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Artificialités futures - Les réseaux électriques intelligents, opportunités et vulnérabilités des villes de demain - EchoЯadar

Lorsque se pose la question de l’avenir énergétique des sociétés occidentales, une des hypothèses qui revient régulièrement dans les débats entre spécialistes concerne le développement de l’efficacité énergétique. En effet, si au lieu de tenter de réduire nos émissions de CO2 par KWh, nous tentions plutôt de réduire notre production énergétique ? En l’état ce serait déjà une option tout à fait réalisable, mais celle-ci s’effectuerait au détriment de la qualité de vie des habitants du Nord ; irréaliste donc.

Smart-GridUne solution se dessine alors, limiter les émissions de gaz à effet de serre lors de la production électrique, dans les centrales à charbon ou à gaz par exemple, en diminuant les pertes sur le réseau. En effet, selon les endroits de la planète, ces dernières peuvent atteindre les 50% de la production d’électricité ; il convient alors de mettre en place des politiques adaptées.

Les politiques d’efficacité énergétique permettent de jouer tant sur les questions de lutte contre le changement climatique que sur celles de sécurité énergétique. La dépendance des pays occidentaux aux différentes ressources fossiles importées pour la production électrique – qu’il s’agisse du gaz russe en Europe centrale et orientale ou de l’uranium nigérien pour la France – entraine une dépendance aux fournisseurs extérieurs. L’examen des mix électriques européens nous renseigne sur l’extraordinaire diversité présente dans l’Union. Des pays ayant fait le choix du gaz russe comme la Slovaquie ou les Pays baltes, aux détenteurs d’un mix diversifié comme l’Italie et le Royaume-Uni en passant par les pro-charbon (Pologne, Allemagne) jusqu’aux choix extrêmes (France), aucune base d’unification ne semble se dessiner. La question de la politique de sécurité énergétique européenne, si l’on excepte la question du gaz russe qui touche peu ou prou tous les pays (sauf l’Espagne et le Portugal) à des niveaux et avec des intensités différentes, aucun déterminant n’est commun à tous, rendant l’élaboration d’une stratégie commune difficile pour ne pas dire impossible. Même au niveau pétrolier, alors que tous les pays de l’Union sont dépendants, ce sont le plus souvent les liens historiques qui vont déterminer les sources d’approvisionnement de tel ou tel (Royaume-Uni dans le Golfe et au Nigeria, France en Afrique de l’Ouest, pays d’Europe orientale en Russie, Italie en Libye, etc.).

Les pays d’Europe ne produisent que très peu de ressources combustibles, à l’exception du charbon bien sûr. Or avec la nouvelle politique climatique européenne qui prévoit pour 2030 une réduction des émissions de 27% et une augmentation de la part des énergies renouvelables au même niveau, la solution des ressources nationales en charbon s’avère peu réaliste. Si l’Allemagne s’est massivement retournée vers ses ressources silésiennes, ce n’est, dans une perspective de moyen terme, qu’un pis-aller dû à une volonté de sortie du nucléaire décidée dans la précipitation.

Se pose donc également la question des énergies renouvelables. La Commission européenne leur étant extrêmement favorable, nonobstant une forte concurrence des industriels européens face à la Chine (Sinovel, Goldwind, Trina Solar, Yingli, etc.) voire à l’Inde (Suzlon), leur intégration en masse s’avère nécessaire malgré d’importants problèmes structurels. Au-delà de la question de la rentabilité économique – qui est au fond l’affaire des régulateurs nationaux là où, comme en France, existe un tarif fixé – c’est surtout l’intermittence de production qui est problématique. En effet, l’électricité ne se stockant pas en masse et se transportant difficilement sur de longues distances, l’intégration des renouvelables dans de lourds réseaux centralisés se révèle complexe. L’intermittence journalière (éolien, solaire) voire annuelle (hydro) de certaines sources d’énergie les empêche de devenir les bases de mix électriques nationaux, les cantonnant, pour le moment, à n’être que des sources de complément. Or elles s’avèreraient des solutions fort utiles pour résoudre les questions de sécurité énergétique et de lutte contre le changement climatique des pays occidentaux ou même du Japon ; sans parler de la Chine.

