Les attentats de novembre en France ont eu un retentissement mondial. Tel était le but recherché, assez prévisible du fait du pouvoir d’attraction de Paris. Le lieu n’a pas été choisi au hasard, et les cibles ont été de natures suffisamment variées pour que l’on sache bien que le califat frappait là où il voulait et quand il voulait.

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Ce qui est justement le problème.

Ce qui devrait interpeller tous ceux qui ont présidé (ou déclaré qu’ils présidaient) et président encore à la sécurité intérieure de notre pays.

Car les menaces du califat n’étaient pas voilées. Les attentats de janvier ont été une “mise en bouche” au goût amer, mais la mesure n’en a pas été prise. La conséquence en a été une accumulation de failles dans la sécurité intérieure de notre pays, laquelle a mené au Bataclan, au stade de France et aux terrasses des cafés parisiens.

L’émotion a été à son comble.

Mais on ne construit ni une stratégie, ni une politique avec de l’émotion.

On ne peut non plus mettre des rustines sur la stratégie préexistante, car en ce qui concerne le front intérieur, il n’y a jamais eu de réelle réflexion. La poursuite des habitudes, puis la rupture avec celles-ci par l’instauration d’une culture du résultat et l’instauration de la sécurité en thème de campagne électorale ont stérilisé le débat.

Aucune critique du vocabulaire utilisé, aucune élaboration de doctrine, aucune réflexion tactique ni leçons tirées des événements survenus dans d’autres pays (à de rares exceptions près, mais non diffusées largement) n’ont eu lieu. Ce thème a été élevé en tabou (seuls certains savent), ce qui a entraîné son dépérissement.

Il est donc indispensable d’utiliser maintenant le bon vocabulaire, de se poser les bonnes questions et de cesser de confisquer la réflexion au profit de représentants de cénacles qui, quelle que soit la majorité politique au pouvoir, ne cessent de donner des conseils suivant la direction du vent.

Se poser des questions sur notre ennemi et nos amis, le terrain sur lequel l’ennemi nous affrontera et le temps de l’affrontement ne garantit pas l’exhaustivité de la réflexion, mais en constitue quelques bases intéressantes.

  L’ennemi

Il est visiblement délicat de qualifier l’ennemi, la peur de stigmatiser une partie de la population tétanisant la majorité de ceux qui se hasardent à le faire publiquement.

Notre ennemi est-il le terrorisme ? Bien sûr que non ! Tout État vivant dans la paix ne souhaite ni mener des campagnes terroristes, ni soutenir des actions terroristes, car il sait que des représailles sont susceptibles de s’exercer sur son territoire.

De plus, déclarer que l’ennemi est le terrorisme, puis que nous sommes en guerre, revient à chausser les bottes de cow-boy de George W Bush et poursuivre sa guerre globale contre le terrorisme qui a remporté les succès que l’on sait. Le terrorisme est un mode d’action au service du cause. C’est cette cause qui est l’ennemi.

 

Il est donc indispensable de nommer l’ennemi.

Mais là se trouve la difficulté pour la majorité de ceux qui se veulent décideurs. Déclarer que c’est l’islamisme radical n’est pas faux, mais pas entièrement vrai. Car quel est le seuil de radicalité au-delà duquel on devient un danger pour la société ? Tout croyant qui souhaite vivre pleinement sa foi se pose un jour la question de la radicalité de sa réponse à son Dieu. Faut-il pour autant ressusciter le communisme albanais qui a été le premier à chasser toute représentation de Dieu de son pays ? Faudra-t-il encore modifier la loi qui s’applique à Mayotte, département français de plein exercice, où les cadis, survivants de la justice islamique, n’ont pas encore abandonné tous leurs pouvoirs [1] ?

Face à ce problème, les contorsions intellectuelles abondent afin de ne pas stigmatiser. Si l’intention est louable, la mise en pratique engendre une grande confusion, laquelle découle du simplisme avec lequel l’islam a été présenté.

Un des problèmes est que ceux qui pérorent le plus sur l’islam n’en ont qu’une connaissance très partielle, et la voient à travers le prisme déformant de ce qu’ils croient connaître de la religion catholique. Ils rêvent ainsi d’un CFCM hiérarchisé comme l’Église catholique, mais si l’on compare l’islam et le christianisme, le sunnisme est plus proche du protestantisme que du catholicisme : il n’y a ni hiérarchie, ni interprétation unique des textes.

