31 décembre 2035 – 9h18 : le lieutenant Hal Hunter entre avec sa section dans la tour Jupiter dans la banlieue de New Africa, la ville connectée la plus moderne au monde en 2035. Il est un des meilleurs éléments des forces spéciales de l’Union du Golfe de Guinée (UGG). En arrivant à l’étage 77 de l’hôtel de ville, à 19h18, il vacille. Avant de fermer définitivement les yeux, il se demande comment il en est arrivé là…
Monde nouveau, développement nouveau.
En 2020, pour faire face aux coups réguliers du djihadisme et pour développer leur économie, les Etats du Golfe de Guinée ont choisi de s’unir, pour gagner cette guerre qui commençait à apparaitre sans fin. Cette grande fédération démocratique regroupe tous les pays côtiers de la Cote d’Ivoire au Gabon. En 2022, les forces armées de l’UGG ont balayé les terroristes et les populations se sont massivement tournées vers ce projet politique annonçant enfin une stabilité permettant le développement économique. Et ce pari fut gagné par une décennie de croissance économique à plus de 10%. Les différentes populations se sont éloignées de l’obscurantisme religieux, pour s’intégrer dans un ensemble plus tolérant – aux différents courants de pensée – et pour fondre l’approche ethnique dans une approche nationale. Aux atouts certains de la zone en matières premières, notamment en hydrocarbures, et agricoles, un investissement extérieur massif provenant d’Europe, des Etats-Unis et de Chine a permis de faire augmenter le niveau de vie de la majeure partie de la population. Cette stabilité trouvée et un effort de formation sans précédent ayant été consenti, l’UGG se retrouve en 2035 comme une des grandes puissances mondiale avec un PIB de 3000 milliards de dollars, 500 millions d’habitants pour 2,5 millions de km2, se plaçant alors au 7ème rang mondial. L’informatique, la biotechnologie et la robotique furent le moteur de cette croissance soudaine. Les côtes furent très vite connectées et la nouvelle capitale, New Africa, entièrement connectée a été construite entre le Lac Togo et la mer. Cette ville de plus de 2 million d’habitants représente ce que l’on peut considérer comme la ville la plus moderne au monde. L’ensemble de ses réseaux sont connectés et gérés par une intelligence artificielle dépendant de la mairie : électricité, réseau routier, gaz, etc. Les voitures personnelles sont prohibées mais un ensemble de taxis, de bus, d’hélicoptères et de trains sans pilote, gérés par des VANET, permet de se déplacer aisément et à moindre frais. Chaque maison, immeuble, appartement gère les objets connectés des propriétaires : électroménager, chauffage, audio-visuel mais aussi les plantes et les robots domestiques. Ces robots aident à toutes les activités de la vie quotidienne. Les plus perfectionnés – appartenant aux plus riches – ressemblent à de véritables humains tant dans le comportement, l’apparence que dans l’intelligence (au moins par rapport aux moins intelligents de nos congénères). Dans le même temps, les progrès de la biotechnologie et des nanotechnologies ont permis de développer des prothèses pour les personnes handicapées. Mais, devant les succès des années 2020, l’industrie s’est lancée dans l’augmentation des capacités physiques et cognitives de l’homme mais aussi de certains animaux. Vu les couts des « bioprothèses » (constituées de cellules artificielles ou développées à partir de cellules souches et d’électronique), seuls l’Etat et les gens très riches ont pu bénéficier de ces technologies dont on dit déjà qu’elles seront répandues dans 80% de la population mondiale en 2050. Ce développement miraculeux cache le délaissement économique de près de 40% de la population qui reste dans le dénuement et la grande précarité, alimentant les migrations internes vers des agglomérations où les bidonvilles n’avaient pas disparu, à l’exception de New Africa, vitrine numérique du pays tournée vers le reste du monde.
En bref, les Newafricans ne peuvent rien faire ou presque sans ordinateurs et sans robots ! Dans ce monde de 2035 cohabitent les hommes, les animaux, les machines, mais aussi des hybrides entre ces catégories.
Un renouvellement politique ?