[caption id="attachment_1480" align="aligncenter" width="470"]Evolution de la population urbaine 1950-2050 ; source : ONU Evolution de la population urbaine 1950-2050 ; source : ONU[/caption]

Cette problématique se combine à l’urbanisation globale qui voit le développement croissant de villes toujours plus importantes. La bascule opérée au début des années 2000, lorsque la population urbaine mondiale a dépassé la population rurale, a imposé la prise en compte du fait urbain comme mode de vie majoritaire. De plus, si l’on suit les prévisions de l’ONU tant sur la croissance de la population urbaine que sur l’évolution de la taille des centres urbains, les questions logistiques et énergétiques de ces derniers peuvent se transformer en véritables problèmes.

Avec l’augmentation prévisible de la population urbaine en Europe et dans le monde, la question de l’approvisionnement énergétique des grandes métropoles devient une problématique de plus en plus importante. De même l’évolution des pays occidentaux vers des économies toujours plus liées au secteur des services – 85% du PIB de la France en est déjà issu – amène à la prise en compte d’une demande énergétique différente avec plus d’électricité et moins de ressources brutes comme les dérivés pétroliers ou le charbon. L’empreinte énergétique et environnementale des mégacités américaines et chinoises laissant entrevoir les dangers d’une trop importante urbanisation, les questions d’approvisionnement énergétique doivent être prévues dès maintenant pour ne pas subir ; surtout dans une perspective de lutte active contre les effets du réchauffement climatique. Il faut ici rappeler que les centres urbains sont responsables de 70% des émissions de gaz à effet de serre dans le monde.

[caption id="attachment_1481" align="aligncenter" width="470"]Evolution de la taille des agglomérations au niveau mondial ; source : ONU Evolution de la taille des agglomérations au niveau mondial ; source : ONU[/caption]

Dans ce cadre qui mêle gestion des approvisionnements et nécessaire intégration des énergies renouvelables, la question des réseaux s’avère primordiale. Depuis quelques années apparaissent ainsi des études et des développements technologiques sur l’amélioration des réseaux de transmission et de distribution électrique : les réseaux électriques intelligents ou smart grids. Par une évolution en profondeur des réseaux traditionnels, incluant un monitoring au plus près des flux et de la consommation, ils pourraient résoudre, du moins partiellement, l’équation de l’approvisionnement électrique des grandes villes d’aujourd’hui et de demain. Les entreprises les plus en pointes sur ces questions en ont fait un des arguments de leur promotion puisque les smart grids permettent de concilier à la fois innovation, amélioration de la qualité de vie et protection de l’environnement.

Les réseaux électriques intelligents qui sont des objets hybrides entre l’énergie et le cyber ouvrent également un certain nombre de questionnements sur les problématiques de sécurité associées. En effet les systèmes de contrôle de ces réseaux intelligents qui peuvent être assimilés aux SCADA (système de contrôle et d’acquisition de données) déjà présents dans notre vie courante (feux de circulation, lignes automatisées du métro, etc.) sont de facto reliés au cyberespace. En effet la gestion en temps réel du réseau implique naturellement une utilisation accrue du cyber pour avoir un système de contrôle qui soit à la fois le plus efficace en terme temporel mais aussi en terme géographique puisque le but est de pouvoir agir au plus vite à l’endroit précis où a été localisée l’anomalie. De là il s’en suit naturellement un besoin de communication accru de la part du système ce qui représente une faille potentielle pour un agresseur malin. Les systèmes SCADA ont déjà prouvé leur vulnérabilité aux attaques logiques – souvenons-nous de Stuxnet qui en est le meilleur exemple, mais aussi et surtout de la cyberattaque contre le système de régulation du tunnel du Mont Carmel en Israël – et leur généralisation dans des domaines aussi sensibles doit être pensée avec tout le sérieux nécessaire. Il est d’ailleurs intéressant de voir que les entreprises ou les pays en pointe sur ces questions de smart grids publient de plus en plus d’offres d’emploi axées sur les compétences en cybersécurité des SCADA.

