Ces quelques dates clefs permettront d’aider à retracer la dynamique de la rébellion houthie, bien que la liste suivante soit loin d’être exhaustive. Son seul intérêt est de replacer le fait d’arme dans son contexte. Les causes politico-religieuses plongent leur racines dans les années 1960, notamment par l’intervention de l’Égypte de Nasser, dans un conflit de huit années (26 septembre 1962 – 1er décembre 1970).
Les EAU s’implantaient en Erythrée par la création d’une « base aéronavale » à
Assab avec l’utilisation de la piste de l’aéroport international et d’une darse à proximité immédiate de la piste aux environs du
mois d’avril 2016.
Début septembre, la même zone aurait été employé par l’Arabie Saoudite pour transférer 5000 yéménites dans l’optique de les former.
L’action navale houthie débuterait, justement, par l’attaque d’
Assab. La
vidéo publiée pour attester du déroulé de son opération comme de sa réussite donne assez peu d’éléments, même en traduisant les quelques paroles échangées. L’écran d’un radar est visible. Le missile employé est présenté comme un C-802 (de 120 à 200 km de portée selon la version) de conception et fabrication chinoise (fourni directement par la Chine ou à travers ses clients régionaux que sont l’Iran et le Soudan ?). Sans que le lanceur soit discernable, l’arme part depuis la gauche de la personne qui film. La
vidéo tend à nous montrer que le bateau atteint, présenté comme le HSV-2
Swift, est sur la rive opposée. Un gros plan sur l’épave en flammes invite à croire qu’il y aurait deux équipes, l’une au site de lancement, l’autre à proximité immédiate du bateau qui serait à quai ou au mouillage près du port yéménite de Mocha.
Il pourrait s’agir de
la quatrième attaque de ce genre. Le groupe Ansar Allah s’est vanté d’en avoir mené trois au préalable avec des C-802 contre des navires de la coalition menée par l’Arabie Saoudite. Le résultat de la quatrième tentative serait plus probant que les trois autres.
Le même Hezbollah qui était ravitaillé partiellement, lui aussi, par l’Iran via la Mer d’où la « FINUL maritime ». L’apogée d’actions menées par des acteurs non-étatiques demeure la guérilla maritime des Sea Tigers (1984 – 2006).
La rébellion des Houthis semble profiter d’une absence préalable de la maîtrise des mers par l’Arabie Saoudite (depuis 2009) et la coalition réunie en 2015 (Tempête décisive). Les pays de la coalition brillaient par la timidité de leur participation aux opérations de lutte contre la piraterie ou « anti-terroriste » depuis 2011.
Faute d’avoir mené un blocus aux détroits de Bab El-Mandeb et d’Hormuz, le soutien suspecté de l’Iran, et peut-être d’autres acteurs infra-nationaux et transnationaux, au profit de la rébellion n’a pas diminué. Au contraire, si celle-ci échoue devant Aden, elle se targue de contrôler deux ports (Hodeida et Chakra). Rien confirme ou n’infirme l’utilisation de ports érythréens. Aussi, l’arraisonnement de navires iraniens accusés de transporter des armes peut être considéré autant comme un progrès que comme la révélation d’un échec plus vaste. Le
bombardement des moyens navals houthis le 2 octobre 2016 en réaction à l’attaque de la veille sonne comme un réveil très tardif.
La rébellion monte d’un cran, après avoir développé son accès à la mer avec une poussière navale non-significative, elle tente désormais de dénier l’accès à la mer à ses adversaires non-limitrophes pour se renforcer ou se maintenir au Yemen. L’action terrestre émiratie est souvent présentée comme bien plus efficace que celle des Saoudiens où les Leclerc, notamment, encaissent et rendent coup sur coup.
A ce titre, il sera à surveiller si de nouveaux tirs de missiles balistiques sont tentés, non plus à destination de villes, mais bien d’infrastructures militaires sur les deux rives de la Mer rouge.
Dans le même registre, la destruction affichée du HSV-2 Swift est celle, certes, d’un catamaran rapide de transport à coque d’aluminium. Mais dans les débats allant de la technoguérilla jusqu’à la guerre hybride (« la guerre est un caméléon » dixit Clausewitz), il n’est plus envisageable de procéder à une logistique navale intra-théâtre ou inter-théâtres sans des capacités anti-aérienne à très courte portée et courte portée rien que pour l’auto-défense depuis le navire de transport ou par son escorteur. Et, précisons : avec un système fonctionnant 24 heures sur 24, sept jours sur sept sans problèmes d’interférence et d’alimentation électrique (1982, 2006). Les BPC égyptiens sont prévenus.
Les demandes de l’
Amiral Rogel devant la représentation nationale française en octobre 2015 sont consacrées : des capacités anti-aériennes sont indispensables (SATCP et TCP ou SADRAL et Crotale/VL-Mica ou Aster 15) sans oublier des moyens de guerre électronique. Demandes qui n’intéressent plus seulement la Marine nationale. Il est également temps, autant pour la France que l’Arabie Saoudite, de reconsidérer les opérations Saphir (1972 – 1977), Prométhée (1987 – 1988), Artimon (1990 – 1994) ou Atalante (2008 – …). La présence navale française dans l’Océan Indien prouve une nouvelle fois sa pertinence tout comme l’intérêt de disposer d’une base dans le détroit de Bab El-Mandeb… mais également à proximité du détroit d’Hormuz (IMFEAU).
Sur le plan stratégique, nous serions dans une approche corbettienne (usage de la mer pour le transport d’un corps (aéro)terrestre sur les points faibles du dispositif ennemi et maîtrise des flux maritimes) avec une intégration de la dimension navale à la stratégie de la rébellion houthie. La direction saoudienne ne l’intègre pas suffisamment. Le missile anti-navire, depuis la destruction de l’Eilat (21 octobre 1967), confirme une fois encore son rôle de « diffusion de la puissance maritime » ou The Diffusion of Maritime Power (titre d’un des articles publiés dans le recueil Diplomacy at Sea de James Cable, citée dans Hervé Coutau-Bégarie, Le problème du porte-avions, Paris, Économica, 1990, p. 69) et, partant, il est possible d’ajouter de « pouvoir égalisateur ».
Enfin, ces derniers développements tendent à montrer une dynamique favorable aux Houthis et une prétention limitée à utiliser le détroit de Bab El-Mandeb qui ne pourrait que se renforcer en cas de victoire dans la guerre civile. L’Iran aurait alors une influence directe (Hormuz) et indirecte (Bab El-Mandeb) sur deux des plus grands détroits internationaux commandant au passage entre la Méditerranée et l’océan Indien, le coeur du système maritime mondial.
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Le marquis de Seignelay
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