Starship troopers a été un bide relatif au niveau commercial. Il faut bien le reconnaître. Est-ce bien mérité ? Certainement pas si l’on regarde cette dystopie comme un miroir des défauts de notre temps, qui nous pointe le risque de la dégénérescence des démocraties en empire totalitaire. Une fois compris les malaises palpables à la vue de ce film quelque peu subversif – à moins de ne vouloir voir qu’un très bon film d’action (très mauvais pour ses suites), ce récit reste savoureux.
De quelle société parlons-nous ?
Un film tiré d’un roman contre-utopiste
Le monde décrit dans Starship troopers est simpliste au premier abord. Il faudrait plutôt le présenter comme simplifié, à la manière des jeux vidéos dont on limite le nombre de paramètres pour en augmenter la compréhension rapide. Ce n’est pas une saga à la Star wars ou de type Seigneur des anneaux dont – il faut le dire – les nombreuses longueurs des premiers épisodes de trilogie servent à mettre en place l’histoire. Le pitch de Starship troopers est plus rapide à effectuer. Néanmoins, la complexité de Starship troopers n’est pas moins élevée que l’excellent La Guerre des mondes de H.G Wells.
Ce film de 1997, d’après un scénario d’Edward Neumeier, est inspiré du livre éponyme de Robert A. Heinlein, Étoiles, garde-à-vous ! (1959) . Paul Verhoeven, réalisateur, met en scène l’histoire de Johnny Rico, jeune citoyen engagé dans l’Infanterie mobile durant une guerre interstellaire entre l’humanité et les Arachnides. J.Rico deviendra officier au fil de ses aventures, commandant une unité d’élite. Ces aventures s’inscrivent dans un contexte particulier, sans doute le plus intéressant dans le film : la société met en avant la nécessité de développer des vertus civiques fortes qu’il devient difficile de discriminer par rapport à un militarisme totalitaire.
Pour le détail, il faut bien sûr regarder le film qui n’est pas raconté dans le billet : destruction de Buenos Aires (8,5 millions de morts), débarquement à Klendathu, la mission de sauvetage sur la colonie de Tango Urilla, assaut contre la planète P pour la capture d’un cerveau Arachnide…
Une fédération terrienne militariste
Né de l’effondrement des systèmes démocratiques, une fédération terrienne (gouvernement unique de la Terre), où les civils n’ont pas le droit de vote, a été constituée. Le vote est réservé à ceux qui ont effectué leur période de service fédéral au sein des forces armées. Libérée des guerres sur terre, la fédération se lance dans la conquête – colonisation en fait – de l’espace et l’exploration de nouveaux systèmes planétaires, dont Klendathu qui est celui des Arachnides (insectes extraterrestres). Tout aussi belliqueuse, la civilisation insecte lance des contre-attaques ponctuelles contre les Terriens et ainsi menace la Fédération.
La Fédération ressemble beaucoup à un mélange de la société spartiate où la citoyenneté est liée à l’agoge, l’éducation des jeunes spartiates, d’un Etat totalitaire du XXème siècle et de l’Amérique des années 1990. La différence notable avec ces régimes est que le civil a le choix de rester civil ou de devenir citoyen. Les citoyens disposent ainsi de tous les droits de la Fédération : voter, financement des études, autorisation d’enfanter, etc. Les civils, sous-citoyens, ne disposent pas de ces droits mais peuvent y accéder grâce au service (militaire) fédéral. C’est par ce choix que débute réellement l’action du film qui suit un groupe de jeunes recrues du service fédéral, volontaires pour l’infanterie mobile, le service dans la flotte ou la recherche scientifique militaire.
Pourquoi un sentiment de malaise en regardant le film ?
Les incompréhensions ou sentiments de malaise par rapport à ce film sont réels et ont conduit des critiques à une sévérité extrême voire des contresens.
1er malaise : le dédain des autres espèces évoluées
C’est frappant ! Comme les arachnides ne parlent pas notre langage et n’ont pas une forme proche d’un humain, le spectateur les considère d’emblée comme non intelligents et bestiaux ! Cela nous ramène à une hiérarchie des espèces sur Terre qui veut que les mammifères ou ceux qui leur ressemblent soient à la pointe de l’évolution. Dans cette histoire, il n’est pas besoin de déshumaniser l’ennemi – car il n’est pas humain – pour le considérer comme fondamentalement inférieur. Pourtant, ceci n’est pas le cas la Guerre des étoiles ou dans une moindre mesure dans le Seigneur des anneaux, par rapport aux espèces évoluées qui nous sont présentées. Une fois mise de côté la ressemblance avec des animaux primitifs sur Terre (cafard ou punaises surnom des arachnides dans le film), on constate un comportement symétrique. L’ennemi arachnide est un ennemi intelligent qui manœuvre. Il est reproché à ces extraterrestres de combattre jusqu’au bout, tant que leur centre nerveux n’est pas détruit mais… c’est aussi le cas des soldats de la Fédération. On nous montre des corps humains déchiquetés qui font écho dans certaines scènes à des corps arachnides déchiquetés. Le dédain pour cet ennemi est palpable. « The only good bug is a dead bug » raisonne ainsi comme le « The only good Indian is a dead Indian » du général Sheridan (ou qui lui est attribué). On comprend alors que ce film, loin d’être une apologie d’un fascisme militariste, est une critique de l’impérialisme expansionniste. A cette aune, on comprend mieux ce « western » SF avec les combats sur la frontière.
