Comment dire ? c’est un peu gênant. Une source a donné des infos. Nul détail sur la source, son origine, ses motivations. Secret des sources, je présume. À part qu’on apprend un peu plus tard qu’il s’agit probablement d’un piratage de Mossack Fonseca (dont les mesures de cyberprotection semblent avoir été étiques, à défaut d’éthiques). Ah bon, un piratage ? genre Sony Picture ? Vous me direz, cela peut être n’importe qui. Mais rien ne nous garantit que le dossier n’a pas été purgé.
On apprend ensuite que le mystérieux contact a transmis l’info à la SüdDeutsche Zeitung qui a contacté un consortium international des journalistes d’investigation. 376 journalistes de 108 médias dans 76 pays ont travaillé pendant des mois, « dans le plus grand secret ». Ben voyons. 108 journalistes garderaient un truc secret : Sans que les services de différents pays un peu observateurs (je ne vise personne en particulier, car tous les pays sérieux répondent à cette description) n’aient eu vent de l’affaire et ne se soient prémunis ?
Accessoirement, ledit consortium est (partiellement) financé par US Aid et G. Soros. Le Monde s’indigne, en disant qu’il n’y a rien à voir (cf. article ci-dessus cité). Autrement dit, la fondation Soros n’avait pas la main sur le travail, nous dit le Monde. En revanche, l’argument de la proximité lui suffit pour « mouiller » tout un tas de grands méchants dont l’entourage a utilisé le fond panaméen : pas eux directement, mais leur entourage, donc eux… L’argument de la proximité a donc plusieurs degrés d’interprétation sur l’échelle de valeur. Tout cela, il est vrai, n’est pas un argument « contre » l’enquête (tout comme beaucoup d’arguments de l’enquête présentés comme « accusant » tel ou tel ne sont pas convaincants).
Mais on trouve quand même que tout cela fait un peu « mainstream ».Sur l’absence de clients américains de renom dans la base de données, constatons tout simplement que les Américains ont leurs propres paradis fiscaux chez eux : ils n’ont pas besoin d’aller au Panama. Ceux qui voient la quasi absence de noms américains comme signe de la manipulation se trompent donc probablement. Du moins au premier degré. Car le sous-entendu est « ils ont retiré les noms des Américains ». Mais disant cela, cela n’explique rien du « complot » sous-jacent : pourquoi sortir ça ? pour faire tomber le PM islandais, mettre dans l’embarras le PM argentin, D Cameron, dire que Poutine, Xi et Assad et les princes du Golfe sont corrompus (ou veulent mettre leur richesse à l’abri) ? En soi, cela n’a pas de sens.
Autrement dit, l’enjeu n’est pas politique : or, Le Monde ne parle que de ça et c’est le vrai miroir aux alouettes. Il y a bien quelques éclaboussures politiques, mais là n’est pas l’essentiel. Ce qui compte, c’est l’économie, ou plus exactement la finance, ou plus exactement la compétition entre paradis fiscaux. Avec, en visée finale, la capacité à imposer les crédules qui auront placé leurs épargnes diverses dans un paradis « peu sûr » et donc taxable. Ce qui ne serait pas mal à l’heure où les États ont de gros déficits et se demandent comment éponger leurs dettes.
Là, du coup, je suis complotiste mais je suis les banquiers suisses, qui ont eu des expériences malheureuses ces dernières années avec le fisc américain (au passage, le scandale de la FIFA –basée en Suisse – a été lancé par une administration fiscale américaine qui, une fois encore, n’a écouté que son sacro-saint culte de l’éthique des affaires et son souci de lutte contre la corruption). Qu’alliez-vous penser d’autre ?
La Suisse, donc, dont un journal financier nous dévoile le pot-aux-roses. En intitulant leur papier « Le coup de maître des USA » (voir ici). Qu’y lit-on ? Qu’au nom de la lutte contre les fraudeurs, les États-Unis ont réussi, au travers de plusieurs instances de régulation internationale, à encadrer sacrément l’activité de tous les riches qui voudraient s’échapper aux regards. Tout cela attirerait la sympathie si les États-Unis avaient un comportement irréprochable. Or, on apprend qu’un certain nombre d’États américains sont bien peu regardant quant à l’origine des fonds qu’on dépose chez eux, demandant bien peu d’information sur les titulaires de ces comptes : Delaware, Nevada, Wyoming. Une véritable « compassion bienveillante », selon l’auteur de l’article.
En fait, tout ceci est une belle manœuvre de « guerre économique » plus que de lutte géopolitique à l’ancienne. Le système financier mondial est au bord du crash, tous les analystes financiers vous le diront. Il est donc urgent de rapatrier le maximum de fonds sur le territoire américain, de façon d’être en position de les capter, le jour venu, aux cris bien sûr de la nécessaire taxation de fonds douteux. Et c’est ainsi que l’État américain va imposer ses vues, mais aussi les déposants étrangers, tout en ayant asséché la concurrence des autres paradis, ailleurs, dans le reste du monde. Voici le véritable objectif. La « transparence » si émotivement louée par Le Monde n’est que le prétexte à cette grande manœuvre. Quant aux petites bavures sur un premier ministre islandais ou britannique ou quelques dictateurs de par le monde, elles ne comptent évidemment pas. Il n’y a que Le Monde et consorts pour les prendre au sérieux.
A. Le Chardon