L’ascension du magnat de l’immobilier Donald Trump lors des primaires du parti républicain américain a été rapidement qualifiée de montée du populisme aux États-Unis. De la même manière, bien que dans une moindre mesure, la surprise Bernie Sanders chez les démocrates fut traitée identiquement. De l’autre côté de l’Atlantique, avec une symétrie plus ou moins similaire, lorsqu’un parti européen en vient à bouleverser le jeu d’ordinaire si bien huilé de la répartition du pouvoir entre deux factions politiques, le populisme entre dans toutes les bouches et noircit les pages des éditoriaux.
Phénomène rapidement désigné comme principal danger menaçant les démocraties contemporaines. À telle enseigne qu’il serait à l’heure actuelle possible de paraphraser un célèbre intellectuel du XIXème siècle : un spectre hante l’Europe, le spectre du populisme.
Pourtant, nombre de commentateurs seraient bien en peine de fournir une définition correcte du terme tant celui-ci est polysème et sert plus d’anathème que de qualification rationnelle.
Ainsi, deux points se doivent d’être clarifiés :
1) en son étymologie, populisme est dérivé de Populus, c’est à dire Peuple
2) l’origine du terme populisme tire géographiquement ses racines de la Russie, historiquement de la moitié du XIXème siècle et politiquement du mouvement socialiste
Difficile dès lors de prétendre que le phénomène serait propre au XXIème siècle : il s’inscrit bien au contraire dans une logique historique fort ancienne, où ses résurgences sur la frise chronologique sont le fruit et non le germe de bouleversements majeurs.
La lutte entre les optimates et les populares durant la Rome républicaine (c’est à dire bien avant l’Empire fondé par Auguste) fut une période à la fois d’expansion territoriale suivie de troubles endémiques socio-économiques sérieux qui ne prirent réellement fin qu’avec l’endossement par le patricien Julius Caïus Caesar des aspirations populaires. Le sort tragique des Gracques, des réformateurs politiques du IIème siècle avant J.C., fut l’un des épisodes les plus symptomatiques de cette période troublée.
Oliver Cromwell n’était-il pas un populiste? Et George Washington? Lénine? Józef Piłsudski? Napoléon Bonaparte? Et ce roi des Arvernes devenu figure historique française, Vercingétorix?
En vérité, le destin du populisme tient surtout à l’endossement des aspirations populaires par une figure tutélaire qui emporte avec elle durant son ascension les résistances structurelles ayant donné naissance, contre son gré, au mouvement populiste qui l’emportera tôt ou tard.
La captation partisane (au travers de grandes structures) et la professionalisation de la politique sont les deux principales mamelles du populisme contemporain. Le monde occidental n’aurait-il pas commis une erreur suprême? Celle de considérer la démocratie représentative comme garante ad vitam aeternam de la tranquillité politique, au point de fossiliser tout l’échaffaudage de celle-ci. Comme si l’élection de représentants était l’élément principal et vital de la vie politique? Or, au fil du temps, le système s’est mué en une machinerie prompte à exclure les bonnes volontés, à raboter les aspirations et surtout à se transformer en une caisse de retraite pour privilégiés. Le système souffre inexorablement de plusieurs tares cumulatives : gérontocratie, partisanerie, corruption, opacité, conservatisme, propagandisme. La liste n’étant pas exhaustive, évoluant selon la longitude et la latitude des régimes.
Rappelons que les partis politiques ne représentent qu’une infime partie de la population globale, et que leur subsistance dépend majoritairement du denier public. Ce qui fait d’eux de formidables aspirateurs à ambitieux sans scrupules au regard des sommes collectées et des places potentielles offertes qu’eux seuls sont à même de garantir. Lesquelles places font l’objet de tractations à l’abri des regards de la population, ce qui explique qu’en certaines circonstances il s’agit majoritairement plus d’un jeu de chaises musicales que d’un choix réel offert aux électeurs.
