L’Europe, à défaut d’avoir été un petit cap unifié du continent asiatique, n’a pas manqué de marquer de son empreinte civilisationnelle l’ensemble du globe depuis son réveil au XIVème siècle (au sortir de la Grande Peste de 1347-1352). Pourtant, force est de constater qu’en ce début de XXIème siècle l’Europe est mal en point, faisant face à ce que le président de la Commission Européenne nomme un phénomène de polycrises. Émasculée, elle ne semble plus réagir face à la diversité des défis qui l’assaillent, à l’exception de ses marges que sont les îles Britanniques et l’Europe orientale.

L’un des points majeurs de cette déliquescence tient au vieillissement de la population, un phénomène majeur consécutif à l’épisode de croissance démographique ininterrompue pendant les décennies d’après-guerre. Cette population âgée pèse désormais de plus en plus lourd sur de nombreux plans : celui du patrimoine ; celui du monde du travail ; celui du champ électoral ; celui de la culture. En certaines contrées, ces blocages ont abouti au phénomène désormais perceptible de descenseur social et de précarisation des nouvelles générations conduisant à un chômage de masse pour ces jeunes condamnés aux aides sociales ou à l’expatriation.

Contrairement aux anciennes générations où la passation du flambeau était une nécessité et un marquage symbolique prégnant, la génération actuelle n’entend céder en rien ce dont elle a hérité. Et encore moins préparer la relève. « Avant moi le néant, après moi le déluge » pourrait être le moto de cette dernière, et dont l’individualisme est l’élément le plus déterminant. Cette mentalité en rupture avec les précédentes générations ne manque pas d’interroger sur le devenir d’une société et le risque de conflits intergénérationels (dont les plus violents sont justement lorsqu’une génération est en surnuméraire et décalée quant aux aspirations du temps présent).

Le principal souci n’est pas en réalité la vieillesse corporelle (les transhumanistes promettent monts et merveilles sur ce plan, dont l’objectif ultime serait de vaincre la mort), le grief principal se porte sur l’esprit qui décrépit, qui rancit et qui obstrue toutes les initiatives. La tempérance est une vertu (inter utrumque tene medio tutissimus ibis) mais elle ne saurait être confondue avec l’immobilisme par des velleités incapacitantes. Comme le précisait à juste titre l’économiste et sociologue italien Vilfredo Pareto, la circulation des élites est la donne majeure pour s’assurer d’une succession heureuse. Or, lorsqu’une élite vieillissante se refuse à passer la main, perdure au-delà du raisonnable et surtout, fige tout élan de la jeunesse en lieu et place de le canaliser à profit, la fracture ne peut être que béante au fil des années.

Le respect des ancêtres est une condition essentielle pour s’assurer d’un liant générationnel et civilisationnel au sein d’une société humaine. Or comment celui-ci pourrait-il avoir lieu si ceux qui poussent sont maintenus dans une état de servitude, de dénigrement, de dépossession et de mépris?. C’est là une situation, renforcée par la production à grande échelle médiatique et politique de moraline, qui ne peut être acceptable car elle pose de nombreuses dérives et déviances.

Ajoutons que la transmission de patrimoine, lorsqu’elle s’effectue par pleine volonté de son propriétaire, est ponctionnée par l’État dont on peut se demander quel est le soubassement philosophique de celui-ci si ce n’est la prédation ?

Notifions que si les classes supérieures sont les plus enclines à favoriser la prospérité de leurs progénitures, largement au-delà du seuil de confort nécessaire, elles brident dans le même temps l’accès à des individus qui n’ont pour seules qualités que leur talent et leur volonté de progresser. Cela n’est généralement pas suffisant en une telle société valétudinaire.La liberté de penser et de s’exprimer, propre à faire évoluer les êtres, est passée d’un « Il est interdit d’interdire » à des règles de modération qui ne sont rien de moins que celles d’interdiction. Les sentinelles de la pensée conforme ne manquent guère, et ce en aucune manière pour justifier leur existence et leurs subventions, de prononcer l’hallali dès détection de tout écart présumé. Ce système auto-entretenu et fortement politisé, ne manque pas de participer au rabougrissement de la pensée, et au flétrissement des esprits.

Enfin et le plus important, lorsque la vieillesse ne sait plus produire et prodiguer de la sagesse elle engendre la peur, ou plutôt les peurs. Qu’un principe de précaution soit érigé en norme suprême au sein de l’Union Européenne en dit long sur la prévalence de cet état d’esprit qui confond dès lors risque et danger.

