Long d’une quarantaine de mètres et propulsé par deux moteurs diesel, le Sea Hunter peut se déplacer à des vitesses de 27 nœuds soit 50 km/h sur de longues distances (plusieurs milliers de kilomètres durant plus de trois mois) en autonomie. Il a été développé par le constructeur Leidos sous l’égide du programme ACTUV – DARPA en liaison avec le bureau de l’US Naval Research.
1 – Sea Hunter, le dernier-né du programme Darpa – ACTUV
Initialement conçu comme un « trackeur » de sous-marins diesel-électriques, il est facilement adaptable à d’autres missions. Scott Littelfield, le Directeur du programme Darpa compare le Sea Hunter à un camion des mers, à forte capacité de charge, et très agile sur une large gamme d’utilisations. Le Sea Hunter est un système autonome robuste qui peut poursuivre ses missions durant trois mois. A tout moment, le superviseur humain peut reprendre le contrôle du navire si le contexte ou la mission changent [1].
Le Sea Hunter n’est pas à proprement parler le premier navire sans équipage. Il existe en effet plusieurs prototypes fonctionnels américains, coréens, russes ou chinois, de plus petite taille, lançables depuis un navire porteur, et contrôlés (télécommandés) par un équipage humain délocalisé [2]. Ces navires-drones offrent des capacités opérationnelles forcément limitées par leur petite taille et par le volume de carburant embarqué.
Avec ses quarante mètres de long, le Sea Hunter répond parfaitement au cahier des charges fixé par la DARPA. Le défi ACTUV-DARPA appelait effectivement à développer un navire de grande capacité, disposant d’un haut niveau d’autonomie pour la navigation sans contrôle humain. Le démonstrateur devait être capable de réaliser des manœuvres d’évitement d’obstacles ou de positionnement en toute sécurité. Il devait aussi respecter les lois et les conventions internationales de navigation et interagir efficacement avec un adversaire intelligent. Enfin, Sea Hunter devait être en mesure de poursuivre un sous-marin furtif durant plusieurs mois.
Le démonstrateur développé par Leidos est aujourd’hui capable de réaliser ces tâches sophistiquées en totale autonomie, sans intervention d’un équipage humain.
De telles capacités demeurent complexes à mettre en œuvre en terme d’intelligence artificielle embarquée. Faire naviguer un bâtiment en autonomie sur de longues distances implique que son système de navigation sache respecter les règles internationales, les priorités de mouvement, bref, le code de la route maritime à l’image de la Google Car dans une ville. Par exemple, lorsque Sea Hunter croise la route d’un autre navire (à équipage humain), il doit effectuer des manœuvres facilement visibles par le second navire. C’est la raison pour laquelle les changements de cap ont été privilégiés dans l’IA de Sea Hunter plutôt que les changements de vitesses moins visibles depuis l’extérieur. Ces protocoles de précautions devront certainement être modifiés lorsque la majorité des navires en mer seront autonomes…
Le Sea Hunter dispose de radars et de caméras embarquées haute performance et d’un système d’identification et de classification des navires qu’il croise. On peut raisonnablement supposer qu’il est également doté d’un puissant système d’apprentissage automatisé, de type Big Data et Deep Learning, lui permettant de s’améliorer avec l’expérience. L’IA et les capteurs de Sea Hunter ont été testés sur un navire quatre fois plus petit dans une zone maritime très fréquentée (encombrée) sur une courte distance entre Gulfport (Mississippi) et Biloxi. Très prometteurs, ces premiers tests vont être poursuivis avec le navire en vraie grandeur à Portland (Oregon) puis au sud de San Diego en Californie.
