La question des causes des guerres a toujours été une des principales interrogations des analystes prospectifs. Retracer les causes complexes des grandes guerres mondiales – principalement de la Première – est un travail long qui prend sa source bien en amont de l’attentat de Sarajevo. Toutefois ces dernières années, changement climatique oblige, des questionnements sont apparus concernant les ressources naturelles. Les modifications, d’origine humaine, que subit le climat terrestre, seraient la cause de crises sécuritaires majeures, se positionnant à côté (ou en surimpression) des crises conventionnelles.
L’épuisement programmé des ressources naturelles, eau, hydrocarbures, minerais, ouvrirait la voie à un monde chaotique n’ayant rien à envier au Mad Max de George Miller, lui-même sur fond de crise du pétrole. Au XXe siècle, la crise du Biafra était déjà présentée comme une affaire essentiellement pétrolière, pour le contrôle des richesses du Nigéria. De même, comment éviter l’aspect « course aux champs pétroliers » dans une analyse du Second conflit mondial à l’Est ? Toutefois ces guerres ne peuvent être reliées aux seules ressources. La dynamique mortifère des régimes nazi et communiste les poussait à s’opposer frontalement dans une confrontation eschatologique. De même comment ignorer les nombreuses questions ethniques et religieuses au Nigeria, dont la crise de Boko Haram est un énième révélateur ? Il appartient ainsi de comprendre ce qui se cache derrière cette idée de guerre pour les ressources.
Dans ce cadre, la guerre civile syrienne et, plus largement, les Printemps arabes, ont été vus comme des guerres de ressources. Certains, arguant des phénomènes climatiques des deux années précédentes (2009 et 2010), ont voulu montrer que c’est avant tout l’afflux d’ouvriers agricoles inemployés dans les villes qui avaient créé le terreau fertile pour une implosion révolutionnaire. Sans remettre en cause l’existence de ce paramètre, faire du conflit civil syrien une guerre du changement climatique semble bien aventureux. De nombreux autres facteurs, politiques, économiques et sociaux peuvent être mis en avant, l’essoufflement du régime n’étant pas le dernier. Toutefois les combats se concentrent parfois dans des zones de ressources. Ainsi la ville d’Homs dispose d’un caractère stratégique, principalement parce qu’elle est le plus important lieu de croisement des pipelines du pays. En Irak de la même manière, c’est avant tout la fracture en sunnites et chiites, exploitée tantôt par les uns, tantôt par les autres, qui finit par amener à une implosion du pays en 2013. Ici aussi les combats se concentrent parfois autour des zones de ressources comme Baïji, principale raffinerie du pays. Dans ces deux cas, il est intéressant de constater que ce sont des zones de ressources artificielles (hub et raffinerie) qui sont des points focaux, plus que des régions de ressources naturelles.
De la même manière, la question du Lac Tchad s’avère également épineuse. Le régime hydrographique du lac, toujours mal compris, ne permet pour l’instant pas de déterminer si nous sommes en présence d’une phase d’assèchement temporaire ou d’un phénomène structurel. Le Lac Tchad sera-t-il la nouvelle mer d’Aral ? Rien n’est moins sûr et la méconnaissance des mécanismes naturels de la région empêche toute réponse définitive. Quoi qu’il en soit, ce dernier, à cheval entre le Niger, le Nigéria, le Cameroun et le Tchad, est le terrain de jeu de Boko Haram. Les études fleurissent ainsi sur le désœuvrement des pêcheurs du lac et les conflits surgissant ponctuellement entre ceux-ci et les éleveurs profitant de la décrue du lac. Aucune guerre à l’horizon entre les Etats qui sont plutôt dans une dynamique de coopération au niveau du G5 Sahel et un lien impossible à établir avec la montée de Boko Haram, liée à de nombreux autres facteurs, politiques notamment. La guerre civile soudanaise qui aboutit à la partition du pays en deux en 2011, oppose certes la région riche en pétrole du Sud au gouvernement de Khartoum. Néanmoins elle est déclenchée par des phénomènes religieux (fracture chrétiens-animistes – musulmans) et politiques, le pétrole ne servant dans ce cas que de catalyseur, les grandes puissances, à commencer par la Chine, soutenant l’un ou l’autre camp selon leurs intérêts économiques.
Les situations potentiellement explosives abonderaient dès lors sur la planète, de l’aquifère Guarani entre l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay, jusqu’au gigantesque champ gazier North Dome-South Field partagé entre l’Iran et Qatar. Le partage des eaux du Jourdain ou du Nil, la question de la vallée du Ferghana en Asie centrale, etc., sont également des situations tendues, sans qu’aucun conflit ne leur soit directement lié néanmoins.
