Passionné par l’histoire militaire depuis de nombreuses années, avec notamment, l’époque napoléonienne, la guerre de Sécession et les deux Guerres mondiales, une affection prononcée pour les marines militaires, en particulier la Marine Nationale (où la visite de la base navale de Toulon a été un déclic et m’a poussée à effectuer des recherches sur le fait maritime) et l’US Navy. Détenteur d’une Licence d’histoire (Université Lumière (Lyon II) et d’un Master de Science Politique spécialité Sécurité Internationale et Défense (Université Jean Moulin (Lyon III) dont les deux mémoires de recherche ont porté sur le fait maritime : 

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  • « Le rôle des marines militaires à l’heure du processus de maritimisation des économies » en 2014 ; 
  • « La pertinence du concept d’ «AirSea Battle» en tant que réponse aux stratégies d’anti-accès et de déni d’accès » en 2015.

Possible reprise des études dans le but d’obtenir un Master 2 de Sécurité Intérieure. Souhaitant poursuivre professionnellement en effectuant des stages.

Comment présenteriez-vous le passage de l’Air Land Battle à l’Air Sea Battle entre les XXe et XXIe siècle ? 

L’ « Air Land Battle » a été développé dans les années 1980 par les forces armées américaines afin de pouvoir répondre aux menaces représentées par les forces militaires de l’Union Soviétique sur le théâtre européen. Cette doctrine a été réfléchie dans le cadre d’un éventuel affrontement avec l’URSS, avec notamment pour objectif de contrecarrer l’avantage numérique de ce dernier (du point de vue du nombre de blindés, d’infanterie, d’artillerie…), les appareils de l’ « US Air Force » jouant alors un rôle important dans cette mission. L’ « Air Land Battle » a été développé dans un contexte où l’affrontement direct le plus probable aurait lieu sur le continent européen et où les forces terrestres auraient joué un rôle prépondérant. Les forces navales jouant alors dans ce contexte un rôle périphérique, avec notamment les protections des lignes de communications et la traque des forces nucléaires soviétiques en mer de Norvège afin d’éviter leur dispersion dans l’Atlantique.

L’ « Air Sea Battle » quant à lui correspond plus a un besoin de trouver une réponse contre la multiplication des systèmes de déni d’accès et/ou d’anti-accès, et donc par conséquent d’assurer la liberté de mouvement, que ce soit pour les forces aériennes ou bien pour les forces navales.

Ainsi, le passage de l’ « Air Land Battle » à l’ « Air Sea Battle » correspondrait à une prise de conscience que les menaces principales pour les forces armées américaines proviennent plus aujourd’hui de ces systèmes de déni, que de gigantesque colonnes blindées.