La mutation du cyberterrorisme destructif n’ayant pas eu lieu pour le moment puisque les terroristes se servent principalement du cyberespace à des fins de propagande et de recrutement, ces questions apparaissent avant tout comme prospectives. Toutefois elles doivent être pensées dès maintenant sous peine de devoir gérer le moment venu des ruptures d’alimentation importantes. Sachant que l’énergie est toujours la base de fonctionnement d’une économie, il s’agit là également d’un enjeu de sécurité et de défense. Les États-Unis qui sont en pointe dans le déploiement de ces réseaux pour pallier à leurs nombreux problèmes électriques (émissions de CO2 du secteur de l’énergie, surcharge des réseaux, etc.) ont ainsi mis en place une task force fédérale qui associe, pour les aspects sécuritaires, le Department of Defense et le Department of Homeland Security aux acteurs de l’énergie. Sur les aspects de cybersécurité, le Department of Energy collabore particulièrement avec le Department of Homeland Security – chargé entre autres des CERT – au travers d’une initiative nommée Cybersecurity for Energy Delivery Systems (CEDS) orientée sur la protection des réseaux et des SCADA. L’intérêt porté à la sécurité de ces mêmes SCADA se comprend aussi dans l’optique de la cyberdéfense contre de potentielles menaces étatiques ; les coûts envisagés d’une telle attaque contre les États-Unis atteignant le trillion USD.

Les smart grids posent aussi des questions quant au traitement des données. En effet ils rentrent dans la grande famille du big data eu égard à la masse de données à traiter par les systèmes d’analyse. Ainsi en 2020 les acteurs de l’énergie devraient, au niveau mondial, dépenser environ 4 milliards USD dans la seule analyse de données. Or avec un système puissant de recueil et d’analyse de l’information, survient naturellement un risque concernant l’intrusion dans la vie privée des clients-usagers. En France la CNIL qui est toujours vigilante sur ces questions a émis des réserves en 2010 sur les compteurs Linky d’ERDF. En décembre 2013 la CNIL autorise enfin l’entreprise à mettre en place ce nouveau dispositif, en l’encadrant fortement toutefois. Il aura ainsi fallu plusieurs années pour que cette question soit réglée et que le remplacement des compteurs traditionnels commence, la fin étant prévue au début de la décennie 2020. Cette affaire CNIL-ERDF – qui s’est prolongée par des recours devant le Conseil d’État de la part de plusieurs associations dont UFC Que choisir – illustre les tensions qui peuvent subvenir sur ces sujets ainsi que les risques encourus par les individus. En effet comment assurer que les prestataires industriels qu’il s’agisse des énergéticiens ou des fournisseurs de solutions cyber associés, ne détournent pas les données personnelles à des fins économiques. Certains acteurs du big data qui ont déjà fait de la donnée leur matière première et le socle de leur business model – les fameux GAFA(M) par exemple – s’orientent de plus en plus vers les solutions pour smart cities. C’est notamment le cas de Google qui a ouvert en 2015 une entité baptisée Sidewalk Labs dédiée à apporter des solutions technologiques pour les villes de demain.

Cette nouvelle orientation des entreprises du secteur des TIC vers les solutions de gestion de données couplée à l’évolution de nombre d’énergéticiens traditionnels vers les questions d’efficacité énergétique et de smart grids, entrainent une nouvelle donne économique. Cette question des réseaux électriques intelligents, par l’aspect stratégique qu’elle prend pour le développement futur des pays émergents comme pour les plus avancés, devient elle aussi un enjeu de la compétition économique internationale. De nombreux pays et firmes se sont ainsi lancés dans la course à la technologie et, bien évidemment, aux normes associées. Parmi les premiers à avoir pris conscience de l’importance de l’efficacité énergétique et de la mise à niveau des réseaux électriques se trouvent les Américains. La crise économique de 2007 est venue bouleverser l’appréhension globale que les États-Unis avaient d’un secteur de l’énergie jusque-là relativement stable. Plusieurs éléments ont ainsi convergé. Tout d’abord la question de la dépendance extérieure aux approvisionnements en hydrocarbures qui a poussé le gouvernement à mettre en place des incitations pour le développement de nouvelles sources nationales (gaz et pétroles non conventionnels issus de roche mère). Ensuite la relance de certaines activités (extraction de charbon, programme nucléaire civil) puisque le charbon constitue, après le gaz, la base du mix électrique des États-Unis ; sans même mentionner la question climatique, bien entendu. Enfin les multiples scandales économiques du secteur de l’énergie dont le plus connu est bien entendu Enron qui est à la base des nombreux problèmes de coupures d’électricité en Californie. L’administration Obama a donc choisi dès son entrée en fonction de mettre en place toute une architecture incitant à la relance de l’économie par la modernisation de nombreux secteurs dont l’énergie. Au sein de ce dernier, les smart grids se taillent une place importante puisque le grand paquet économique du premier mandat Obama, l’ARRA (American Recovery and Reinvestment Act) de 2009 octroie quelques 4,5 milliards USD pour la modernisation des réseaux. Ce coup de pouce économique a permis la mise en place d’une synergie État-entreprises matérialisée par le Smart Grid Investment Grants (SGIG) de 8 milliards USD. Les grandes entreprises américaines de l’énergie (GE, Edison Power, Duke Energy, etc.) et du cyberespace se sont ainsi intéressées de près à cette question au point d’en devenir des leaders.

