Ces sociétés ont accès à un espace de travail, des services partagés et des prestataires francophones pour répondre à leurs attentes.

Enfin, en 2015, Yannick Tranchier lance avec NUMA Paris et Christophe Alves, le premier accélérateur international de startups en Russie : NUMA Moscow. Les startups russes peuvent enfin accéder à un programme de formation résolument orienté vers l’international pour accélérer leur développement.

Le climat actuel entre l’Union Européenne et la Russie n’est pas au beau fixe, et certaines sanctions contrarient fortement les échanges et les investissements réciproques. Comment ressentez-vous cette situation ?

Nous avons la chance d’évoluer dans un environnement épargné par les sanctions : l’innovation et les startups. Les sociétés que nous accompagnons se portent bien et c’est l’ensemble de l’écosystème russe qui poursuit sa progression à un rythme soutenu.

Cependant, à travers la MEF, nous côtoyons des PME de tous secteurs et certaines dans l’industrie subissent des contractions importantes. Les volumes d’achat diminuent et les acheteurs russes se tournent de plus en plus vers des fournisseurs chinois.

Personne ne croit à la levée des sanctions à date anniversaire, les solutions de substitution ont donc été mises en place. La production locale s’organise pour limiter les importations dans un contexte de dévaluation du rouble et d’inflation galopante.

Enfin, la fuite des capitaux russes partiellement endiguée et les investissements chinois toujours plus nombreux compensent au moins en partie le ralentissement (l’arrêt ?) des investissements occidentaux.

Pourriez-vous nous détailler l’état d’avancement des technocentres qui ont été annoncés il y a quelques mois ? Y a-t-il eu accélération à la suite de la crise ukrainienne ?

Les technocentres russes sont encore très dépendants des politiques et finances publiques. Même si quelques incubateurs et accélérateurs privés font surface, l’écosystème de l’innovation technologique est encore tiré par RVC, Skolkovo et IIDF.

D’ailleurs tout comme le secteur privé, Skolkovo multiplie les partenariat avec ses homologues chinois (Silk Road park, Cybernaut fund, …).

Du côté des politiques publiques, les projets fédéraux financés par le ministère du développement économique connaissent un ralentissement en raison de restriction de restriction budgétaire et de problème de gouvernance locale.

L’AIRR (Association des Régions Innovante Russe) croit toujours à sa feuille de route devant mener à 25 clusters répartis sur l’ensemble du territoire de la fédération mais les progrès se font attendre.

Où en est le projet de moteur de recherche “russe” sur base de logiciel libre ?

Nous avons peu d’information sur ce projet. 1 an après son lancement par Rostelecom, le portail est toujours en version bêta.

Personnellement, je ne l’ai même jamais testé.

En quoi l’économie russe, et a fortiori numérique, est-elle plus “accueillante” que l’économie française ?

Au petit jeu des comparaisons, la Russie présente bien des avantages vis-à-vis de la France :

– une fiscalité et des charges plus faibles,

– une consommation soutenue,

Et en particulier dans le numérique :

– une pression concurrentielle faible,

– un potentiel de croissance intact.

Mais tout n’est pas rose :

– l’administratif reste plus « lourd » qu’en France,

– le renforcement des mesures « patriotiques » peut handicaper l’import de produits étrangers (mais favoriser une implantation locale),

– certains marchés sont immatures et la période d’évangélisation peut être plus longue.

L’on évoque souvent le Premier Ministre Medvedev comme très favorable aux TIC, surtout durant sa mandature de président, en revanche Vladimir Poutine est vu depuis l’Occident comme plus réfractaire au numérique et à l’innovation : cela est-il vrai ou à nuancer ?

Medvedev a beaucoup œuvré pour l’éclosion du numérique en Russie pendant son mandat, la mesure la plus emblématique étant la création de Skolkovo en 2010. Pour autant, Poutine n’a pas enterré le projet de diversification économique indispensable au pays à long terme.

Les investissements dans Skolkovo ont été confirmés dès son retour au pouvoir. Il a également pris la mesure de l’importance des innovations d’usage par opposition aux innovations technologiques proné soutenu par Skolkovo et les autres fonds publics. Une nouvelle institution, appelée IIDF (International Internet Development Fund) s’est doté de 200M$ sous l’impulsion du Président de la Fédération pour aider l’écosystème startup russe à rattraper son retard sur le modèle des principaux acteurs mondiaux (Techstars, Y combinator, …)

Le label French Tech peut-il être un appui dans le cadre de partenariats technologiques franco-russes ?

Après 2 ans de consolidation nationale, l’initiative FrenchTech s’exporte en 2015. Le monde entier a découvert la FrenchTech au CES en Janvier. Et quelques semaines après, le gouvernement annoncé une enveloppe de 15M€ en faveur de l’attractivité internationale des startups françaises.

A Moscou, la FrenchTech s’organise autour des opérateurs historiques (Ubifrance, CCIFR) et d’entrepreneurs engagés. L’objectif est de fournir un appui stratégique et opérationnel aux startups dès qu’elle pose un pied en Russie grâce à un réseau complet : startups, grands groupes, investisseurs et universités.

Cependant, en Russie, la priorité n’est pas d’implanter les entreprises françaises mais plutôt de les convaincre de considérer la Russie comme une alternative crédible aux autres marchés plus « séduisants » (Etat-sUnis, Chine, Brésil, …). C’est pourquoi nous avons organisé les Rencontres RussianTech en Mars à Moscou avec une vingtaine d’acteurs de la FrenchTech et une sélection de startups françaises participeront au premier FrenchTech Tour Russie en Juin.

La chute brutale des prix du pétrole ces derniers mois a un impact direct sur l’économie russe dont “l’or noir” est le premier produit d’exportation. Cette crise se traduit-elle dans la vie quotidienne ou cela reste-t-il très abstrait pour la plupart des Russes ?

Plus que le chute du prix du pétrole, c’est la dévaluation du rouble, certes corrélé au pétrole, et les sanctions sur les produits alimentaires qui ont provoqué un pic d’inflation fin 2014 et début 2015. Pour autant, l’inflation semble contenue. La banque centrale russe a baissé ses taux cette semaine pour la troisième fois consécutive depuis le début de l’année.

Les Russes sont inquiets en l’avenir mais continue de consommer. Certains secteurs comme le tourisme et l’automobile sont plus touchés, mais les magasins et les restaurants sont toujours aussi pleins, malgré une augmentation significative des prix (environ 20%).

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