2 – La course à l’autonomie comme déterminant stratégique
Le vice-secrétaire américain à la Défense, Robert Work vient de déclarer que le développement de navires autonomes transocéaniques opérationnels de type Sea Hunter constituait un point d’inflexion dans la stratégie navale de défense des Etats-Unis. Il a ajouté qu’il souhaitait que ces navires soient rapidement déployés dans le Pacifique d’ici à cinq ans. Les tests du Sea Hunter qui vont durer deux ans, s’inscrivent dans un programme global de robotisation des systèmes d’armes sur terre / mer / air défini par le Pentagone. Ils constituent également une réponse stratégique au développement rapide de la flotte sous-marine chinoise qui peut menacer aujourd’hui la suprématie et la sécurité des groupes aéronavals américains positionnés dans le Pacifique et en mer de Chine. Les récents progrès des robotiques militaires chinoise et russe modifient les équilibres et les rapports de forces. Ils imposent une réponse américaine adaptée. Une fois les tests validés, le Sea Hunter devrait rejoindre la 7eme flotte US basée au Japon pour intégrer le dispositif en place. D’autres versions seront adaptées à la lutte anti-mine robotisée et à la surveillance des zones maritimes. Au niveau économique, le prix du Sea Hunter s’élève à 20 millions de dollars et son coût de fonctionnement quotidien se situe entre 15 000 et 20 000 dollars / jour. Ce montant est très inférieur au coût de fonctionnement d’un navire équivalent doté d’un équipage humain. En plus du gain opérationnel, la Darpa et l’US Naval Research ont parfaitement mesuré l’importance du facteur économique dans le choix de développement de navires autonomes… On retrouve d’ailleurs ce paramètre économique dans tous les grands programmes de robotisation des systèmes d’armes russes avec Platform-M, Argos, T14 Armata. Les plate-formes autonomes apparaissent dans un contexte qui conjugue aujourd’hui une montée en puissance de l’intelligence artificielle et une demande d’optimisation / réduction des coûts de la dépense militaire, la première tendance venant satisfaire la seconde. On peut ainsi parler d’une véritable « Uberisation » du champ de bataille, économisant des vies et des ressources humaines [3].
L’activité de surveillance d’une zone terrestre ou maritime s’avère aujourd’hui compatible avec les capacités techniques disponibles, issues de l’intelligence artificielle. Ainsi, la société Samsung a développé des robots sentinelles semi-autonomes SGRA1 déployés le long de la frontière entre les deux Corées. Les camions porteurs de missiles stratégiques russes Topol sont désormais gardés en 24/7 par des unités de robots armés de type MRK-27-BT et Platform-M [4]. Une seconde activité très compatible avec l’autonomie et la robotisation concerne le déminage et la dépollution de zones contaminées. De nombreux robots ont été développés dans ce sens. Un seul d’entre eux permet souvent de remplacer l’action d’une quinzaine d’opérateurs humains.
Le développement de systèmes armés semi-autonomes et autonomes va bouleverser les règles d’engagement au combat et obliger les stratèges à récrire les doctrines militaires. Comme dans de nombreux domaines civils (finance, marketing, ingénierie), c’est le niveau d’intelligence artificielle qui fera la différence avec l’adversaire. Le degré d’autonomisation des systèmes permettra de redistribuer ses forces là où l’expertise humaine est nécessaire puis d’alléger les dispositifs là où le robot est efficace. Ce principe d’équilibre reste valable sur terre comme en mer…
Références
[1] Gérard de Boisboissel (dir.)«Robots on the battlefield », Éditions Combat Studies Intitute, 2014 [2] Didier Danet, Jean-Paul Hanon et Gérard de Boisboissel, « La guerre robotisée », Éditions Economica, « Guerres et opinions », 2012. [3] T. Berthier, « Vers le combat robotisé », Revue de la Défense Nationale, Mai 2016. [4] T. Berthier, « Platform-M, le robot combattant russe », Diploweb, septembre 2015.Liens
Vidéo du test d’ACTUV : https://www.youtube.com/watch?v=DJ0oW3wcFuo https://www.youtube.com/watch?v=YM5MmqbHTx8 https://www.youtube.com/watch?v=Ai6nCYjtRA0 http://www.darpa.mil/program/anti-submarine-warfare-continuous-trail-unmanned-vessel http://spectrum.ieee.org/automaton/robotics/military-robots/darpa-actuv-self-driving-submarine-hunter-steers-like-a-human http://www.reuters.com/article/us-usa-military-robot-ship-idUSKCN0X42I4]]>