La création des Zones Economiques Exclusives (ZEE) en 1982 impliquait celle d’un « nouveau » couple conceptuel dans la surveillance des espaces maritimes. Là où les missions de PATrouille MARitime (PATMAR) sont des interventions, donc ponctuelles dans le temps et dans l’espace, le nouvel objet spatial invite à une SURveillance MARitime (SURMAR) permanente dans le temps et dans l’espace.
Osons écrire que c’est le passage de la Défense à la Sécurité. Concernant les aéronefs et aérolites conçus en fonctions des missions qu’ils doivent remplir, le graal demeure caché dans la veste de Godot. Cependant, les pseudolites séduisent par les promesses de résoudre la quadrature du cercle.
La surveillance des espaces maritimes, tant du point de vue des missions incombant au titre de la création des ZEE que d’autres objectifs comme l’observation scientifique (cf. les frégates frégates météorologiques) se décline entre deux espaces bien distincts :
le milieu aérien ;
le milieu spatial.
Ces deux milieux comportent autant d’avantages que d’inconvénients. Dans le premier, l’autonomie d’un avion se mesure, notamment, au nombre d’heures de vol dont il est capable, ce qui n’atteint ou ne dépasse que très rarement les 24 heures. En moyenne, un appareil militaire conçu ou utilisé pour des missions de surveillance connaît plutôt une autonomie proche de la moitié, si ce n’est moins.
Concernant la SURMAR, nous en arrivions, en raison des des défauts du vecteur aérien, à ce que la recherche de la permanence soit remplacée par la célérité. C’est-à-dire qu’il était proposé de ne plus viser une « frégate aérienne » mais plutôt un avion capable de rafraîchir la situation d’une zone en temps nettement plus court. C’est pourquoi dans le cadre du programme AVSIMAR l’une des hypothèses opérationnelles soulevées allait vers des appareils équipés de réacteurs, préférés à ceux turbopropulsés. La plus grande célérité des premiers permettraient, à dépenses budgétaires égales, d’actualiser plus rapidement la situation maritime d’une zone avec moins d’aéronefs.
Les drones de surveillance MALE (Moyenne Altitude, Longue Endurance) possèdent une autonomie allant de 20 à 30 heures mais fonctionnent, selon la pratique américaine, par système de trois à quatre vecteurs. Un seul système peut prétendre alors à persister sur sa zone d’opération pendant 60 à 120 heures, pour aller de la fourchette la plus basse à la plus haute. C’est pourquoi Joseph Henrotin qualifiait cette nouvelle capacité opérationnelle de « persistence » aérienne.Toutefois, relevons que ces systèmes souffrent de leur robotisation car, sans algorithmes ou autres formes d’intelligence artificielle, ils sont condamnés à transmettre toutes les informations collationnées, quitte à saturer les flux de télécommunications… spatiaux en particulier.
L’avion implique un nombre proportionnel de machines au volume d’espace à surveiller mais également aux revisites espérées, plus ou moins régulièrement. Le navire est plus lent que l’avion, certes, mais il peut naviguer jour et nuit, et donc, au final, parcourir de grandes distances et donc échapper à la surveillance.
Entre parenthèses, il y a eu ce qui semblait être la solution avec le dirigeable. L’aérostat laissait entrevoir l’avènement d’un véritable bateau volant, prétendant à mener des missions de plusieurs jours, voire à pouvoir embarquer, en plus des senseurs, des effecteurs telle une embarcation et ses occupants. Mais le dirigeable semble être trop vulnérable face aux caprices de la mer.
Le vecteur spatial semblait alors promettre une rupture car il laissait entrevoir la possibilité d’atteindre la permanence. L’exemple le plus opérationnel d’utilisation de vecteurs spatiaux pour la détection de navires est soviétique. « Dès les années 1970, l’URSS a recherché à mettre en place deux catégories de satellites à défilement RORSAT et EORSAT [Radar Ocean Reconnaissance Satellites ; Electromagnetic Ocean Reconnaissance Satellites], travaillant parfois de façon combinée et destinés à la localisation des flottes de combat en haute mer. » (LANGLOIT Philippe, « Missile balistiques antinavires – L’expérience soviétique », Défense et sécurité internationale hors-série, n°14, octobre-novembre 2010).
Le système est extrêmement séduisant sur le papier. Ces satellites évoluent sur une orbite basse ce qui signifie qu’ils ne peuvent avoir qu’une durée de vie très courte, de l’ordre des semaines ou du mois. En l’occurrence, l’auteur précise que « leur vie opérationnelle était en moyenne de 8 à 12 semaines, avec un maximum historique de 20 semaines. » (Ibid.) Ces satellites permettaient, ajoute la même plume, « de localiser une frégate avec une précision d’environ 300 mètres, les EORSAT permettant une localisation à 200 mètres près. » Cela ne dispensait pas de discriminer la cible une ultime fois pour confirmer la nature du bâtiment soit par reconnaissance aérienne, soit par imagerie spatiale.
