Suite de l’article précédent. Où notre auteur invité se penche sur des notions de tactique qu’il estime élémentaires. I Leçons tactiques Le vocabulaire

La première remarque que l’on peut faire est la méconnaissance du vocabulaire tactique, tant par les journalistes (hélas peu étonnant) que par certaines forces d’intervention. Si l’on veut faire la guerre, ou faire croire qu’on la fait, alors mieux vaut utiliser le vocabulaire qui s’y rapporte.

Source.

Ainsi, donner l’assaut est une action combinant le feu et le mouvement.

Le dictionnaire définit l’assaut comme l’opération finale d’un siège qui consiste à entrer de vive force dans la position ennemie1. Ce ne fut pas le cas à Saint-Denis où l’assaut dura sept heures (de 04h16 à 11h262). Ce n’est plus un assaut, Sire, c’est de la poliorcétique.

Les principes de la guerre

La seconde est que, si l’on veut faire la guerre, autant respecter les quelques principes qui la caractérisent. Notons que, quand bien même elle serait un art simple et tout d’exécution, leur mise en œuvre ne dispense pas d’un minimum d’intelligence3.

Rappelons les principes que Foch énonçait : liberté d’action, concentration des efforts, économie des moyens.

La liberté d’action c’est la possibilité pour un chef de mettre en œuvre ses moyens à tout moment et d’agir malgré l’adversaire et les diverses contraintes imposées par le milieu et les circonstances en vue d’atteindre le but assigné. Lorsqu’on lit le récit de l’assaut de Saint-Denis, on apprend que le RAID a dû attendre des moyens supplémentaires qu’il n’avait pas à sa disposition (drone, etc.). Cette liberté n’était pas là.

Concentrer les efforts, c’est faire converger dans l’espace et le temps des actions et les effets des différentes fonctions opérationnelles. Admettons qu’elle ait été respectée.

Enfin, l’économie des moyens consiste en la répartition et l’application judicieuse des moyens en vue d’obtenir le meilleur rapport capacités/effets pour atteindre le but assigné. Force est de constater que cela n’a pas été le cas. Économiser ses moyens, cela aurait consisté à tuer les terroristes avec le minimum de cartouches, plutôt que de faire état d’une consommation hallucinante. Pourquoi les tuer ? Parce qu’ils ne laissent pas le choix lorsqu’ils sont cohérents : « Un djihadiste ne doit jamais être capturé. Il doit se battre jusqu’à la mort pour n’être pas capturé et transformer ce combat en un carnage contre les forces venues l’arrêter4. »

La préparation

Commander, c’est prévoir. La première question que posait Foch était « de quoi s’agit-il ? » Cela a semble-t-il été oublié. La preuve en est que lorsque le chef de l’État déclare devant l’AMF que pour l’opération de Saint-Denis les policiers auraient « sous-estimé la violence qu’ils allaient affronter5», c’est qu’ils n’ont pas été professionnels.

Surprise et initiative

Quand on combat, il est souvent préférable de surprendre l’adversaire que de le laisser nous surprendre. On peut surprendre un ennemi par le lieu, le moment ou le mode opératoire de l’attaque. Les récentes interventions ont-elles surpris les terroristes ?

Si nous reprenons les faits de notre histoire récente, nous remarquons que Kelkal en fuite6 a été surpris à un arrêt de bus puis mis hors d’état de nuire (définitivement) rapidement.

Merah attendait chez lui (30 heures dit-on), Coulibaly à l’hyper cacher qu’il avait ciblé, Abaaoud dans un appartement. Seuls, peut-être, les frères Kouachi ont été surpris par une patrouille de gendarmerie qui les a forcés à se retrancher dans une imprimerie.

Évoquer la surprise amène à évoquer également l’initiative, tant ces deux notions sont proches l’une de l’autre.

