1 – Loi de puissance et Extrêmistan
Le principe du « gagnant rafle tout » accompagne les lois de puissance qui interviennent en économie, en finance et dans l’ensemble des processus de création artistique, littéraire ou scientifique. Dès que l’activité humaine opère sur un contexte de concurrence scalable, la loi de puissance agit en déterminant un domaine du « tout ou rien » dans lequel un seul gagnant rafle toute la mise alors que la grande majorité des autres joueurs n’obtient rien. Le philosophe de l’aléatoire et ancien trader Nassim Nicholas Taleb a donné le nom d’Extrêmistan à ce domaine du scalable, du hasard sauvage et des cygnes noirs qui font et défont les empires, les organisations, les structures et les carrières personnelles.
Selon NN. Taleb, l’Extrêmistan coexiste avec le Médiocristan, le territoire du hasard modéré dans lequel les gagnants sont plus nombreux mais ne remportent qu’une toute petite partie du gâteau (les gains possibles sont fortement limités). Le Médiocristan est peu sensible aux cygnes noirs de Taleb et s’accommode assez bien des prévisions issues de la distribution gaussienne. Taleb laisse entendre que le Médiocristan correspond au contexte dans lequel nos ancêtres évoluaient mais qu’aujourd’hui, nous baignons dans un Extrêmistan de telle intensité que la courbe en cloche (la gaussienne) serait devenue, selon lui, dangereuse et nocive lorsqu’elle est utilisée pour réaliser des prévisions. Dans plusieurs de ses ouvrages, NN Taleb revient sur les processus de création humaine et sur leur rare transformation en succes story. Ses réflexions s’appliquent autant à la naissance d’un tube chez une chanteuse débutante qu’à l’émergence d’une innovation technologique de rupture qui va transformer le monde. Le concept d’Extrêmistan s’applique assez bien à la montée en puissance de la robotique et de l’intelligence artificielle et aux rares acteurs/joueurs qui vont rafler la mise.
2 – Le cas de la robotique comme domaine de l’ExtrêmistanLa robotique (civile et militaire) connait aujourd’hui une phase de développement sans précédent. Les sociétés leader du domaine comme Boston Dynamics, propriété de Google, contribuent à cette montée en puissance. La dernière vidéo du robot humanoïde Atlas, mise en ligne par Boston Dynamics le 23 février 2016, est à ce titre édifiante. Elle totalise près de dix millions de vues sur Youtube en moins de trois jours. On y voit un robot capable d’ouvrir une porte et de se déplacer en autonomie sur un terrain irrégulier en forêt, enneigé et glissant, tout en maintenant son équilibre et son allure.
Les performance d’Atlas (Boston Dynamics – Google) :
Quelques concurrents d’Atlas lors du « Darpa Robotics Challenge Finals 2015 » :
https://www.youtube.com/watch?v=qh1dNSu9ZSE&ebc=ANyPxKq-3BOSiHcQG87Qi8n3eLRT1jlI6fPPkLxlGtr8Q7vifywzRD_g7X_kS6HqKKrNILmX08Q8jSb3ApJiP1xt4Ak0kcGJjw
Dans la seconde partie de la vidéo, Atlas range des cartons sur une étagère puis subit un test de « stress » au cours duquel un opérateur perturbe volontairement sa mission (celle de ramasser un carton). On constate que le robot, même perturbé, maintient ses fonctionnalités et se montre persévérant jusqu’à la réalisation de son action. Pour finir, l’opérateur fait chuter Atlas mais celui-ci se relève rapidement et redevient opérationnel. Derrière ces images, le message de Boston Dynamics est particulièrement clair : « Mes machines sont résilientes. Elles savent encaisser des perturbations et des stress sans perdre leurs capacités opérationnelles ». La publication régulière de vidéos dévoilant les performances dynamiques de la gamme de robots (BigDog, Atlas, Petman, Cheetah, Ls3, SandFlea, RHex, RiSE et LittleDog) permet d’affirmer et de référencer mondialement l’expertise et la suprématie de Boston Dynamics dans son domaine. On notera que la totalité de cette gamme de robots est immédiatement déclinable