Le temps

Un des ennemis célèbres des démocraties a déclaré que “le temps travaillait pour le communisme.” La question mérite d’être posée lorsqu’on envisage la lutte contre le califat. Le temps travaille-t-il vraiment pour lui ?

Cependant, avant d’envisager l’avenir, il est intéressant de constater que le rapport au temps que nous impose le califat concerne également le passé et l’éternité.

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Le passé d’abord, de par les incessantes références du califat aux premiers temps de l’islam, que leur évocation soit ou non conforme à la réalité.

S’ancrant dans le passé, il interpelle tous ses ennemis dans le rapport qu’ils entretiennent avec le leur. Le califat est fier du sien, ce qui n’est pas le cas de tous ses adversaires. Notre pays en est un exemple frappant, tant les rapports qu’il entretient avec son passé (proche colonial et lointain monarchique) sont compliqués.

Cette honte de notre propre passé devient une force pour lui, car son évocation fait naître des sentiments de culpabilité. Le califat ne cesse d’en tirer profit en nous renvoyant au temps des croisades, qualifiant d’ailleurs dans sa revendication des attentats du 13 novembre Paris de ville “qui porte la bannière de la Croix en Europe”.

En France, le malaise causé par cette confrontation au passé est flagrant, car aucune réponse officielle n’y fait allusion. Mais on ne peut laisser cette interpellation sans réponse. Il convient alors de se demander quel est notre passé et sur quoi nous avons construit les temps présents. Ce qui peut rappeler l’interrogation fondamentale de Marcel Jousse dans son introduction à l’anthropologie du geste : “Comment l’homme, placé au sein des perpétuelles actions de l’univers, réagit-il à ces actions et en conserve-t-il le souvenir ?”

 

La déchéance de la nationalité des binationaux nous pousse aussi à la confrontation avec le passé. Cette question encore interdite il y a peu, vient d’être placée sous les feux de la rampe, tant en France qu’en Belgique, même si les réponses institutionnelles ne sont pas les mêmes.

Déchoir de sa nationalité française un binational, c’est ipso facto le renvoyer à son passé ou à celui de ses ancêtres, car l’intéressé peut n’entretenir qu’un rapport ténu voire imaginaire avec la terre de ses ancêtres.

Cela revient également à constater qu’au moins dans certains cas l’intégration n’a pas fonctionné. Sommes-nous alors sûrs de son bon fonctionnement ?

En plus du passé, le califat nous pousse à nous poser la question de l’éternité, puisque les auteurs des attentats se voient promettre le paradis d’Allah pour l’éternité. Ce qui implique des questions proprement métaphysiques. Quel rapport avec l’éternité entretenons-nous ? Si nous nions l’éternité, que pouvons-nous promettre à des personnes prêtes à mourir pour ce qu’elles espèrent y trouver ? Comment pouvons-nous les dissuader de franchir ce pas ?

 

La question du temps nous interpelle également à propos du temps présent. Que faire ? Comment réagir ? Suffit-il de continuer d’aller dans les bars et les salles de spectacle pour lutter contre le califat ? Nous pouvons en douter, car avant la venue de la crise, les cafés et salles de spectacle étaient remplis, ce qui n’a pas empêché le calife de recruter.

Cette question du présent, et de la façon de mener la lutte, amorce celle de l’avenir. Qu’allons-nous faire pour lutter aujourd’hui, demain et après-demain contre le califat ? Il apparaît déjà un renversement des alliances puisque le rapprochement avec la Russie s’opère, et que le départ d’Assad n’est plus un pré-requis pour la diplomatie française. Nous voyons ici comme l’étude du temps nous désoriente, car en envisageant l’avenir ou même en regardant le présent, nous sommes amenés à regarder le passé d’une manière parfois différente.

Cela se confirme avec la question des moyens militaires utilisés contre le califat. Il fut un temps où il fallait tirer les dividendes de la paix, puis un autre où les livres blancs énonçaient que les menaces augmentaient mais qu’une réduction des moyens de prévention et de lutte était compatible avec cette augmentation. Et maintenant, il serait question d’un manque de bombes à larguer sur le califat. L’impréparation de l’avenir finit, hélas, toujours pas se payer. Et pour y remédier, l’effort à fournir s’agrandit.

 

L’avenir c’est de savoir combien de temps durera ce conflit, combien de temps la France devra supporter l’état d’urgence par définition réducteur des libertés individuelles, même si c’est pour le bien du pays.

Au bout de combien de limitations des libertés individuelles, de combien de temps de restriction des libertés individuelles une démocratie tombe-t-elle dans la dictature ?

Questions importantes et fondamentales.

  Conclusion

Nous le voyons, cette réflexion relative au fait de penser ce qu’on nomme guerre intérieure soulève plus de questions qu’elle n’apporte de réponses.

Cela est vraisemblablement dû au fait qu’à force de négliger la pensée, l’action est désordonnée. Il est un temps pour se préparer à la crise, pour l’anticiper, et s’il n’est pas saisi, la crise nous percute violemment.

C’est ce que vient de vivre notre pays.

Est-il trop tard pour réfléchir, penser cette guerre intérieure qui nous est imposée ? Non, mais le faire alors que l’action indispensable s’opère en parallèle n’est pas des plus confortables, les personnes impliquées dans l’action ayant tendance à accuser les penseurs de les brider ou de les dénigrer.

Même si le temps n’est plus à la réflexion paisible, il est indispensable de définir une stratégie à opposer au califat, sans oublier d’adapter la tactique à cette nouvelle forme de combat.

Il est aussi indispensable de se réapproprier les terrains sur lesquels les combats auront lieu.

Et pour ne pas laisser le temps travailler pour le califat, il faut le reconquérir (le passé) car tous nos ancêtres n’ont pas été uniquement des barbares, et il faut également en prendre possession (le présent et l’avenir).

La tâche est immense, mais on ne peut la négliger, à moins qu’on ne veuille faire allégeance au calife.

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By admin

One thought on “Penser la "guerre"intérieure (4/4)”
  1. Le temps est une vraie question.
    Les propos de l’article illustrent ce qu’écrivait Guy Debord dans « Commentaires sur la société du spectacle » en 1988, quand il mentionnait :
    – « un présent qui veut oublier le passé et qui ne donne plus l’impression de croire à l’avenir » ;
    – « la fin de l’Histoire est un plaisant repos pour tout pouvoir présent » ;
    – « un État, dans la gestion duquel s’installe durablement un grand déficit de connaissances historiques, ne peut plus être conduit stratégiquement. »

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