Pour reprendre une ultime fois les mots de l’auteur, cette capacité était si gourmande en ressources qu’elle ne permettait pas une couverture globale et était réservée aux temps de crise. Remarquons combien elle aurait pu suffire pour détruire un navire avec un missile balistique porteur d’une charge nucléaire. Mais comment prétendre dans un tel contexte opérationnel à détruire un navire avec une charge conventionnelle ?
Les avions sont une solution insatisfaisantes, les satellites sont bien trop coûteux. C’est pourquoi il nous reste l’option du compromis, c’est-à-dire l’interface entre nos deux milieux que sont l’Air et l’Espace. Le colonel Jean-Luc Lefebvre (Stratégie spatiale. Penser la guerre des étoiles : Une vision française, Paris, Esprit du Livre, 2011, 404 pages) s’interrogeait sur l’existence, ou non, d’un continuum Air-Espace :
« En synthèse, d’un point de vue cinématique, l’atmosphère terrestre n’est plus assez dense à partir de 50 à 60 km d’altitude pour pouvoir permettre le vol des avions et des ballons, ce qui correspond à l’aéropause. Selon le même critère, l’atmosphère terrestre est encore trop dense jusqu’à 200 km d’altitude environ pour permettre la révolution des satellites sans que leur orbite ne s’érode, provoquant la rentrée dans l’atmosphère. Cette altitude correspond à la spatiobase. Entre ces deux limites, se trouve une région où les trajectoires sont essentiellement propulsées ou balistiques vers le haut (missiles et lanceurs spatiaux), aérodynamiques et balistiques vers le bas (corps de rentrée). Cette région où un mobile ne peut se maintenir qu’au prix d’une dépense d’énergie considérable peut être qualifiée de zone aérospatiale de transition (ZAT). Elle n’est plus l’atmosphère des aviateurs et des aéronautes, mais elle n’est pas encore l’espace des spationautes.
Selon l’auteur, cette ZAT serait carrément un cinquième milieu, comparable au milieu littoral impraticable avant l’invention des véhicules dédiés (hydroglisseurs & cie). Pour notre propos, nous préférons plutôt le vocable d’interface. Et justement, c’est de celle-ci que viendrait une nouvelle fois le graal en matière de surveillance des espaces maritimes.
Les pseudolites (contraction de « pseudo-satellites ») seraient des aéronefs (ou aérolites ?) évoluant dans la ZAT définie par le colonel Lefebvre. Plus précisément, les premiers projets se réclamant du vocable de pseudolite envisagent des altitudes opérationnelles de 20 000 mètres (Zéphyr 8 d’Airbus) ou de 40 000 mètres (projet Loon de Google). Par exemple, « Les premiers StratoBus emporteront une charge utile de 200 kg (soit une charge utile d’un satellite de la gamme Globalstar) et seront à l’abri des Jet Stream. Soit à une altitude comprise entre 18 et 25 km. Ce qui lui permettra de balayer par tous les temps avec un petit radar une zone de 500 km à une altitude 20 km (contre une vision continentale pour les satellites) et de lutter contre des vents moins forts. »
Cette nouvelle voie industrielle laisse entrevoir des engins doués d’une persistence dans leur milieu se comptant en mois, si ce n’est en années. Toutefois, s’ils paraissent séduisant en matière de SURMAR, ils semblent très vulnérables concernant des conflictualités dites de moyenne ou haute intensité. En attendant de « vrais » pseudolites évoluant dans la ZAT, ils sont atteignables par les défenses aériennes actuelles. Certes, mais n’oublions pas que les mobiles en SURMAR disposent rarement d’une suite anti-aérienne très développée, et, autre exemple, en matière de lutte anti-sous-marine il n’est pas dit qu’un missile anti-aérienne de courte portée lancé par périscope ou tiré par tube lance-torpilles puisse recevoir convenablement les éléments de tir sur un drôle d’oiseau volant entre 18 et 25 000 mètres, voire encore plus haut.
Le pseudolite laisse-t-il entrevoir une nouvelle division du travail entre aéronefs d’intervention et pseudo-satellites en missions permanentes ? Ils pourraient, peut-être, supplanter les drones HALE, voire inviter à un redimensionnement des aéronefs de PATMAR. En tous les cas, Londres tente l’aventure en commandant deux Zephyr 8 à Airbus.