L’essor et les victoires à terme du populisme, phénomène traité précédemment sur cet espace, n’est pas le fondement mais la résultante d’une situation bloquée.

Les constats :

* La défiance vis à vis des évolutions technologiques, et leur castration par voies législative et judiciaire

* La judiciarisation de toute atteinte, la plus bénigne soit-elle, engorgeant les tribunaux

* La culpabilisation généralisée du passé et du présent

* L’emploi ad nauseam du vocable « jeune » pour désigner des individus abonnés aux actes de délinquance

* L’évolution d’une société socialement à deux vitesses dans le monde du travail : ceux qui disposent d’avantages dignes de l’Ancien Régime et les nouveaux entrants sans certitudes sur leur avenir et leurs droits sociaux

* L’empilement de mesures fiscales dont la mise en place et le fonctionnement très aléatoire pèsent lourdement sur le budget national comme indirectement sur celui des contribuables

* Les élus, d’une moyenne d’âge de plus en plus élevée, devenus des fonctionnaires de la vie politique dont l’habilité consiste à tourner les lois ou à les ignorer pour s’assurer cumuls et avantages exorbitants

* La liberté d’expression « tranchée » par des mesures limitatives successives grâce auxquelles le politique entend s’assurer d’une vérité officielle avec le renfort de sentinelles de la doxa

* Le confinement de la démocratie à des espaces d’expression très réduits, les élections, dont l’abstention grandissante érode désormais toute légitimité * La crainte d’embaucher par les entreprises en amont du fait de la rigidité des contrats et en aval en raison des sanctions disproportionnées en cas de rupture de ceux-ci

Les remèdes : 

* Favoriser la création et l’innovation plutôt que sa taxation

* Procéder à un vaste chantier de la fiscalité pour s’assurer à la fois d’une visibilité à terme (sur le plan recettes comme sur le plan contributions) et d’une large acceptation par la population (qui loin de vilipender ceux qui s’exilent fiscalement en vient à les envier)

* Favoriser la transmission de patrimoine à la génération suivante et non sa confiscation par les autorités

* Supprimer autant que possible les corps intermédiaires qui parasitent l’information et la ralentissent en déployant les outils numériques qui créent un pont direct, bien que dématérialisé, entre les individus

* Réformer le système de formation afin qu’il bénéficie en priorité à ceux qui en ont besoin, à commencer par les jeunes afin de leur fournir une première expérience professionnelle reconnue ou à ceux qui souhaitent effectuer une reconversion

* Favoriser le transfert d’expérience au sein des administrations et des entreprises pour éviter que tout un patrimoine humain s’évapore par mauvaise gestion ou abandon (économie de la connaissance)

* Laisser plus d’autonomie de décision et d’imposition aux collectivités pour les activités dont la supervision et la réalisation sont plus judicieuses et effectives à leur niveau (principe de subsidiarité)

* Donner un réel pouvoir de sanction aux organismes de contrôle de la gestion du denier public

* Possibilité de déchoir en cours de mandat un élu par un vote de défiance citoyen

* Favoriser le dialogue direct dans les entreprises par consultation interne avec un quorum minimum pour validation des décisions stratégiques impactant le corps salarial

* Faire valoir l’intérêt général sur l’intérêt communautaire ; supprimer toute loi ou disposition légale visant à surprotéger une catégorie vis à vis d’une autre : la loi protège ou sanctionne les individus sur une base unique, la seule différence autorisée étant celle relative à l’atteinte portée au corps social en fonction du degré de responsabilité exercé par l’individu inculpé

* Libérer la liberté d’expression corsetée par plusieurs mesures scélérates sous couvert de protection de celle-ci et de pacification sociale

* Refonte du système électoral en limitant l’âge maximal du droit de vote de la même manière qu’il ne soit pas possible de voter avant une certaine limite, empêchant ainsi les anciennes générations de décider du futur des nouvelles ; abolition du système partisan qui empêche toute réforme pérenne et s’enferme dans un système de rente du mandat politique

* La consultation plus fréquente de la population (par voie référendaire)

* Favoriser la lettre en lieu et place du chiffre, la qualité plus que la quantité, lorsque cela est possible

* Abandon des quotas qui ne génèrent que complications et frustrations multiples

* Clarifier le rôle de l’école : la formation de futurs citoyens/sujets ou la préparation à un emploi ; privilégier les têtes bien faites plutôt que celles bien pleines

* Délivrer une filiation compréhensible du citoyen/sujet avec le passé de son territoire pour mieux en préparer l’avenir commun

Cyberstratégie Est-Ouest

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