Qui sont les artisans et bénéficiaires de l’Air Sea Battle ? D’une certaine façon, c’est grâce aux travaux au cours des années 1990 des chercheurs de l’Office of Net Assessment, qui ont pointé du doigt les menaces représentées par les stratégies A2/AD (le Center for Strategic and Budgetary Assessments multipliant les travaux sur ces problématiques dans les années 2000) que l’ « AirSea Battle » a pu voir le jour. Prenant de plus en plus d’importance au sein du Pentagone, les problématiques liées aux stratégies A2/AD sont toutefois mises de côté à la suite des événements du 11 septembre 2001, la lutte contre le terrorisme devenant la priorité. Elles vont revenir sur le devant de la scène avec l’arrivée de Robert Gates à la tête du Département de la Défense. Il chargea alors l’US Navy et l’US Air Force en 2009 de travailler sur ce concept. Ces deux entités vont alors être les premiers bénéficiaires de cette doctrine, notamment du point de vue financier et des programmes d’équipements. A noter que pour l’US Navy et l’US Air Force, il s’agit là en quelque sorte, d’une revanche pour les nombreuses années où la priorité avait été donnée à l’US Army. On pourrait aussi dire que les industriels américains comme les industries aéronautiques et les chantiers navals peuvent apparaître comme des bénéficiaires importants. Notamment à travers le développement et/ou la poursuite de programme d’armement coûteux comme, le F-35, les porte-avions de classe Ford, les LCS ou encore les destroyers de classe Zumwalt.   Faites-vous un lien entre la Maritime strategy des années 1980, visant à attaquer de front les bastions soviétiques, et l’Air Sea Battle ? Les problématiques A2/AD sont-elles similaires dans les deux cas ? On peut en effet remarquer quelques similitudes entre la « Maritime Strategy » et l’ « Air Sea Battle ». Ces deux doctrines visent à protéger et à sécuriser les lignes de communications en cas de conflit, avec l’URSS dans le cadre de la et avec la Chine dans le cadre de l’ « Air Sea Battle ». Il faut également noter que ces dernières donnent une part importante à la technologie afin de s’assurer la supériorité et le succès contre l’adversaire. Comme pour la « Maritime Strategy » qui visait à perturber/empêcher le déploiement des forces de surface et sous-marines soviétiques, l’ « Air Sea Battle » vise à perturber le déploiement des forces navales chinoises et de défaire leurs systèmes A2/AD. Cependant, il y a une grande différence entre les deux concepts. Dans le cadre de la Maritime Strategy, les forces aéronavales américaines auraient été en première ligne, leurs missions étant alors de défaire les bases soviétiques dans la péninsule de Kola. Alors qu’aujourd’hui du fait de la multiplication et de la prolifération des systèmes d’anti-accès et de déni d’accès, les porte-avions américains sont obligés d’opérer en retrait des zones d’opérations, afin de ne pas être pris pour cible par ces derniers. Les risques matériels, financiers, humains et diplomatiques de la perte d’un porte-avions dans les eaux de la mer de Chine seraient désastreux pour les États-Unis et notamment vis-à-vis de leur influence auprès des pays de la région (renforcement de facto celle de la Chine). L’Union soviétique avait pourtant elle aussi des systèmes A2/AD et une solide aviation basée à terre pouvant causer des dégâts considérables aux forces navales américaines, mais il faut croire que dans le cadre du conflit Est-Ouest une telle prise de risque aurait été justifiée. Il ne faut pas non plus oublier que de très nombreux systèmes A2/AD chinois aujourd’hui sont issus, ont été achetés ou sont dérivés de systèmes présents dans les arsenaux de l’Union soviétique et de la Russie aujourd’hui. Ainsi les menaces représentaient par ces systèmes sont les mêmes, la différence majeure résiderait aujourd’hui dans la perception des dommages et le risque de perdre des plateformes coûteuses et hautement symboliques. L’Air Sea Battle peut apparaître comme très mahanien par une reconstruction de la bataille décisive. Cependant, hormis la destruction des forces et infrastructures adverses, comment cette stratégie pourrait-elle, à travers des buts dans la guerre, servir les buts de guerre et vaincre la volonté adverse ? Obtenir la décision stratégique ?  C’est bien là le problème avancé par les détracteurs de l’ « AirSea Battle ». Il semblerait que la destruction des infrastructures militaires adverses ne soit pas suffisante pour vaincre la volonté adverse. De plus, il faut le rappeler le recours à la bataille décisive est risqué, puisqu’elle implique le risque non négligeable de pertes importantes. Et même si la victoire est obtenue, le vainqueur s’en retrouverait affaibli, ce qui pourrait le mettre en difficulté en cas d’émergence d’un nouveau concurrent. Dans le cas, d’un affrontement avec la Chine, des chercheurs ont montré qu’il serait plus efficace de s’en prendre au potentiel économique chinois pour vaincre sa volonté. La population dans ce cas présent serait plus affectée et plus touchée dans sa vie quotidienne et serait donc plus enclin à demander des comptes aux dirigeants de leurs pays. On retrouve alors ici l’idée du « blocus ouvert » développé par Julian.S Corbett dans Some principles of Maritime Strategy. Blocus qui permettrait alors aux forces navales d’être moins vulnérables aux systèmes d’armes se trouvant sur le territoire chinois (au contraire d’un blocus direct et rapproché qui mettrait grandement en danger les forces navales et qui demanderait des moyens très importants). La destruction des systèmes d’armes porterait bien sûr un coup au moral, mais son impact ne serait je pense que limité. Cependant, elle porterait sans nul doute un coup d’arrêt pour la réalisation des ambitions chinoises dans la région et la forcerait à réviser certaines positions.   