De ce côté de l’Atlantique, ce sont les Allemands qui se sont montrés les plus en pointe dans cette question. De la même manière que les États-Unis c’est la double problématique environnement (charbon) – dépendance aux approvisionnements extérieurs qui a été le moteur de la prise de conscience de l’importance de l’efficacité énergétique. Le projet allemand E-energy – largement soutenu par le gouvernement de Berlin – qui vise à établir un smart grid transfrontalier avec l’Autriche et la Suisse témoigne d’une volonté particulière : celle de transformer l’avance technologique des entreprises allemandes et pression normative auprès de l’UE. En effet en installant le premier grand réseau intelligent transfrontalier, les entreprises allemandes pourraient établir la future base européenne en matière de normes sur cette question et, par-là, bénéficier d’un avantage compétitif certain. C’est d’ailleurs très probablement la volonté de récupérer des technologies concernant les smart grids qui ont été à la base de l’affrontement économique entre GE et Siemens pour la branche énergie du français Alstom. Malgré ce revers, la France demeure également un important pôle de développement des réseaux intelligents avec EDF, Engie ou Thales.

Dernier grand compétiteur, bénéficiant lui aussi d’une synergie particulière Etat-entreprises, la Corée du Sud fait figure de nouvel entrant dans la compétition internationale. La forme économique particulière des entreprises coréennes, les chaebols, où chacune des grandes entités est engagée dans de multiples secteurs, permet de réunir les énergies. En effet, bénéficiant de compétences tant dans le domaine de l’énergie que dans celui des TIC, les entreprises comme LG, Samsung et Hyundai, se positionnent dans le développement de solutions énergétiques dans un pays à la fois pauvre et ressources et bénéficiant d’une excellente couverture Internet et téléphonique avec le déploiement en cours de la 5G. Ici aussi les industriels ont choisi de se réunir avec le gouvernement pour collaborer au sein d’une entité dédiée à la question : la Korea Smart Grid Association (KSGA).

La compétition économique s’annonce donc féroce en ce domaine. Le marché potentiel est en effet énorme et, comme pour le nucléaire civil, la détention par un petit nombre d’États et d’entreprises d’un savoir-faire technologiquement avancé et attractif peut avoir des répercussions géoéconomiques importantes. Cette question des smart grids révèle également la mutation en cours du secteur des utilities énergétiques. La nécessité de prendre de plus en plus en compte les aspects de lutte contre le changement climatique dans un environnement de croissance démographique continue, oblige à penser l’efficience. Elle matérialise aussi la volonté des pays les plus avancés technologiquement de tenter de s’affranchir, autant que faire se peut, de la question des ressources.

Nicolas Mazzucchi

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By admin

One thought on “Artificialités futures – Les réseaux électriques intelligents, opportunités et vulnérabilités des villes de demain”
  1. Je vous remercie pour cet article. Il est de très bonne qualité, les points d eclairages sont pertinents et pose des questions essentielles. Vos propos m’ont permis de mieux cerner ces enjeux.

    Merci encore.

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