Ce changement technologique associé à de nouvelles visions du monde (transhumanisme H+), avait modifié l’humanité jusque dans ses fondements, à tel point qu’elle était au bord d’une spéciation comme elle ne l’avait pas connu depuis l’avènement de l’Homo sapiens. Cette révolution NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, informatique, sciences cognitives) s’était traduite par une accélération de l’augmentation de l’espérance de vie à 60 ans. Vivre en bonne santé jusqu’à 120 ans était devenu un horizon crédible… pour ceux qui en avaient les moyens ! 150 ans en 2050 était la cible non avouée. L’UGG, première nation ouvertement H+ depuis 2031, était en pointe dans le domaine des idées. Ceci avait mené au renouvellement des religions et des courants politiques, comme l’imprimerie l’avait fait en son temps avec la Réforme et les Lumières. Le transhumanisme (H+) avait engendré une nouvelle religion, le déimanisme, qui visait à interconnecter l’ensemble de l’humanité pour former un tout appelé Dieu unique. Cette religion avait des variantes selon qu’il existait un clergé ou non en son sein. Dieu n’était plus au-dessus de l’humanité mais était l’humanité. Il n’y avait plus besoin de rendre à César ou à Dieu ce qu’il leur revenait car César avait été fait Dieu. Tous ceux qui refusaient de se connecter étaient relégués à un statut de suppôt du mal, représenté par la Nature, c’est-à-dire à un statut d’animal plus proche du singe que de la « véritable » humanité H+. Les extrémistes H+ prônaient l’asservissement voire l’élimination des Homo sapiens. L’homo H+ devait dominer la nature et la conquérir, ce qui relança les programmes spatiaux pour installer des bases sur Mars en 2040. A l’inverse, d’autres membres du courant H+ prônaient la fin de Dieu et l’avènement d’une démocratie participative que permettait maintenant la technologie. Il n’était plus besoin d’avoir des représentants pour le pouvoir législatif car les tâches les plus fastidieuses étaient assurées par des « robots » ce qui laissait du temps pour s’occuper de la cité et voter directement les lois. Les robots et les hybrides en tout genre avaient vocation à devenir citoyen en satisfaisant à un test. Il restait des représentants pour le pouvoir exécutif mais leur pouvoir était limité par le Tout que constituait les interconnectés. En 2035, ceci ne concernait que quelques pourcents de la population, l’immense majorité de l’UGG n’étant pas connecté contrairement aux classes dirigeantes du pays et les fonctionnaires. Finalement, on voyait bien que dans le pays s’était constitué une aristocratie et que la « Technologie pour tous » devise de la nouvelle nation ne relevait encore que de l’utopie ; les conflits intérieurs et extérieurs au pays commençaient de nouveau à se développer, les autres courants politiques n’étant pas disparus –même dans l’opposition – après une décennie exceptionnelle de croissance et de changements profonds. Et, comme la guerre était toujours la continuation de la politique par d’autres moyens, les philosophies politiques issues des technologies hybrides n’échappaient pas au phénomène guerrier.
Faire la guerre ?
L’armée et les forces de polices de l’UGG s’étaient rapidement modernisées. A côté des nombreux bataillons, un millier d’unités à l’ancienne, utilisés pour le contrôle de zone et tenir le terrain, les forces spéciales des armées, fortes de 10 000 hommes surentrainés, utilisaient les drones de toutes sortes, grands et petits, à voilure fixe ou non, terrestres, maritimes ou aériens… La particularité résidait dans le bataillon Roméo (Bat R) qui était constitué de robots et d’humains augmentés et connectés entre eux via des systèmes greffés permettant d’accéder au réseau de téléphonie mobile ou d’établir des liaisons électromagnétiques à vue directe. Les robots étaient des humanoïdes de dernière génération, à qui une intelligence artificielle avait été installée et reliée au supercalculateur central de l’armée. En fait, ce n’était pas un supercalculateur mais une ferme immense de données, accolée à une centrale nucléaire lui fournissant l’énergie. Le Bat-R était le régiment d’élite du cybercommand, véritable armée depuis 2030, date à laquelle les attaques informatiques ont permis de tuer directement les individus connectés. Autrefois – dans la préhistoire numérique des années 2010 – ces attaques n’étaient pas menées par les combattants de première ligne à l’exception des unités de guerre électronique. En 2030, les combattants augmentés ou les robots étaient en mesure de tirer contre un ennemi avec des armes à feu, tout en utilisant des armes à effet dirigé (lasers, armes électromagnétiques) et en lançant des attaques via le réseau. Dans une ville connecté, les robots et les interfaces numériques des combattants H+ permettaient de se connecter à l’ensemble des informations non cryptées des objets connectés pour détecter voire détruire l’ennemi : caméras, alarmes, prise de possession du contrôle de véhicules, de l’électricité d’une zone… Véritablement en réseau, les capacités d’action étaient démultipliées et laissaient peu de chances à des insurgés non connectés ou à des forces à l’ancienne… En tout cas, au moins dans un premier temps…