L’Air Sea Battle et la stratégie du pivot de Washington semblent faire l’impasse sur la maîtrise des flux dans l’Océan Indien alors que la présence de la Chine s’y accroît fortement ? En effet, il semblerait que l’Océan Pacifique et en particulier la mer de Chine retiennent beaucoup plus l’attention des dirigeants américains que l’Océan Indien. Cela pourrait venir de la proximité directe de la zone de la mer de Chine avec les bases avancées américaines dans ce secteur, mais aussi par la présence de nombreux pays alliées de ces derniers. La stratégie du pivot devant rassurer les alliées des États-Unis devant toutes sortes de provocations et/ou d’intentions hostiles provenant d’un pays Tiers, dans le cas présent la Chine. L’Océan Indien revêt alors une importance de second ordre, même si la présence américaine est affirmée par la base de Diego Garcia. Il se pourrait que ce théâtre ne soit pas considéré à sa juste valeur, par le fait que les bases chinoises même si elles existent, ne représentent pas pour l’heure une menace sérieuse. Ou bien encore, que les États-Unis se reposent sur les ambitions navales indiennes afin de contrecarrer les ambitions chinoises, mais cela ne reste qu’une hypothèse. Une alternative à l’Air Sea Battle a-t-elle été proposée ?
Lors de la rédaction de ce concept, des voix se sont élevées pour montrer les limites de ce dernier. Pour ses détracteurs, l’ « AirSea Battle » ne permet ni de dissuader un ou des potentiels adversaires, ni de rassurer les alliées des États-Unis:
  • Opacité autour de l’application de ce concept ne rassurant pas le Japon comme la Corée du Sud qui tendent à adopter leurs propres stratégies ;
  • Faisabilité de ce concept ne peut être vérifié efficacement en temps de paix ;
  • Floues autour des modalités d’emploi de forces nucléaires dans le cas d’un emploi contre la Chine.
Il y a donc eu en parallèle avec l’ « Offshore Control », le développement d’une solution alternative. Dans les grandes lignes, cette solution alternative consisterait en une sorte de blocus a distance. On assisterait donc ici à un déplacement du théâtre d’opération dans des zones plus favorables aux forces américaines et donc par conséquent, ou les forces chinoises seraient désavantagées. Avec cette notion de blocus, on constate que l’objectif est donc de s’en prendre au potentiel économique chinois, à l’idée qu’une atteinte à ce potentiel entraînerait des mouvements de contestations à l’intérieur du pays et fragiliserait le Parti communiste, le poussant alors à rechercher une solution pour résoudre le conflit. Cependant, cette alternative a suscité elle aussi des controverses, notamment au niveau financier (alternative très coûteuse en ces temps de difficulté économique). De plus, nous pourrions assister à une amélioration et une augmentation du nombre de plateformes chinoises, dans le but de pouvoir frapper les forces américaines toujours plus loin. Sans oublier, comme nous pouvons le voir ces derniers temps, la mise en place d’une stratégie de revendication et/ou d’annexion territoriale en mer de Chine. En effet, la construction d’île artificielle (procédé de la poldérisation) permet à la Chine à la fois d’augmenter sa zone économique exclusive, mais également de faire stationner des forces au plus près des endroits à risques. Sans oublier, qu’elles permettront à la Chine de pouvoir défendre et assurer la protection de leurs lignes de communications.  
D’où le fait que l’Offshore control implique un vide alors que l’A2AD impliquerait une intervention pour ne pas laisser la Chine modifier militairement le statu quo ? En effet, l’ « Offshore Control » pourrait apparaître comme une stratégie passive en laissant l’initiative aux forces chinoises, mais aussi et surtout avec l’utilisation en retrait des forces navales américaines. Le principale artisan de l’ « Offshore Control » T.X Hammes, ne souhaite pas, que l’aviation américaine pénètre et effectue des frappes sur le territoire chinois, car selon lui le risque d’escalade s’en trouverait alors considérablement augmenté. A l’inverse bien sûr des préconisations de l’ « AirSea Battle », dont l’idée centrale est le développement d’un réseau de forces intégrées capable de mener des attaques en profondeur dans le but et afin de perturber, de détruire et/ou de défaire les forces adverses, et donc ou les forces aériennes auraient joué un rôle prépondérant. D’une certaine façon, on pourrait estimer que l’ « Offshore Control » est une stratégie que l’on pourrait qualifier d’une certaine façon indirecte (même si elle est s’en prend au potentiel économique et aux forces navales qui voudraient franchir le blocus) qui doit permettre de pouvoir mener des négociations tout le long du conflit, le tout en évitant tout risque à l’escalade. Alors qu’avec l’ « AirSea Battle », on assisterait à la mise en place d’une stratégie directe visant à provoquer suffisamment de dommages pour obtenir la cessation des hostilités, ainsi que la résolution du conflit, mais avec le risque d’une escalade.   