Une BD peut ainsi nous en apprendre énormément sur notre histoire militaire. Certes, les éditions Delcourt se sont régulièrement signalé par la qualité de leur production. Et comme d’autres maisons, sur ce blog mentionnées, elle ouvre une série « historique », mais d’histoire sérieuse. Ainsi, cette collection « champs d’honneur » est scénarisée par Thierry Gloris de formation historienne.

Qu’apprend-on ? Tout d’abord, que Charles VII n’est pas le demi-fou qu’on nous a si souvent dépeint en contant l’épopée de Jeanne d’Arc. Dissimulateur, volontaire, déterminé, voici un roi qui a de la trempe, veut réunir son pays et est capable d’affirmer « La victoire finale appartient à celui qui réussit à imposer la paix ». Citation bien sûr apocryphe mais utile en ces temps où l’on s’interroge sur ce qu’est la victoire, je vous en parlerai quelque jour.

Ensuite, qu’il y a déjà une sorte de nation française qui s’oppose à la juxtaposition de régions, sur lesquelles les godons n’ont cessé de jouer : Armagnacs, Bourguignons, Bretons, Gascons. Charles VII tire profit d’un sentiment « national » (révélé par Jeanne ?) et l’on croit voir déjà Louis XI.

Enfin, le plus important : cette victoire est celle de l’artillerie. Alors qu’Azincourt fut la victoire des archers anglais, mettant bas la chevalerie française, voici la réponse du berger à la bergère : Les bouches à feu des frères Bureau permettent non seulement à Charles VII de reconquérir la Normandie en 1449 puis de reprendre le royaume en deux ans, elles jouent un rôle essentiel, en 1453, quand les Anglais font une ultime tentative de reprendre pied en Guyenne. Croyant assiéger les Français, ceux-ci les fixent puis les réduisent peu à peu jusqu’à ce qu’une ultime charge de cavalerie emporte la décision. Les nobles chevaliers croient avoir tout fait, continuant de mépriser ces hommes de peu que sont les servants de bouches à feu. Pourtant, à Castillon, ils viennent de remporter une des premières victoire de l’artillerie française.

Ils ne mettent pas seulement un terme à la guerre de cent ans (du moins sur le champ de bataille, puisque la paix de Picquigny n’est signée qu’en 1475), ils signent là une de ces révolutions militaires qui sont rares dans l’histoire: celle de la bascule d’un ordre militaire vers un autre. Castillon est la fin de la chevalerie, plus de cinquante ans avant Marignan où le roi de France se fit adouber chevalier : persistance du mythe mais inéluctabilité du changement. A Castillon, Henri six aurait pu dire, avec quelques siècles d’avance sur l’Allemand : « l’artillerie française, je la hais ».

Mais à l’époque, on n’a pas conscience de ce bouleversement, ni même d’avoir livré la dernière bataille de la guerre de cent ans. La faible réputation de Charles VII fit le reste et les historiens oublièrent Castillon, qui n’appartient pas au chant national, alors qu’elle y prétend amplement.

C’est tout le mérite de cette BD que de nous montrer tout cela : un solide dossier historique, un scénario agréable, des personnages avec du relief, des dessins attachants et convaincants. Bref, une belle réussite.

Le Chardon