Les attentats du vendredi 13 novembre, prévus comme inéluctables à terme par des spécialistes de la chose militaire et du milieu de l’anti-terrorisme, a donné corps au sinistre déroulement d’une opération de grande envergure perpétré sur le sol français.

 

Le macabre décompte s’est stabilisé à 130 morts (de 19 nationalités différentes). Chiffre qui aurait pu encore être plus élevé sans  l’avortement de la tentative des kamikazes visant le Stade de France.

Le temps du recueillement étant passé, les questions et projections se doivent d’avoir lieu.

Ce n’est pas la première fois que le terrorisme frappe la France. Citons chronologiquement 1986 et la rue de Rennes, 1995 et le RER station Saint-Michel, 2014 avec l’affaire Merah puis les 11 et 13 janvier avec les attentats à Charlie Hebdo et l’Hypercacher. L’on peut y inclure Nemmouche, né en France et responsable de la tuerie du musée juif de Bruxelles en mai 2014 ou encore Ayoub El Khazzani qui avait fomenté un acte similaire dans le Thalys reliant Amsterdam à Paris en août 2015.

En revanche c’est la toute première fois que deux opérations sérieuses se déroulent la même année, avec une gravité encore jamais égalée depuis la fin de la seconde guerre mondiale. D’autant que l’emploi de kamikazes est lui aussi une première et fait peser un risque permanent lors des rassemblements de toute nature (sportif, culturel, associatif, politique etc.).

À ce stade, plusieurs points méritent d’être soulevés :