La Chine, présentée comme une des menaces principales, serait entravée par une première (l’archipel japonais, l’île de Taïwan, les Philippines, Bornéo, mais aussi les îles Kouriles et Aléoutiennes) et une deuxième (l’Est du territoire japonais, l’île de Guam, les îles Bonins et les ïles Mariannes). L’éventuel « collier de perles » pourrait déborder ce dispositif par l’annexion des archipels allant du détroit de Malacca à l’île d’Hainan ou une réintégration de Taïwan. L’Air Sea Battle, finalement, n’envisage-t-elle pas ce cas de figure en influençant la stratégie des moyens et la structuration des forces autour de l’objectif de reprendre de vive force un certain nombre de bases avancées entre les deux chaînes d’îles citées ? En effet, plus la Chine gagnera et/ou annexera des territoires en mer de Chine, plus la stratégie américaine s’en verra contrarier et perdra en efficacité. Plus la Chine étendra ses possessions territoriales, et plus leurs systèmes A2/AD se rapprocheront des forces américaines et représenteront un danger très important. Il apparaît alors possible que les dirigeants ne laisseront pas une telle situation se produire. Cependant dans le document de base de l’ « AirSea Battle », « AirSea Battle: Service Collaboration to Address Anti-Access&Area Denial Challenges », il n’est pas fait mentionner d’une quelconque intervention terrestre et/ou d’opérations amphibies pour reprendre des territoires annexés par les forces chinoises, même si des opérations menées par des unités de forces spéciales ne sont pas à exclure.   Une doctrine analogue à l’Air Sea Battle est-elle en discussion au sein de l’OTAN comme moyen de réassurance des États membres de l’Alliance à l’Est de l’Europe et/ou comme moyen de contrer les nouvelles prétentions océaniques de Moscou ? A l’heure à laquelle j’ai rédigé ce mémoire de recherche, il n’y avait pas de discussion au sein de l’OTAN au sujet de l’Air Sea Battle. Je vois au moins deux explications à cela. Premièrement, le développement de ce concept a connu de nombreuses critiques, notamment quant à l’effectivité de sa réalisation opérationnelle. De plus, des chercheurs ont estimé que ce concept n’était pas du tout viable et présentait de nombreuses inquiétudes. De plus, on peut penser que ce concept, même s’il a été initialement pensé dans les années 1990, est trop jeune, et ne peut donc pas bénéficier de suffisamment de recul et de retour sur expérience pour pouvoir être normalisé au sein de l’OTAN. Deuxièmement, à titre personnel je pense que les membres de l’OTAN sont plus sensibles aux forces terrestres et aériennes russes qu’à leur force navale. On peut par ailleurs le constater à la suite des événements survenus en Géorgie en 2008 et en Ukraine en 2013, avec la volonté de renforcement militaire de la part des pays proches de la Russie. Le développement des forces navales étant alors relégué à la troisième place, après l’accroissement et la modernisation des forces terrestres et aériennes de ces pays (consacrant alors ici plus un besoin de rattrapage pour les nombreuses années ou leurs appareils militaires ont été laissé de côté). Cependant, avec la volonté affiché par Moscou de moderniser ses forces maritimes, il est possible que les États-Unis et les membres de l’OTAN travaillent sur une doctrine semblable. Faudra-t-il encore que ces derniers aient les moyens financiers et les ambitions politiques pour le réaliser.
Comment la France se positionne-t-elle face à ce débat stratégique américain alors que Paris avait eu à prendre position sur la défense anti-missile balistique de théâtre et de territoire ou ne s’est pas encore aventuré sur la question des armes hypersoniques, deux moyens de contourner la dissuasion nucléaire ? La France n’a pas de pris de position formelle. Par contre, les risques et les dangers représentés par ces menaces sont pris en considération par nos forces armées, notamment dans la Doctrine d’emploi des forces de 2014. Il faut noter que la France développe de nombreuses capacités afin de pouvoir lutter efficacement contre de tels systèmes A2/AD. Nous pouvons par exemple prendre l’exemple du système PAAMS équipant les frégates de type Horizon et de type FREMM devant assurer une protection anti-aérienne. Mais également, l’emport au sein du groupe aéronaval du missile de croisière SCALP (sans oublier l’emport de missile Exocet pour la lutte de surface), pouvant être employés à partir des Rafales, des futurs SNA de type Barracuda. A noter également, les progrès réalisés en matière de renseignement avec l’incorporation de drones MALE et de nouveaux satellites (système CERES), qui permettront aux forces françaises d’avoir une meilleure appréciation des zones potentiellement dangereuses.
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