Depuis quinze ans, les success stories et les start-up du djihad (Daesh, Boko Haram, Al-Qaïda Maghreb Islamique, Al-Qaïda Péninsule Arabique, Al-Nosra, etc) donnent toujours plus de fil à retordre aux gouvernements, aux services de sécurité et aux experts tous azimuts tenus d’inonder les médias de leurs brillantes solutions anti-terroristes. Fortes du consentement tacite ou de l’incitation explicite d’opinions traumatisées – à juste titre, les appareils politiques font la part belle aux méthodes martiales : il faut tout surveiller et punir à l’intérieur et frapper dans le tas à l’extérieur. Pas de quartier. Peu importe les conséquences qui ne feraient qu’alimenter un virus qui semble gagner chaque jour du terrain.
De l’Amérique à l’Afrique, de l’Europe à la Russie via le Moyen-Orient, les huiles politiques et militaires évoquent grandement des vendeurs de logiciels antivirus qui ne font qu’implémenter et réactualiser les mêmes solutions face à des hackers qui recourent à l’ingénierie sociale et à des kits de piratage personnalisés.
À l’image d’une mouvance hacktiviste transnationale très au fait des divers systèmes d’exploitation, le « djihad global » a su se greffer sur des réalités locales ou régionales : les malaises identitaires et sociaux dans les « quartiers » en Europe, la rivalité séculaire Sunnites-Chiites au Moyen-Orient, les populations abandonnées par des états faillis et/ou corrompus dans/autour du Sahel, le chaos consécutif au printemps arabe en Afrique du nord… et autres zones de crises/conflits qui mériteraient une encyclopédie multimédia plutôt qu’un article de blog.
Au-delà de ces facteurs intrinsèques, le djihad semble exercer une puissante attraction gravitationnelle qui dépasse des analyses essentiellement rationnelles (ou “rationnalistes”), faisant trop souvent fi de cette dimension passionnelle et irrationnelle fondamentalement inscrite dans la nature humaine.
Par ailleurs, le djihad(isme) est souvent comparé, à tort ou à raison, au nazisme. Malheureusement, cette approche comparative ou analogique nuit grandement à nos lentilles contemporaines. Le nazisme, le stalinisme et le maoïsme étaient des fléaux politiques peu ou prou consubstantiels à un ensemble de paradigmes (philosophiques, géopolitiques, scientifiques, technologiques) et à “l’esprit d’une époque”.
Pour caricaturer, des cliques de tarés au pouvoir ne trouvaient pas le sommeil tant qu’ils n’avaient pas mis en oeuvre un procédé industriel ou une solution de masse pour éliminer tout objet de suspicion, de rejet ou de haine : population, ethnie, religion, nation, etc etc etc.
Le djihad est très probablement le plus dangereux fléau politique et sécuritaire peu ou prou consubstantiel à un ensemble de paradigmes et à l’esprit de notre ère informationnelle, éléments qui seront sûrement mieux décrits par les historiens du futur. À mes yeux de “technologiste”, ce fléau est en phase avec divers éléments de l’ère informationnelle tels que le Web social, les applications mobiles, les malwares, les logiciels open source et le hacking.
Ainsi, tout le monde peut télécharger son djihad pour peu que son système d’exploitation soit sensible à certaines informations, victime de certaines subversions ou sujet à certaines vulnérabilités. Une fois installé, le djihadiste est mu par une volonté constante de dépassement… ou par la quête perpétuelle d’un upgrade. Toute tentative spontanée ou brutale d’éradication par le professionnel de la cybersécurité ne fait que propager ce malware mutant (dissimulé derrière une app anodine) vers d’autres machines et d’autres réseaux. Le système informatique, paramétré en sécurité maximale et saturé par les fausses alertes, parasite sa propre routine et devient peu à peu son propre ennemi. En outre, cette sournoise application mobile est open source et gratuite et peut donc être modifiée, renommée et exploitée à volonté par son utilisateur ou par une communauté d’utilisateurs. Pour couronner le tout, ce malware n’est détecté et éliminé qu’après avoir causé des pertes humaines et dégâts matériels.
Les stratèges du djihad ont certainement perçu des failles critiques dans le facteur humain à l’ère informationnelle que leurs adversaires ignorent, à l’instar de hackers dénichant et exploitant inlassablement des failles zero day, au nez et à la barbe des éditeurs de logiciels anti-malwares et des directeurs des systèmes d’information… ou plutôt des services de renseignement et de police… qui identifient plus aisément un réseau social ou un intranet du djihad qu’une app terroriste vaguement connectée à un serveur cloud du djihad.
Les appareils politiques/sécuritaires et les sociétés (civiles) devront se surpasser sur le temps long pour éradiquer et prévenir ce malware aussipervasif qu’insaisissable, et affronter cette guerre open source des coeurs et des esprits. Vaste programme.
Charles Bwele, Electrosphère
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