Qu’en déduire au niveau des ressources ?
Pour le moment, aucune confrontation armée faisant plus de mille morts militaires par an de manière directe – définition d’une guerre – n’a été provoquée par un simple besoin de ressources. Cela ne veut toutefois pas dire qu’il n’existe pas un problème potentiel d’accès aux ressources, du fait tant du changement climatique que de l’augmentation rapide de la population à l’échelle mondiale.
Les théories du pic pétrolier par exemple doivent être analysées avec rigueur. Elles prennent leur source dans les travaux du géologue M. Hubbert qui inférait dès la fin des années 1940, que les Etats-Unis connaîtraient un pic de production pétrolière en 1970, puis un déclin rapide. La production des Etats-Unis commence en effet à décliner suivant les prévisions de Hubbert, ce qui, en conjonction avec d’autres phénomènes, amène R. Nixon à mettre fin au compromis de Bretton-Woods. Toutefois Hubbert ne se prononçait, sur des bases scientifiques, que pour les Etats-Unis d’alors. D’autres, à partir des années 1970, ont voulu extrapoler ses travaux au niveau mondial, d’où la naissance de l’idée d’un pic pétrolier, dont la date est depuis sans cesse repoussée. Bien évidemment le pétrole, comme les autres ressources fossiles (charbon, gaz, métaux, uranium), est en quantité finie sur Terre. Les stocks ne se recomposent pas – du moins pas sur notre temps géologique – et un épuisement à terme est inévitable. Toutefois l’avancée de la technologie, en termes d’exploration-production notamment, combinée avec la découverte de nouvelles ressources, offshore en particulier, relativisent l’acuité du pic. Entre 1995 et 2015, les réserves prouvées de pétrole sont passées, selon BP, de 1126,2 milliards de barils à 1697,6 milliards de barils, soit une hausse de 66% en vingt ans, malgré la production continue. L’imminence du pic est donc à relativiser.
La situation est plus complexe au niveau des métaux stratégiques, plus concentrés, dont la demande explose avec la transformation économique des émergents. Toutefois les politiques de recyclage – ce dernier est pour le moment particulièrement faible pour la plupart des métaux stratégiques, de l’ordre de moins de 10% – et de substitution, permettent d’entrevoir des portes de sortie. Les matières premières alimentaires et l’eau sont a priori bien plus touchées par la question de la raréfaction des ressources. Les politiques d’acquisition de terres à l’étranger qui se développent depuis quelques années, de la part de la Chine ou des pays du Golfe en direction de l’Afrique, de l’Australie ou de l’Ukraine, s’apparentent ainsi à du land grabbing. Cette volonté se révèle presque vitale pour un pays comme l’Inde, en plein accroissement démographique et qui peine à augmenter sa production agricole au même rythme ; l’indice de faim globale (GHI) de l’Inde (29) la place dans une situation pire que la Corée du Nord (28,8). Ces politiques nationales entrent en confrontation avec les situations locales et peuvent créer des tensions plus ou moins fortes, selon l’empreinte que les nouveaux possesseurs de la terre laissent sur place. Les ressources en eaux douces sont également plus concernées par les crises. Base de la pyramide de Maslow des besoins humains, l’alimentation en eau est indispensable à toute vie. Toutefois ici aussi, des politiques d’utilisation raisonnée, une efficience plus grande des réseaux de production, transport et consommation – sans même aller jusqu’à parler de smart water – permet de résoudre de nombreux problèmes. Grâce à un management raisonné de ses ressources en eau, l’Australie réussit à atteindre un niveau de stress hydrique plus faible que celui de certains pays d’Europe. Certes les questions d’augmentation de la démographie et d’accélération du changement climatique ne doivent pas être écartées, mais les politiques d’adaptation et de mitigation des effets de ce dernier permettraient de palier à une partie non-négligeable des problèmes.
La peur du manque de ressources ne doit toutefois pas ouvrir la porte à des pratiques dangereuses de géo-ingénierie. L’ensemencement des océans, à savoir la dispersion en masse de fer dans les eaux pélagiques pour permettre la création du phytoplancton, lequel capturerait le CO2 de l’atmosphère, présente de nombreux dangers de modification d’équilibres écologiques fragiles. Les apprentis sorciers de tout poil, prompt à vouloir provoquer des pluies ou à changer le régime des eaux de manière artificielle, risquent de créer les catastrophes qu’ils redoutent. La convention ENMOD de 1970 sur la modification du climat – non signée par la France – est sensée prévenir ce genre d’attitudes. Toutefois de nombreux Etats en Afrique, en Amérique latine et au Moyen-Orient n’en sont pas parties, signe des dangers potentiels en ce sens.
]]>