  • L’inflexion du discours politique : il est dorénavant admis par les hommes politiques en charge de l’autorité publique que d’autres attentats peuvent survenir, que l’on est en guerre (déclaration martelée à l’envi et à dessein). Et dorénavant, cette situation peut durer un temps indéfini. Sur la base de cet aveu fondé sur du pragmatisme, le concept de résilience n’en deviendra que plus en adéquation avec cette nouvelle ligne politique.
  • Sur la question de l’état de la situation, le fait de rappeler avec force qu’une guerre est en cours (« acte de guerre » et « armée terroriste » selon le discours du samedi 14 novembre 2015) fait intervenir un ennemi. L’ennemi c’est Daech ou l’État Islamique. En revanche, jamais son représentant officiel n’est nommé (Abou Bakr Al-Baghdadi), de même qu’il y a incidemment une forme de reconnaissance de l’État en cours de formation (transfrontalier) puisqu’il a été formulé officiellement l’existence d’une guerre contre une armée. Or qui dit armée, dit État. Qui dit guerre contre un État, dit explicitement reconnaissance de ce dernier (la guerre civile aux États-Unis entre 1861 et 1865 porta longtemps sur la reconnaissance du titre de belligérant pour les confédérés par les puissances européennes).
  • Les forces de police, de gendarmerie et de l’armée sont mobilisées à l’extrême, notamment avec la prolongation de l’état d’urgence pour trois mois. Or ces dernières étaient déjà grandement sollicitées par le dispositif Vigipirate (en cours lors des évènements du 13 novembre), ce qui à terme fait craindre l’usure des forces à disposition malgré les rotations. Les annonces de milliers de postes supplémentaires ne les soulageront pas dans l’immédiat puisqu’une phase de recrutement puis de formation est nécessaire, laquelle prendrait des mois même en accélérant le rythme du processus.
  • Les services de renseignement américains ont accordé aux français un accès privilégié à des informations de première importance quant à des cibles potentielles en Syrie. Ce qui signifie bien sûr une bonne volonté comme une marque de solidarité des autorités américaines, mais aussi en corollaire atteste que leurs homologues françaises sont en manque de données stratégiques.
  • Le rapprochement avec la Russie, après des tergiversations et des reculades majeures (vente des BPC Mistral), matérialisé par la main tendue de François Hollande à Vladimir Poutine, frappé lui aussi par la disparition de près de 224 passagers au-dessus du Sinaï lors de l’explosion en plein vol de l’A321 à destination de Saint-Pétersbourg. Du reste, si l’opinion française est dorénavant favorable à des opérations au sol en Syrie, l’exécutif s’y refuse mais doit pour cela accepter l’activité de forces tierces, kurdes et rebelles mais aussi gouvernementales syriennes sans lesquelles une victoire ne peut être envisagée. Le cas de Bachar Al Assad autrefois verrou de toute négociation préalable (au point d’évincer une France jusqu’au-boutiste de la première rencontre diplomatique à Vienne), vient de sauter. À Vienne II, et dans la foulée des attentats de Paris, une feuille de route vient d’être ébauchée permettant d’entrevoir une transition politique qui ne ferait pas l’impasse sur le devenir du gouvernement actuel (rappelons à escient que le parti Baas dissout abruptement après l’intervention américaine en Irak avait permis de « nourrir » la rébellion sunnite). Signe d’évolution, le ministre des affaires étrangères français, inflexible jusqu’alors, a timidement émis pour la première fois l’hypothèse d’actions coordonnées avec les forces du régime syrien, facilitant de fait le rapprochement avec les autorités russes.
  • Le renfort du porte-avion Charles de Gaulle sur la zone, prévu avant les attentats, va permettre de tripler théoriquement les frappes aériennes en Syrie et en Irak. Un tel envoi va cependant devoir s’accompagner de résultats tangibles au vu du coût généré par son emploi. Pour l’heure, les frappes françaises comptent pour 12% des frappes non-américaines avec l’appoint d’aéronefs stationnés en Jordanie et aux Émirats Arabes Unis.
  • Un autre acteur d’importance est en passe de s’agréger activement au conflit : l’Angleterre. Les scènes de solidarité à Trafalgar Square puis l’hymne de la Marseillaise jouée lors de la rencontre de football à Wembley ont amorcé un rapprochement populaire qui s’est manifesté plus politiquement et militairement avec la rencontre entre David Cameron et François Hollande ce lundi 23 novembre par la mise à disposition des forces françaises de la précieuse base aérienne de la Royal Air Force à Akrotiri (Chypre). Soient quelques 310 kilomètres de distance des côtes syriennes les plus proches. De plus, le Premier Ministre britannique envisage dorénavant des frappes en Syrie, rompant avec les tergiversations antérieures.
  • Paris n’a pas été la seule capitale touchée : Beyrouth un jour avant a fait l’objet d’un double attentat (44 morts dénombrés) en plein quartier chiite, et dont le bilan aurait été bien plus grave sans le geste courageux et sacrificiel d’Adel Temos. Revendiqué par l’État Islamique, le but était de faire payer au Hezbollah sa participation aux opérations en Syrie. Le message demeure identique pour les deux capitales : si Daech veut frapper hors de ses frontières, Daech le fera envers tout pays déclarant le combattre ou abritant des forces susceptibles de lui nuire.
  • La coordination et la multiplication des modalités d’opérations rapprochent le cas de Paris de celui des attentats de Mumbaï (Inde) s’étant déroulés du 26 au 29 novembre 2008 dont le bilan fut effroyable : dix attaques terroristes synchronisées pour près de 173 tués et 312 blessés par un groupe islamiste frappant de haut-lieux symboliques tout comme à Paris.
  • En énonçant favoriser le pacte de sécurité sur le pacte de stabilité (pour un coût de 600 millions d’euros prévisionnels), le président français a ouvertement fait primer l’intérêt national sur des accords intergouvernementaux. De même que les contrôles aux frontières, refusés en pleine crise des migrants (alors que l’Allemagne et l’Autriche rétablissaient ceux-ci), est dorénavant mis en place. Ce qui contribue à déliter encore davantage l’espace Schengen qui a prouvé lors de crises récentes sa faible capacité à protéger les citoyens nationaux en laissant opérer des cellules terroristes en divers États signataires.
  • Quelle est la responsabilité des gouvernants dans le fait que des individus suspectés pour leur radicalisme n’aient pas été mieux surveillés/suivis par pure dogmatisme comme l’indique l’ancien responsable de la DCRI (actuelle DGSI) Bernard Squarcini au point de refuser des informations substantielles provenant des services syriens ?
  • Passée relativement sous silence, la sphère cyber (outre le message des Anonymous visant à effectuer des représailles envers l’EI) reste stratégique car les moyens de communication utilisés comme l’impact médiatique des attentats du 13 novembre place celle-ci dans la bataille. Cyber devant être entendu dans son acception large, et non uniquement Internet qui n’en est qu’un élément rappelons-le toujours. Ainsi, des cartes SIM jetables de mobiles participent à ces actes en ce sens qu’ils sont des moyens de communication, lesquels peuvent même se muer en leurre le cas échéant. Autre exemple : la localisation satellites de points stratégiques après recherche, recoupement et analyse fait aussi partie de l’espace cyber. Quant à l’affaire des consoles PlayStation 4, susceptibles de favoriser l’échange de données entre terroristes, rien n’est officiel à l’heure actuelle, se fondant sur de pures spéculations (qui ne sont pas à éluder malgré tout car réalisables techniquement).
  • À chaque nouvel attentat, une couche législative en matière de sécurité publique est annoncée. Au point désormais d’inquiéter certains experts quant à l’altération du régime politique. Un des buts principaux recherché par les groupes terroristes actifs est de forcer la population à s’enfermer dans la psychose et obliger ses représentants à altérer la nature du régime honni, par exemple avec une surveillance de masse et des complications quotidiennes reposant sur la majorité de la population. De plus, le renforcement des peines sera-t-il véritablement dissuasif pour des individus qui sont parés à se sacrifier pour leur cause et dont l’appréhension de leur univers environnant n’est pas celui de la raison mais de la foi ? La surenchère dans les annonces a aussi une limite : celle de la crédibilité de la parole politique.
Des considérations qui nécessiteront une étude postérieure mais dont les conséquences pourraient peser lourdement sur le devenir de la France en particulier et des pays européens en général.
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