2ème malaise : l’apologie de la guerre coloniale de masse
La tactique de la fédération est des plus rudimentaires (c’est aussi un film d’action) mais la stratégie de mobilisation de la population est complexe. L’art de la guerre de la Fédération est fondé sur 3 armées principales, responsables de 3 espaces : « solide » pour l’infanterie mobile, « fluide » pour la flotte [pour reprendre la typologie de L. Henninger] et « cognitif » pour les services scientifiques (propagande, télépathie). La base du combat est l’infanterie (mobile) qui rappelle un mauvais ersatz, fascisant et brutal, des Marines américains. Quelques appuis feu et mouvement de la flotte (avions ou vaisseaux spatiaux) sont parfois observés. Le manque de renseignement est la marque de fabrique des échecs de la Fédération. Il coûte 300 000 hommes lors du débarquement de Klendathu ou une défaite inutile lors de l’embuscade de la colonie de Tango Urilla. Ceci dénote, comme souvent, une surestimation des capacités d’action amie et une sous-estimation de l’intelligence de l’ennemi. La guerre menée semble ne faire aucun cas de la vie humaine qu’elle dit pourtant vouloir défendre. Les combats montrent des batailles à des échelles que l’on n’a connues qu’aux pires heures du début du XXème siècle, pour des résultats pitoyables et des conséquences politiques limitées à quelques relèves au sein du grand commandement.
3ème malaise : la militarisation totale de la société
A cela, il faut ajouter une dimension idéologique et de propagande. Les encarts publicitaires dans le Federal Network ne sont pas sans rappeler les débuts de l’Internet. Le « vous voulez en savoir plus » renvoie au net naissant en complément des informations dont on imagine qu’il s’agit aussi de télédiffusion. Dans un spot d’ ‘information, on retrouve une publicité pour entrer dans les forces de la Fédération, des soldats souriants montrent leurs armes à des enfants qui jouent, puis on voit l’annonce d’une condamnation à mort diffusée sur tous les chaînes, une retape pour repérer les talents psychiques des certains citoyens, la sauvagerie d’un arachnide découpant une vache devant un « censored » qui ne cache pas les éclaboussures de sang, et finalement les corps déchiquetés de coloniaux imprudents… Tout ce qu’il faut pour faire peur et mobiliser une population. Dans ce contexte, plus que le militarisme caricatural, c’est la propagande qui fait que le libre-arbitre nécessaire à la démocratie est largement entamé. On aurait pu juger recevable une démocratie dans laquelle une partie de la population ne puisse pas voter (citoyens versus civil) par choix, sans même revenir à une démocratie à suffrage non universel. Dans nombre de démocraties, ce nombre n’est pas nul. En France, au moins 10% de la population est non inscrite et l’abstention est d’au moins 15%, sans parler de l’âge pour avoir le droit de vote. On parle donc de plusieurs millions de personnes qui ne votent pas ou peu. Ce qui est foncièrement gênant et différent dans le modèle de la Fédération, c’est que tout dans la propagande vise à restreindre la possibilité réelle de faire le choix de la citoyenneté. En dehors de la citoyenneté (donc le militarisme totalitaire) point de salut ! On pense au début du récit que cette société est une société de responsabilité des individus mais il n’en n’est rien. L’Etat s’occupe de tout et le peu de liberté et de droits ne peut être obtenu qu’en combattant dans une armée ne respectant ni son ennemi, ni ses membres.
Pour ces trois raisons et comme on s’identifie très facilement aux humains de la Fédération, un sentiment assez particulier naît la première fois que l’on voit le film ; ce qui nous renvoie, un peu, à notre quotidien…
Ce film préfigure-t-il l’évolution de notre monde ?
La Fédération des citoyens unis est un internationalisme avec des structures totalitaires censées être démocratiques. En ce sens, comme nombre de récits contre-utopistes, le mal provient d’un excès de volonté de faire le bien des citoyens à leur place. C’est là que le film reste bien un récit issu du XXème siècle, le roman d’origine ayant été rédigé dans les années 1950, alors que le monde sortant de la lutte contre le nazisme était entré dans une guerre froide dont l’extension dans l’espace était prévue de part et d’autre. Le conflit présenté est donc entre entités homogènes et non perméables qui s’affrontent. Ce récit est donc moins adapté à notre temps et à ses formes d’internationalisme – principalement djihadiste – qui est à l’œuvre, depuis la fin du projet soviétique. Pour autant, s’il n’est pas une vision politique de l’avenir proche, il reste intéressant en tant que description d’une dictature connectée à des citoyens 2.0 qui ne sont pas libérés par l’accès à l’information mais bien aliénés. Cela nous rappelle aussi que rien n’est jamais définitif en termes d’organisation politique…
Ce film est donc à regarder et à revoir, en prenant du recul par rapport à ce qui est montré au 1er degré. C’est un bon entraînement à l’esprit critique, en somme, par rapport à l’actualité dont nous sommes quotidiennement abreuvés.
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