S’ajoutent le rôle souvent néfaste, et même funeste, de revendications communautaristes qui strient toujours davantage le contrat social entre le pouvoir et la population. Au point même de rendre totalement opaque la visibilité du pays aux dirigeants qui obsédés par les actions à court terme n’en écoutent que davantage les revendications les plus bruyantes qui se pressent dans les antichambres du pouvoir, au mépris en revanche des détresses dignes mais sourdes du reste de la population.
La démocratie, ce n’est pas l’élection, c’est la participation du peuple aux décisions politiques. Lorsque celui-ci boude pour plus de la moitié (et même davantage) lesdites élections, il est manifeste que le système ne répond plus aux attentes de la population en âge de voter. Dorénavant, le parti arrivé au pouvoir s’acharne à oublier la minorité, parfois très importante, n’ayant pas voté pour lui et foule aux pieds l’une des bases fondamentales d’un régime sain : où comment un parti pouvant obtenir 50,01% des voix (sur les suffrages exprimés et non des inscrits rappelons le) en vient à mépriser, lorsque ce n’est pas écraser, les 49,99% restants. Intenable à terme. En outre, l’artifice de calculer les résultats d’une élection sur la base des seuls votants et non du corps électoral pris en son ensemble (ce qui signifierait que votes blancs et abstentionnistes soient comptabilisés) lézarde la foi générale en un système fiable et représentatif. Pour exemple, une élection législative partielle eut lieu en France, en Loire-Atlantique, où le candidat d’un parti gouvernemental s’enorgueillit d’emporter au second tour le poste de député avec 55% des voix… pour près de 75% d’abstention! Quel crédit peut-on en toute honnêteté accorder à un pareil simulacre d’élections? De la part d’un pays où les autorités font bombance de leçons démocratiques au reste du monde, l’anecdote est savoureuse autant qu’inquiétante. Car l’absence de réaction à une telle désaffection des électeurs provient soit d’un autisme carabiné soit d’une approbation d’une déliquescence du processus électif.
La réaction est généralement identique des deux côtés de l’Atlantique : stigmatiser, refuser, empêcher, condamner par voie de justice, acheter opposants et membres de cette opposition. En règle générale, les politiciens entrevoient clairement que le populisme vise moins à troubler l’ordre public qu’à remettre en cause prébendes, pensions, titres et propriétés indûment soutirés à l’État.
De quel côté pencherait le pouvoir économique vis à vis du populisme? Par essence celui-ci a besoin de stabilité, de vision à terme pour les affaires. L’aléa est l’ennemi du commerçant, de l’entrepreneur et de l’investisseur. Cependant, si une infime partie du tissu économique tire profit de son accointance avec le pouvoir politique, si ce n’est en le subventionnant pour mieux le manipuler en certaines circonstances, le hiatus apparaît avec les ruptures de modèles économiques antérieurs. L’attention des élus accordée aux monopoles en place en défaveur des secteurs porteurs, généralement taxés conséquemment, peuvent peser lourdement.
Paradoxalement, les perdants et les gagnants d’une mutation économique peuvent se retrouver alternativement dans un courant populiste en fonction des décisions du pouvoir politique.