Le combat qui vient…
Le 31 décembre 2035, la secte des « Vrais humains », antidéimaniste décide de passer à l’action pour prendre le pouvoir à New Africa. La centralisation et la mise en réseau informatique permettent en quelques minutes de contrôler l’ensemble de la ville. L’attaque débute à 5 heures du matin par le déclenchement d’une bombe logique dans le serveur de la municipalité qui gère les transports, l’alimentation électrique et les forces locales de police. En quelques secondes, les patrouilles à base de policiers humains se retrouvent précipitées dans le lac Togo, sans pouvoir sortir des véhicules, verrouillés par le système d’information. Les policiers humanoïdes, les robocop (rien à voir avec le film, ce sont de vrais robots) sont retournés et s’emparent des principaux sites publics où les attendent des partisans anti-déimanistes qui les déconnectent du réseau central pour les connecter au réseau fantôme de la secte. Des centaines d’otages sont pris à cette occasion.
C’est à ce moment que le lieutenant Harold Hunter, dit Hal, est mis en alerte avec sa section mixte de cinq êtres humains – ou plutôt des transhumains hybrides – et une vingtaine de robots de combat. Sa première action a été de déstocker les exosquelettes alors en rechargement électrique. L’engin d’un poids de 25 kg devrait permettre d’augmenter les capacités humaines pendant au moins 12h, peut-être 18 si le soleil est au rendez-vous. L’autonomie de ces machines doublait tous les 10 ans ce qui laissait entrevoir une utilisation permanente dans les opérations aux alentours de 2050.
Hal commence par préparer ses drones de reconnaissance et de combat. Ils vont travailler en essaim mais forcément sous ses ordres. Ils pourront être détachés en cours de combat à une autre unité, les procédures étant standardisées ou reliées à une intelligence artificielle de combat (IAC) qui peut gérer jusqu’à 2000 machines simultanément. Ceci est totalement hors de portée d’un humain, même augmenté, ou d’un robot de terrain. L’IAC travaille en interarmées, intégrant dans une même intelligence, des essaims de drones terrestres, maritime, aériens, spatiaux, ou même cyber (nanodrones capables de changer des circuits). Ce sera cyberdyne 34 qui officiera en appui du bataillon. Manifestement l’IAC avait poussé la numérisation à son paroxysme, en connectant également des robots autonomes et des parties d’être humains hybrides. L’exécution des missions avaient progressivement été confiée à ces IAC. Pour la planification, c’était une autre affaire. Certes l’IAC était capable de confronter des milliers de fois les modes d’actions ami-ennemis ou de répéter une mission des centaines de fois avant son exécution ou même de trouver des modes d’actions alternatifs en cours d’action, mais la créativité de l’homme n’avait pas encore été égalée. La solution avait été trouvée en confiant la planification à des hybrides permettant de se connecter sur l’IAC. Tout cela n’empêchait pas des erreurs fréquentes. Hal le savait. C’est pourquoi, il vérifie minutieusement les ordres qu’il a reçus, les armes et l’informatique de ses robots et de ses hybrides. Tout est clair, rien à signaler.
La section doit maintenant faire mouvement vers l’hôtel de ville, situé dans la tour Jupiter, située à deux pas de la tour Hermès abritant le cybercommand – et les IAC. Hermès n’était pas tombée. Des véhicules de transport pilotés par satellite sont maintenant à la disposition du lieutenant Hal et de sa section. Le déplacement dans trois véhicules de combat d’infanterie se déroule bien. Toute la compagnie, la 1ère du Bat-R, devra donner l’assaut via l’escalier Echo qui relie les 80 étages de la tour Jupiter. Une heure plus tard, les troupes d’assaut du bataillon débarquent et s’engouffrent dans la tour, appuyées par les drones menés par cyberdyne 34. C’est parti pour le choc !