Nous lisons dans Tactique Théorique7 que l’initiative est la condition sine qua non de la victoire. Comment la définir alors ? L’auteur estime qu’une troupe a l’initiative lorsqu’elle fait ce qu’elle veut et qu’elle force l’ennemi à faire ce qu’elle veut qu’il fasse. Reconnaissons que, dans fort peu d’affaires citées supra, les forces de l’ordre l’ont eue. Merah a surpris le RAID lorsqu’ils ont tenté d’ouvrir la porte de son appartement, le RAID (encore) n’a pas réussi à ouvrir la porte de l’appartement de Saint-Denis (essayez par la cheminée la prochaine fois, le Père Noël y parvient tous les ans) et la BRI aurait essuyé des tirs fratricides à l’hyper cacher.

On peut aussi se demander comment, selon les dires du ministre de l’Intérieur lui-même, Merah ait pu sortir de chez lui pour téléphoner alors qu’il était assiégé par le RAID8. N’aurait-il pas été judicieux de mettre en place un réel système de surveillance et d’interception qui aurait permis de l’arrêter en dehors de l’immeuble plutôt que d’en ravaler la façade ?

Un peu mieux (?), Abaaoud a été repéré dans un talus végétalisé9 le 17 novembre. Là aussi, il aurait pu être arrêté dans une zone d’entrepôts, ce qui aurait mieux valu que de tester la solidité de l’immeuble dans lequel il s’est réfugié par la suite.

Les délais d’intervention

Lorsqu’on est en guerre, les délais d’intervention sont primordiaux. En effet, le temps est avec l’ennemi et le terrain l’un des trois termes du raisonnement tactique. Dans la mesure où l’on ne sait pas où ni quand les sicaires du Calife frapperont, il est alors indispensable que les forces d’intervention soient soumises à une astreinte rigoureuse.

Pourtant, le soir du Bataclan, la réaction fut plutôt longue à venir10. Reconnaissons qu’il est difficile de savoir rapidement ce qui se passe précisément, que l’intervention semble toujours trop tardive et que lorsqu’on est plongé dans l’action, la notion du temps s’estompe11.

Le questionnement est pourtant légitime.

L’action au Bataclan a débuté à 21h47, l’alerte diffusée sur les ondes de la police à 21h50, mais l’assaut n’a été donné qu’à 00h1912 (90 morts).

Si l’on rappelle les faits du Radisson Blu, les terroristes ont débuté leur action à 07 h, l’intervention a débuté à 10h40 pour s’achever à 16h35 (140 otages, 18 morts).

La différence de délai est assez faible, surtout lorsqu’on se prétend les meilleurs…

On se rend compte que l’attaque contre Charlie Hebdo n’a pas entraîné de leçons. Si tel avait été le cas, dès que les faits du Bataclan auraient été connus, une colonne du RAID serait partie sur place. Mais peut-être leur régime d’alerte reste… perfectible ? Ce qui expliquerait après coup l’article dithyrambique13 destiné à faire pleurer Margot et émouvoir la population mâle de notre pays.

Le tir (le feu tue)

À la guerre, c’est le feu qui prime, quelle que soit la forme qu’il prend. Il est donc indispensable de l’appréhender avec sérieux et réalisme. Rien n’a changé depuis le constat « le feu tue ».

Partant de là, il est indispensable de fixer des secteurs de tir (lors de la recherche des frères K à Reims, les images de BFMTV montraient des personnes traversant les champs de tir des policiers du RAID…) et d’instaurer une discipline de feu, encore plus parce que le feu appelle le feu. Cela évite de se faire tirer dessus (comme ce fut très vraisemblablement le cas à Saint-Denis), et de tuer le chien envoyé dans l’appartement. Comment expliquer ce dernier fait dans la mesure où il aurait été tué à la brenneke, alors que seul un pistolet de 9 mm a été retrouvé dans les décombres14 ?

Concernant ce fait étonnant (une seule arme retrouvée alors que le RAID a été pris sous un déluge de feu), la presse s’en est fait l’écho, non démenti. Dans ces cas, cela vaut acceptation.