Ils rêvent aussi de prêches en français et non en arabe, mais qui ira écouter ces prêches et alertera les autorités en cas de déviance des propos ? Sans oublier que l’arabe étant la langue de la révélation du Coran, leur rêve d’imposer une langue vernaculaire se heurtera à la volonté de respecter la langue divine tout au long du culte.

Amnésiques (ou incultes), ils oublient que le césaro-papisme a été un échec et que la religion que soutenait Julien l’Apostat ne lui a pas survécu.

Que faire alors ?

Se souvenir que la France a déjà mené des conflits dans des terres de tradition musulmane, contre des personnes qui instrumentalisaient également leur religion, et que les combats n’ont pas mené à une révolte des gens pieux.

S’inspirer de ce qui se fait au Maroc et même en Mauritanie. Dans ce dernier pays, des débats théologiques ont été télédiffusés afin de prouver à la jeunesse mauritanienne que le djihad prêché par le calife et ses sbires ne constituait pas le vrai islam.

L’autre problème est qu’une majorité des terroristes qui ont frappé notre pays ne sont pas des étrangers. Ils avaient la même nationalité que leur victime ou étaient belges. Si nous sommes en guerre et que nos ennemis sont des nationaux, sommes-nous alors en guerre civile ?

Si nous sommes en guerre, alors nous sommes opposés à des combattants, et non à des assassins, sinon cela revient à assimiler tout soldat à un assassin.

Il est indispensable de se demander pourquoi des nationaux frappent des nationaux. Mais il faut aller au-delà de ce premier point et regarder l’avenir qu’on leur propose.

Où sont les lendemains qui chantent ? Où est l’espoir d’un monde meilleur, d’une promotion sociale ? Comment peut-on faire rêver ? Si le seul horizon proposé est l’assistanat, il ne résiste pas face aux promesses du paradis d’Allah.

Proposer un véritable avenir, sortir de la “culture du déchet” est un défi qui devrait mobiliser les énergies, bien plus que d’entretenir une mentalité de rentier.

à suivre…

[1] http://www.senat.fr/rap/r11-675/r11-675_mono.html#toc74

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2 thoughts on “Penser la "guerre" intérieure (1/4)”
  1. « S’inspirer de ce qui se fait au Maroc et même en Mauritanie. Dans ce dernier pays, des débats théologiques ont été télédiffusés afin de prouver à la jeunesse mauritanienne que le djihad prêché par le calife et ses sbires ne constituait pas le vrai islam. »

    Pourquoi ce que disent ces imams mauritaniens et marocains seraient le « vrai » islam ?
    Parce qu’ils citent le coran et les haddiths ? C’est bien. L’EI fait la même chose et pourtant son islam serait « faux ».

    1. Exposer un point de vue ne signifie pas être d’accord avec tous ses termes.

      Ces deux exemples ont été cités car ils illustrent comment des sociétés musulmanes réagissent au djihad prôné par le Calife. Quant à la question de savoir comment distinguer le vrai islam du faux, c’est une question sur laquelle les avis peuvent être partagés.

      Ceci dit, cette démarche a au moins le mérite d’essayer de répondre à une question posée sans avancer les sottises du genre « c’est pas si simple », « c’est plus compliqué que ça » qui n’ont pour objectif que d’endormir les consciences. Quant au « pas d’amalgame », l’argument est un peu court.
      S’il ne faut pas en faire, c’est que certains en font. S’ils en font, c’est qu’ils ne disposent pas de tous les éléments nécessaires à leur parfaite compréhension. Qu’on les fournisse donc au lieu de rester dans l’incantation.

      Et puisque nous sommes en guerre (contre qui ?), n’hésitons pas à reprendre les classiques.
      Le général Beaufre, dans La guerre révolutionnaire, écrit à propos des guerres coloniales révolutionnaires perdues par les métropoles : « l’idéologie révolutionnaire, seul moteur décisif de la rébellion, n’a jamais été combattue par une idéologie de valeur équivalente, si bien que la guerre révolutionnaire n’a jamais été bilatérale. »
      Même si nous ne sommes pas dans une guerre de ce type (encore que le Calife peut avoir une appréciation ne concordant pas avec la nôtre), n’y -t-il pas des éléments communs entre ce que nous vivons et ce que décrit le général Beaufre ?
      Les chansons de Barbara et de Johnny sont-elles des réponses suffisantes à la propagande et aux promesses du Calife ?
      Au moins le Maroc et la Mauritanie, répondent, ce qui vaut mieux que le mutisme.

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