L’assaut
L’option de l’utilisation des Manhunters avait été écartée. Il s’agissait de robots tueurs capables de réduire toute vie biologique ciblée dans une zone (killing box). Néanmoins, la présence d’otages, les échecs cuisants du passé qui avaient conduit à des massacres d’innocents, leur peu d’utilité opérationnelle en raison d’une logistique importante, et la signature d’un traité international (en cours de ratification) sur l’interdiction sur ce type de robot autonome avaient rendu son utilisation peu opportune.
Les dix premiers étages, dédiés à un centre commercial sont vides. A chaque étage, la section, en tête de la compagnie prend possession de l’informatique (caméras, alarmes, gestion des portes, du chauffage, etc.). 30 minutes suffisent à la compagnie. La progression dans les soixante étages suivants est plus lente car ils ont été piégés à l’explosif et un maximum de portes verrouillées. C’est sans parler des quelques humains « ancienne version », nés avant 2025 et le début du contrôle drastique des naissances. Ils sont neutralisés rapidement mais cela ralenti tout de même la progression. Pendant ce temps, les insurgés mettent en échec deux tentatives d’assaut par air, via le toit. L’opération est un fiasco car le module de simulation de l’ennemi de cyberdyne 34 n’avait pas anticipé que les dizaines de terroristes avaient depuis des semaines fait entré des systèmes sol-air lourds, en pièces détachées, via une entreprise présente dans les étages bas. A partir de l’étage 70 jusqu’au 78, Hal et ses combattants entrent dans la zone de mort, les insurgés ayant retourné à leur profit les robots et dispositifs chargés de protéger la mairie en temps normal. Il perd 10% de son effectif par étage. Arrivé au 76, il est stoppé et son IAC lui annonce que la réserve du bataillon a été engagée et qu’il devait livrer un déboucher à cette réserve au 77, les otages étant dans ces zones. Dans un dernier effort Hal lance ses humanoïdes à l’assaut pendant que la réserve se rapproche. Les combats sont durs mais il prend pieds au 77. Là, un flash l’éblouit, comme tous ses camarades. Tous tombent. Avant de « mourir » Hal se demande où a été faite l’erreur et sombre dans l’obscurité. Une bombe électromagnétique vient d’exploser, détruisant toute l’électronique dans un rayon de 200m, perturbant les circuits dans un rayon de 2 km et détruisant physiquement 5 étages de la tour… avec ses occupants. Cette attaque était un piège pour attirer la majeure partie des forces spéciales et perturber le cybercommand. Maintenant à armes égales, les « vrais humains » déclenchent le signal de la mutinerie dans des dizaines de bataillons de l’armée qui ont été retournés. Certains bataillons convergent vers la capitale et s’emparent des principales villes du pays. L’UGG est morte dans sa forme politique actuelle…
Epilogue
Le 26 janvier 2036, Hal est réactivé par les « vrais humains » mais, comme tous ses congénères robots humanoïdes, son intelligence artificielle a été bridée. Début février, le droit de vote a été limité aux humains non hybridés au niveau au cerveau. La guerre civile perdure dans l’UGG, entretenue par les entreprises étrangères du domaine du numérique et les sectes transhumanistes. La situation de cette région rappelle plus la période troublée des années 2000 et 2010…
L’avenir du monde ne sera pas New Africa mais sous quelques aspects pourra s’en approcher. Il semble important de considérer que le transhumanisme est « la pire et la meilleure des choses » comme la langue d’Esope. La période de transition entre le monde ancien et celui de l’humanité augmentée ne sera pas sans heurts. Nous débutons une nouvelle Renaissance avec ses grandes découvertes, ses Saint-Barthélemy, ses reconfigurations politiques et ses inventions.
Une certitude : l’évolution H+ dépendra bien plus des choix politiques que des évolutions technologiques, encore une fois…
Sources :
Berthier, 2030, L’horizon H+, echoradar.eu/2014/12/09/2030-lhorizon-h/
Bonnemaison, Dossé, Attention : cyber ! Vers le combat cyberélectronique, Economica 2014.
Conférences Transvision 2014 transvision2014.org
Calixte, « Pour les transhumanistes, l’Homme va vivre plus de 1.000 ans », http://www.challenges.fr/entreprise/20150515.CHA5849/pour-les-transhumanistes-l-homme-va-devenir-dieu.html
Doaré, Danet, Hanon, Boisboissel, Robots on the Battlefield, 2014.
Sites Internet :
www.cyberdyne.jp
humanoides.fr www.darpa.mil ]]>
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