En règle générale, il y a plus adaptation que crainte ou adhésion au populisme. C’est déjà le cas lorsque les acteurs dynamiques sont obligés de délocaliser ou de s’étendre principalement à l’international pour compenser les pesanteurs d’une administration aux décisions plus politiques qu’économiques. Le populisme fondamentalement ne change les effets qu’à la marge, et si quelques personnalités du monde économique soutiennent tel ou tel candidat, la majorité préfère éviter de s’aliéner le nouveau pouvoir en place ou en devenir.Autre point sensible : la xénophobie auquel le populisme est souvent affilié. Or, il n’existe pas formellement de consubstantialité entre les deux phénomènes : le populisme peut exister sans base xénophobe, et la xénophobie peut exister sans émergence populiste. L’étranger comme bouc-émissaire des heurts et malheurs d’une période difficile est une solution de facilité pour des individus souhaitant trouver des coupables faciles et peu/mal défendus. Mais l’étranger peut aussi être la cause d’un prurit populiste lorsque celui-ci bénéficie, a contrario, de facilités d’accès et de protections supérieures à celui d’un autochtone. Populisme et xénophobie peuvent être liés, mais cette union ne demeure qu’une potentialité et non un élément constituant du phénomène. L’utilisation polémique du terme, comme autrefois celle de tyrannie comme s’en gaussait Aristophane dans ses écrits, tend à discréditer tout mouvement ou individu en se focalisant sur les stigmates et non sur les origines de son ascension. L’Histoire est en cela édifiante qu’un combat fondé sur l’éradication des conséquences sont du domaine du labeur de Sisyphe : une tâche sans fin. En outre, l’effet pervers est de raffermir les éléments les moins radicaux en les assimilant, si ce n’est en les condamnant. Car la démocratie de type occidental est en péril sur plusieurs fronts. Et nombre d’initiatives naissent et tentent de prospérer pour apporter une solution adéquate aux défis actuels. Or, ces propositions, plus ou moins avancées, suscitent généralement dédain ou méfiance dans les circuits traditionnels politiques. Et l’anathème de populisme n’est jamais très loin en cas de succès, même modeste. Une réflexion provenant du Chardon apparait utile pour observer ce qui se déroule en Amérique du Sud : Ce qui est en train de se passer au Brésil devrait nous alerter. Dilma Roussef est donc dans une grave crise politique, confrontée notamment à une procédure de destitution. Des manifestations monstre ont lieu dans le pays, qui dépassent celles d’il y a quelques années : mais alors, c’était avant la Coupe du Monde, l’économie marchait à peu près bien, le peuple, ne manifestait que contre le manque d’efficacité. Dans le cas présent, cela semble aller au-delà : non seulement il y a le manque d’efficacité (aggravé par la crise économique) mais aussi la corruption. Au fond, les peuples acceptent soit l’un, soit l’autre. Soyez inefficaces mais honnêtes, ou corrompus mais efficaces. Ce cocktail détonnant se retrouve ailleurs, y compris chez nous. Et la démocratie tant vantée ne paraît pas répondre à ces défis car elle ne paraît plus aujourd’hui efficace. Un facteur aggravant de la situation est la réponse anti-terroriste aux divers attentats ayant endeuillé les capitales européennes : plus de restrictions, plus de contrôles, plus de surveillance comme réponse invariable à la menace. Or, que haïssent précisément les terroristes? Ces libertés, prioritairement celle de penser, de s’exprimer et de se comporter. Les autorités à la tête de diverses démocraties occidentales n’ont eu pour unique réponse, non de confirmer ces libertés pour faire pièce aux démonstrations des terroristes, mais de les restreindre voire de les suspendre. Ce climat génère à son tour de la méfiance envers les politiques qui les mènent car subsiste la diffuse impression d’une utilisation politique d’évènements tragiques pour asseoir un contrôle toujours plus ténu sur la population.De cette société civile, l’inquiétude se transforme parfois en initiative. Par exemple, l’un des principaux projets de faire émerger une figure politique de la société civile au travers d’un processus de présentation puis de désignation, tel que le préconise LaPrimaire.org, n’est-il pas un populisme visant à se soustraire à un système rigide et estimé non représentatif de la société?
Le populisme porte cependant en lui les germes latents de la dissension et du désordre. Non point qu’il en soit le responsable premier, mais plus la résistance aux revendications populaires s’intensifient et perdurent, plus le risque de troubles s’accentue. Lorsque les demandes ont été trop longtemps refoulées (voire foulées aux pieds), il y a une explosion dont la déflagration peut aboutir à des dommages conséquents. À l’instar d’une éruption volcanique de type plinienne.
Le populisme est à la fois un baromètre des dysfonctionnements majeurs et répétés d’une démocratie comme un accélérateur de l’Histoire en cas d’échec de prise en compte des revendications. Le populisme finit toujours par disparaître une fois les éléments déclencheurs soit éteints soit résolus.
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