Une des premières choses à relever est son propos appuyé sur le besoin de la Marine nationale pour ses missions de sauvegarde maritime dites de l’ « Action de l’État en Mer ». Le CEMM semble révéler le cap qui guidera désormais la programmation vis-à-vis des futurs définitions et cibles pour les programmes BATSIMAR (BATiment de Surveillance et d’Intervention MARitime) et ceux visant à remplacer les frégates de deuxième rang (classes Floréal et La Fayette).
Le propos de l’Amiral Prazuck est à replacer dans un contexte où trois des quatre forces armées font connaître l’impérieuse nécessité de poursuivre la trajectoire actuelle de la loi de programmation militaire mais également de procéder à une remontée en puissance au cours de la suivante. L’Armée de Terre souhaite disposer de trois bridages Scorpion d’ici à 2025 et non plus d’une seule. L’Armée de l’Air demande la commande de la cinquième tranche de production du Rafale. Globalement, il ne s’agit pas tant de « plus de moyens » et donc d’une maquette réévaluée vers le haut avec une augmentation des cibles de chaque programme mais bien d’une accélération de la modernisation des matériels. Ou, plutôt, de tenter de réduire le temps perdu depuis le deuxième mandat du Président Jacques Chirac (2002 – 2007).
« Nous passons naturellement notre temps à hiérarchiser les zones à surveiller. Mais le format global que nous visons, et que nous connaissons depuis plusieurs décennies, est d’une frégate, deux patrouilleurs et un bâtiment logistique pour chaque département ou collectivité d’outre-mer. Le bâtiment logistique, la « bête de somme », c’est le B2M, qui est en cours de livraison : le premier est arrivé en Nouvelle-Calédonie, le deuxième part pour Papeete et le Premier ministre a annoncé la commande du quatrième. Le format du temps des P400, du programme de 1982 destiné à assurer la surveillance et la souveraineté de nos zones économiques, me paraît toujours cohérent. »
Amiral Christophe Prazuck, audition devant la commission de la Défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 12 octobre 2016.
Ce propos est répété deux fois au cours de l’audition. Il est très certainement le passage le plus important, voire l’un des plus importants de ces dernières années afin de connaître la manière dont la Marine nationale ambitionne de structurer ses moyens déployés Outre-mer. À travers lui s’exprime très certainement la position de l’État-Major Marine actuellement arrêté dans le cadre du plan Horizon Marine 2025.
Six bases navales Outre-mer
Le premier point qui se dégage à la lecture de l’Amiral Prazuck est l’élément géographique où il dénombre les moyens déployés « pour chaque département ou collectivité d’outre-mer ». Il faudrait comprendre alors chacune des bases navales des grandes façades maritimes de l’Archipel France (l’arc des Antilles (Guyane (Dégrad-Des-Cannes) et Martinique (Fort Saint-Louis), Mayotte (rocher de Dzaoudzi), La Réunion (Port des Galets), la Polynésie française (Papeete) et la Nouvelle Calédonie (Pointe Chaleix) soit six bases navales Outre-mer.
Le deuxième point revient à énoncer les moyens nécessaires pour chacune de ces grandes régions ultra-marines. « Une frégate, deux patrouilleurs et un bâtiment logistique pour chaque département ou collectivité d’outre-mer. » Ce format est annoncé comme celui perdurant « depuis plusieurs décennies ». L’Amiral Prazuck annonce bel et bien que « c’est le format global que nous visons ».
Le chiffre six semble être central dans l’expression des besoins car, d’une part, il y a six bases navales dans l’Archipel France en plus des trois en métropole, d’autre part, la cible initiale du programme P400 était de 12 unités. « Le format du temps des P400, du programme de 1982 destiné à assurer la surveillance et la souveraineté de nos zones économiques, me paraît toujours cohérent. »
6 B2M / PLV
Les cinq BATRAL sont remplacés par les B2M après l’abandon « temporaire » du BIS (Bâtiment d’Intervention et de Souveraineté). « Le bâtiment logistique, la « bête de somme », c’est le B2M, qui est en cours de livraison : le premier est arrivé en Nouvelle-Calédonie, le deuxième part pour Papeete et le Premier ministre a annoncé la commande du quatrième. » Cela reviendrait à dire que la Marine nationale aurait besoin d’au moins un cinquième B2M (pour Mayotte ?) s’il fallait comptabiliser le PLV comme unité logistique équivalente.
En Europe, les BSAH (Bâtiments de Sauvetage et d’Assistance Hauturier), au nombre de quatre, réceptionnés en 2018 et 2019, reprennent les noms traditionnellement attribués aux bâtiments de soutien logistique, navires-ateliers, de soutien et de ravitaillement : Loire, Rhône, Seine et Garonne.
Les affirmations de l’Amiral tendent bien à considérer que ces neuf ou dix unités correspondent au train d’escadre de la Flotte.
12 BATSIMAR
« Le radar d’un bateau couvre un département français : il permet de voir 20 nautiques sur bâbord et 20 sur tribord, ce qui correspond à un cercle de 100 kilomètres de diamètre environ. Or la zone économique exclusive française s’étend sur 11 millions de kilomètres carrés : nous ne pourrons jamais déployer assez de bateaux pour la couvrir. Nous avons donc besoin de moyens mobiles. Voilà pourquoi nos patrouilleurs doivent être suffisamment rapides ; voilà aussi pourquoi il nous faut réfléchir à l’emploi de drones et songer au renouvellement des avions de surveillance maritime ».
