La base aérienne de Sha’irat, près de Homs (Google Earth)[/caption]
Selon le journal koweïtien Al-Raï, la Russie se préparerait à ouvrir une seconde base aérienne en Syrie, à 35 km au sud-est de Homs, sur l’aérodrôme de Sha’irat. Avec la mise en service prochaine de cette base, le groupe aérien russe déployé en Syrie pourrait atteindre les 100 unités.
Des activités militaires russes à partir de cette base ont toutefois été constatées depuis le début du mois de novembre. Quatre hélicoptères d’attaque Mi-24 et un hélicoptère de transport Mi-8 y seraient en particulier déployés depuis le 6 novembre (il s’agit probablement d’un groupe d’appui pouvant faire office, le cas échéant, de groupe de sauvetage pour récupérer des pilotes russes si un avion était abattu), tandis que de l’artillerie lourde y serait positionnée au moins depuis le 20 novembre. Selon les données disponibles sur Flightradar, des avions de transport lourds An-24 se succèdent sur cet aérodrôme afin de le rendre praticable pour les avions de chasse.
La mise en service de cette base permettra à la Russie de concentrer ses frappes sur la région de Palmyre, et au-delà, sur Deir ez-Zor, aux mains de l’Etat islamique. En ce sens, ce mouvement signale une évolution de la présence militaire russe en Syrie qui devrait concentrer ses efforts contre l’EI, la base de Lattaquié servant probablement avant tout aux opérations contre les groupes terroristes agissant sur la partie Nord du pays, et contre l’EI à Raqqa. Cela signifie aussi que les capacités offertes par les installations aériennes près de Lattaquié ne sont plus suffisantes compte tenu des objectifs russes et de la situation sur le terrain.
Les conséquences du bras de fer russo-turc sur l’équilibre sécuritaire en Méditerranée orientale et en mer Noire
La destruction d’un Su-24M par la chasse turc le 24 novembre dernier est susceptible de générer des tensions sur le théâtre naval pontique et au Levant. La Russie a rompu les contacts militaires avec la Turquie : il n’y a plus d’attaché militaire à l’ambassade russe d’Ankara, et Moscou a suspendu sa coopération navale dans le cadre de la taskforce BlackSeaFor (moribonde depuis 2008, il faut le souligner). Si la question de la libre-circulation des navires russes à travers les Détroits turcs n’est fort heureusement pas encore posée, il n’en demeure pas moins que la tension autour des activités navales russes et turques dans en Méditerranée orientale est palpable. Le détachement naval russe au Levant est constitué des bâtiments suivants (29/11/2015) :
- le croiseur lance-missiles Moskva
- la frégate Smetlivy
- le navire de renseignement Vassili Tatischev
- le tanker Ivan Bubnov
- 3 autres bâtiments de soutien, y compris le bâtiment océanographique Amiral Vladimirskiy
Par ailleurs, le sous-marin classique d’attaque B-237 Rostov-sur-le-Don (Projet 0636.3) ne semble toujours pas avoir rejoint la mer Noire : il doit donc encore croiser en Méditerranée orientale, et contribuer à la protection du Moskva. De son côté, la Turquie disposerait de deux sous-marins en patrouille au Levant (TCG Bolunay et TCG Burakreis). Autant dire que le groupe naval russe ne ferait pas le poids dans l’absolu contre les navires turcs qui pourraient rallier rapidement la zone en cas d’hostilités. Il ne faut pas exclure que la Russie dépêche sur zone le porte-avions Amiral Kouznetsov, mais cela constituerait un signal négatif vis-à-vis du développement de la situation : le Kouznetsov est avant tout un outil à faire de l’interdiction de zone (verrouillage aérien et lutte ASM).
En vertu des articles 20 et 21 de la Convention de Montreux (1936), qui régit le franchissement des Détroits, Ankara peut, si elle se sent menacée, décider de la fermeture du Bosphore et des Dardanelles, dont les modalités de traversée seraient alors laissées à la seule discrétion des autorités turques. Dans le contexte actuel de tensions avec la Russie, cela signifierait une mise en œuvre de fait d’un blocus des ports russes de la mer Noire. La Turquie pourrait décider de mesures intermédiaires qui consisteraient, par exemple, en l’inspection de navires civiles affrétés par la Russie pour transporter du matériel à destination de la Syrie (certains bâtiments ont d’ailleurs été achetés auprès de la Turquie…). Toutefois, il s’agirait là d’un tournant sans précédents aux conséquences graves pour les Russes et les Turcs, et par extension, pour la sécurité de toute la région, des Balkans à la Caspienne. Les navires de l’escadre méditerranéenne de la Russie se retrouveraient alors ‘prisonniers’ en Méditerranée, et ne pourraient compter que sur le point d’appui technique de Tartous, et dans une moindre mesure, sur Chypre.
Mise à jour du 02.12.2015 : travaux d’amélioration et d’extension de la base aérienne russe de Lattaquié (Basel el-Assad) signalés sur certains forums.
Igor Delanoë Le Portail des forces navales de la Fédération de Russie
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