en version militaire. Rien ne dit d’ailleurs qu’il n’existe pas une seconde gamme de machines échappant aux campagnes de communication de Boston Dynamics pour des raisons de confidentialité et de classification… La partie visible de l’édifice technologique demeure à ce jour suffisante pour que Boston Dynamics se positionne en leader mondial. En toute logique, Il faudrait pouvoir visionner l’ensemble des tests réalisés pour chaque mission afin de mesurer avec précision le taux de réussite fonctionnelle du robot sur une tâche fixée… Ces données ne sont pas fournies par le constructeur au grand public. Elles sont logiquement réservées aux futurs acheteurs. Cette petite incertitude ne doit pas pour autant occulter la réalité des succès technologiques de la filiale de Google. Les Challenges de robotique organisés chaque année par la DARPA (l’Agence américaine pour les projets de recherche avancée de défense) démontrent et renforcent la position dominante de Boston Dynamics sur le marché mondial des robots humanoïdes. Cette pôle-position s’apparente même à une suprématie absolue lorsque que l’on restreint le classement au sous-domaine du déplacement résilient d’une machine civile en terrain irrégulier. Atlas semble ainsi relever (presque) tous les défis du dernier Challenge-Darpa, contrairement à ses cousins issus de la concurrence… Cette avance technologique risque bien de ne plus être rattrapable aujourd’hui par une société qui débuterait et souhaiterait s’engager sur le marché. Il est en effet difficile d’imaginer une startup agile et innovante capable de produire un niveau équivalent d’efficacité dynamique et de résilience (sauf à disposer des plans précis et des algorithmes qui animent le robot). Les recherches en amont d’Atlas ont été longues et coûteuses. Elles ont mobilisé les meilleurs ingénieurs et les meilleurs chercheurs mondiaux du domaine. La tutelle de Google a également assuré la pérennité de l’équipe de R&D qui développe la collection « Boston Robotics ». Bref, le marché de la robotique humanoïde répond aux critères de la loi de puissance, du principe du gagnant qui rafle toute la mise, pour longtemps et des règles qui régissent l’Extrêmistan cher à NN Taleb.
Les suprématies convergentes de Google
En supposant que Google ne subisse pas à court terme de partition ou de découpage imposé par les autorités américaines, on peut facilement imaginer que ses différents domaines d’excellence et de suprématie technologique se superposent pour converger vers une gamme de robots dotés des propriétés mécaniques et dynamiques issues de Boston Dynamics et d’une IA créée dans les laboratoires de DeepMind-Google. Ces derniers enchaînent actuellement les performances algorithmiques fondées sur les réseaux de neurones et sur des techniques d’apprentissage profond non supervisé particulièrement efficaces.
Intelligence artificielle : l’énigme des cent chapeaux
Atlas 2.0. pourrait alors combiner « la tête et les jambes » en exploitant deux suprématies technologiques complémentaires propriétés de Google. L’accélération en terme d’innovation et l’avance sur les constructeurs concurrents s’en trouverait encore renforcée, illustrant à nouveau les lois de l’Extrêmistan.
Cette suprématie technologique mérite également une analyse stratégique. La robotisation des systèmes d’armes est une réalité qui va bouleverser l’ensemble des doctrines militaires et l’art de la guerre en général. Le champ de bataille (qui est lui aussi régi par les lois de puissance) va voir déferler des unités d’Atlas armés, résilients, déterminés, combatifs et bien plus belliqueux que leur cousin manutentionnaire de carton présent dans la vidéo. L’avance technologique se traduira immédiatement par une avance opérationnelle sur le terrain procurant un avantage tactique et stratégique sur l’ennemi. Bref, c’est aussi sous le feu que le gagnant raflera toute la mise…
]]>