Amiral Christophe Prazuck, audition devant la commission de la Défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 12 octobre 2016.
Douze patrouilleurs devraient être acquis à travers le programme BATSIMAR : la dernière cible retenue pour celui-ci (12 unités) consentirait à seulement deux patrouilleurs par base navale. Est-ce à dire que l’idée de grands patrouilleurs continue à séduire l’EMM ? La référence au programme P400 donne, certes, la référence à une cible initiale mais également à un tonnage relativement faible (près de 480 tonnes à pleine charge).
Le curseur n’est pas simple à placer car s’il fallait doter BATSIMAR des caractéristiques d’une frégate de troisième rang (ou patrouilleur hauturier) alors douze unités représenterait un effort allant de 480 à 600 millions (en se fondant sur un coût unitaire de production de 40 à 50 millions d’euros). Accepter des limitations de capacités par unité au profit d’un nombre supérieur de bateaux et d’équipements conduirait à une frégate de quatrième rang soit 445,4 millions d’euros (cinq divisions avec 3 patrouilleurs, 1 B2M, deux systèmes d’hélidrones et la drome associé).
6 frégates
Le CEMM donnerait le signal du renouvellement de la composante des frégates de deuxième rang qui ne comprend plus que les six frégates de classe Floréal qui atteindront les 30 années de service (2022 – 2024) au cours de la prochaine LPM (2020 – 2025). Les avisos A69 sont reclassés Patrouilleur de Haute Mer (PHM) et n’appartiennent plus au deuxième rang (mais plutôt à un hypothétique troisième). Quant aux La Fayette, depuis leur promotion au premier rang en 2008, leur remplacement est assuré par le programme FTI, entérinant définitivement leur sortie du deuxième rang.
Le format à 15 frégates de premier rang est une moyenne depuis 1960. Il s’accompagnait jusqu’au début des années 2000 d’une forte composante de frégates de deuxième rang (escorteurs puis avisos et frégates). Lors des conférences préparatoires à la Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer (CNUDM) les frégates de deuxième rang étaient nécessaires afin d’affirmer les arguments des parties, notamment dans les conflits liés à la pêche (exemple du conflit de la langouste entre la France et le Brésil (1961 – 1963). Les tensions dans les mers de Chine ainsi que les risques et menaces pesant sur l’intégrité territoriale de la France ne manqueront pas de se traduire à l’avantage de la partie la plus assurée en mer et dans les conférences.
Avec un maintien du programme BATSIMAR, il serait logique que les frégates de surveillance ne soient pas remplacées par un patrouilleur sinon elles auraient été comprises dans le programme BATSIMAR. L’Amiral demande bien des frégates. La particularité des frégates de surveillance, qui les distingue de simples patrouilleurs hauturiers, est, notamment, de disposer d’un armement leur permettant d’assurer leurauto-défense sur (pièce de 100 mm) et au-dessus de la surface (Simbad), voire de lutter contre d’autres navires (missiles Exocet). Mais la situation sous la surface leur est parfaitement inconnue.
La Royale semble actuellement pencher en faveur d’un accroissement des capacités des navires devant remplacer les frégates de surveillance eu égard à l’accroissement des risques et menaces (Amiral Rogel ; 15 octobre 2015) :
« la principale menace est sous-marine : aujourd’hui – et c’est inédit, me semble-t-il –, plus de 49 nations disposent de sous-marins modernes.«
« de capacités anti-aériennes pour pouvoir s’approcher des zones de crise car, et c’est la deuxième caractéristique des opérations navales actuelles, dès lors que l’on s’approche de la terre, on s’expose notamment à la menace aérienne et aux missiles sol-mer.«
L’ancien CEMM, l’Amiral Rogel, s’était exprimé en ce sens :
« Les futures frégates de taille intermédiaire (FTI) sont en fait prévues pour remplacer les frégates furtives du type La Fayette (FLF). C’est ce qu’a indiqué le chef d’Etat-major de la Marine nationale en réponse à une question de Mer et Marine. L’amiral Rogel n’a, toutefois, pas exclut que ce programme puisse éventuellement servir, au passage, au renouvellement des frégates de surveillance du type Floréal. « Les frégates de taille intermédiaire seront considérées comme des frégates de premier rang. Elles remplaceront les La Fayette. Pour les frégates de surveillance, nous verrons. Six frégates de surveillance sont actées par le Livre Blanc en plus des 15 frégates de premier rang ».
L’Amiral Rogel à Mer et Marine, « Actualité Les futures FTI remplaceront les La Fayette et peut être les Floréal », 16 juillet 2003.
Cette option est largement convaincante dans la mesure où le coût des équipements sur une frégate constitue entre le tiers et la moitié de son coût unitaire de production à la sortie du chantier. Une FTI, actuellement donnée pour 450 millions d’euros, produite comme frégate de surveillance, reviendrait entre 225 et 300 millions d’euros. Le curseur aurait pu glisser vers le bas de la fourchette s’il avait été possible de coupler à la future commande de cinq FTI celle de cinq unités supplémentaires pour remplacer les Floréal.
Dans la même audition, le député Philippe Vitel affirme que « le vice-amiral Païtard nous avait déclaré qu’il était dangereux de descendre au-dessous de vingt-trois » frégates de premier rang. Avec quinze frégates de premier rang et six en réserve avec la possibilité de les refondre au premier rang, la France prendrait une certaine sûreté sur l’avenir.