Cela pose donc la question des tirs fratricides.

L’opération de l’hyper cacher a déjà soulevé cette question, vite close.

Celle de Saint-Denis l’a remise d’actualité. En effet, quand on voit autant d’impacts de balles sur les façades extérieures de l’immeuble, on se demande où étaient les tireurs de précision. On se demande aussi s’ils ne se sont pas tout simplement tiré dessus à travers les fenêtres de l’appartement d’Abaaoud, ce qui expliquerait les 5000 cartouches tirées. Car lorsqu’au Bataclan, le commissaire intervenu déclare qu’avec 5 cartouches il a neutralisé un terroriste, une simple règle de trois laisse alors supposer la présence de 1000 terroristes à Saint-Denis. On comprend ainsi mieux les abus des marchands de sommeil… Le tir fratricide est une simple hypothèse, je l’admets, mais pas impossible au vu du témoignage du voisin égyptien publié par Le Parisien15.

Reste aussi la question des impacts limés à l’intérieur des boucliers utilisés lors de l’intervention : « Si 17 impacts sont recensés sur l’avant et peuvent donc, a priori, être attribués à des tirs effectués par les terroristes, au moins quarante autres impacts figurent à l’intérieur des équipements de protection16. » La discipline de feu semble être meilleure à la BRI qu’au RAID, puisque M. Molmy déclare « on n’a pas tiré tant que les otages étaient là, ce qui a fait qu’aucun otage n’a été blessé ni même tué ni même par les terroristes durant l’assaut, ce qui est extraordinaire17. »

Et terminons avec la consommation de munitions dyonisienne. 5000 juste après l’opération, 1500 quelques jours après, comme si les communicants s’étaient rendus compte qu’une telle consommation faisait davantage opération fedayin à Beyrouth du temps de l’OLP qu’opération de troupe d’élite. La représentation nationale a, quant à elle, d’autres questions relatives à la consommation de cartouches. Trop peu au Bataclan, bien trop à Saint-Denis18 ?

L’utilisation des explosifs

Cela pourrait constituer une sous-partie de la précédente, l’explosif étant un feu particulier.

Pour la deuxième fois consécutive, le RAID n’arrive pas à ouvrir une porte. Et quand son patron explique, sans aucune honte d’ailleurs, « Malheureusement, comme ça arrive quelques fois, ça ne marche pas bien. La porte blindée s’ouvre mal19 » c’est que l’unité n’a tiré aucune leçon de l’affaire Merah où, là aussi, ils ont été incapables d’ouvrir la porte20. Ou alors, les consignes n’ont pas été bien transmises lors de la « passation de commandement »… Pourtant les responsables effraction du RAID sont « très expérimentés21 ».

En conclusion de cette partie, nous pouvons dire qu’il serait judicieux de réapprendre les notions élémentaires de tactique. Le problème est que personne ne l’admettra en haut lieu, à cause des syndicats qui vont hurler au loup, à la mort, à la mort du loup, etc.

Nous pouvons aussi nous demander, à rebours de Clemenceau qu’admire pourtant notre Premier ministre, si la guerre n’est pas une affaire trop sérieuse pour être exécutée par des civils.

A suivre…

3Cf. http://suntzufrance.fr/lart-de-la-guerre-ne-permet-pas-de-remporter-les-batailles/ qui cite Coutau-Bégarie « En réalité, les principes à la guerre n’ont la valeur féconde d’un principe que pour ceux qui les ont dégagés, ou retrouvés eux-mêmes au cours de leur travail personnel. »

4In Gestion de la barbarie, p 141.

7Du général Yakovleff, éditions Economica.

14Étonnamment, aucune autopsie du chien n’a été pratiquée pour infirmer ce « tir fratricide ». Cf. http://www.lemonde.fr/attaques-a-paris/article/2016/02/01/attentat-du-13-novembre-precisions-sur-l-assaut-du-raid-a-saint-denis_4857176_4809495.html

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