Il est rassurant de voir des scènes spontanées où les Français chantent ensemble leur hymne national. Il l’est aussi d’apprendre dans les médias que les ventes de drapeaux ont battu des records ces derniers jours, suite notamment à l’appel des autorités de décorer les fenêtres des habitations avec ce symbole que beaucoup croyaient éculé. L’élan de solidarité patriotique – les débats fleurissent en ce moment sur patriotisme et nationalisme, en dénaturant toujours autant la fameuse citation de Romain Gary (1) – plus d’une semaine après les attentats rassure quelque peu sur l’appréhension que notre pays a de ces évènements. Déjà certains s’interrogent sur l’efficacité de tel ou tel dispositif ; gageons que d’ici peu c’est sur le potentiel liberticide de certaines lois que les projecteurs se braqueront.
Frappée dans sa chair, deux fois d’affilée cette année, la France relève la tête ; celle du martyr. Ces attentats ont visé deux cibles différentes en 2015, touchant deux franges distinctes de la population. D’un côté avec Charlie Hebdo, la liberté d’expression, la presse et une certaine forme d’intelligentsia parisienne, de l’autre avec le Stade de France et les bars et restaurants du 11e, le public, toutes classes confondues allant de la famille jusqu’aux groupes de jeunes bobos ; surtout ceux se rendant au Bataclan, lieu de divertissement insupportable pour les auteurs des attaques. C’est donc un spectre large qui est visé pour provoquer une déstabilisation complète de la société. Les répercussions d’une action à Paris montrent que la France est toujours aussi macrocéphale malgré les politiques de décentralisation et que l’indistinction nébuleuse des cibles est bien la chose la plus terrorisante à grande échelle. Nous sommes bien loin des Brigades Rouges et autres avatars du terrorisme des années 1970-80, de la stratégie du en frapper un pour en éduquer cent. Au contraire même puisque le peuple fait bloc dans une communion nationale dont on ne peut que déplorer qu’elle n’existe qu’à la suite de ces circonstances.
Soyons néanmoins conscients d’une chose, les Français ne sont pas des Américains. Il y a peu de chances que renaisse dans ce pays un patriotisme déclamatif – qui nous rappellerait les feux du XIXe siècle finissant – où tout-un-chacun porterait à sa boutonnière les insignes nationaux. Point de cela, ou plus de cela, ici. Les pays du Vieux continent ont troqué ces orientations pour prendre celles de l’universalisme des valeurs, parfois au détriment de ce qui faisait leur identité. Combien de fois ces dernières années les commentateurs ont glosé sur la perte des valeurs françaises, la signification d’être français, le rôle de la France aujourd’hui, etc. De la part d’un pays qui a longtemps annoncé fièrement – parfois trop sans doute – son aspiration à la puissance, ces aveux de renoncement déguisés – l’on s’interroge rarement autant quand on est sûr de soi – laissaient songeurs. De la part d’un pays qui renie souvent son passé, célèbre d’avantage ses défaites que ses victoires et voit dans le mot de « puissance » l’ombre d’un totalitarisme casqué, il y a fort à parier que la floraison de drapeaux tricolores ne soit que saisonnière.
D’autres nations – le mot est lâché, mais ces derniers temps il semble que l’on rechigne beaucoup moins à l’employer … – gardent leurs mythes de cohésion. Outre-Atlantique il s’appelle « la Frontière » et sert de carburant aux Etats-Unis depuis maintenant près de trois siècles. En Europe cela fait longtemps que nos frontières ne sont plus des mythes, ou plutôt que justement elles ne sont plus que cela. En ces temps où les uns et les autres appellent à la révision de Schengen, constatant son inefficacité sécuritaire, cela laisse songeur. La marche en avant de la France est nécessaire, maintenant que les Français ont repris conscience qu’ils étaient un peuple, après avoir été attaqués dans les valeurs mêmes de ce qui fait d’eux ce même peuple singulier, il est temps qu’ils le redeviennent vraiment. La construction de l’identité passant par la confrontation à l’altérité, celle du 13 novembre ayant été particulièrement violente, l’élan actuel n’en est que plus important. Alors que nous nous enfoncions dans une fin de l’histoire heideggérienne, dans la molle hébétude de l’ennui et d’une Europe spectatrice de son destin sur la scène internationale, le brutal réveil de ces dernières semaines a rappelé à la France qu’elle avait encore une voix. Il n’est pas ici question de parler de destin mais plutôt de dessein collectif pour ce pays qui oubliait parfois son histoire, voire sa géographie.
Que nous reste-t-il ? L’espoir. Celui de se dire que ce qui se passe en ce moment peut laisser des traces positives. Les terribles évènements qui se sont déroulés cette année prouvent que certaines idées ne sont pas mortes, que des valeurs profondes unissent toujours les habitants de ce pays. Il s’agit maintenant de ne pas les laisser se perdre à nouveau car si le jour d’après la vie reprend ses droits, elle n’est jamais tout à fait la même.
Nicolas Mazzuchi, Polemos
(1) « le patriotisme c’est l’amour des siens, le nationalisme c’est la haine des autres » est l’une des dernières phrases du terrible et magnifique Education européenne paru en 1945]]>