Le AV-8B Harrier est un avion mythique. Pourquoi ? Tout simplement car il est le plus opérationnel de tous – et ils sont peu nombreux – les avions à décollage vertical jamais conçus. Même son successeur spirituel, l’ultramoderne F-35B, connaît toutes les difficultés à rassurer ses concepteurs… et acquéreurs.
Les STOVL (Short TakeOff/Vertical Landing), ou ADAV en français, aussi innovants soient-ils, restent une option originale que la France a choisi de ne pas valider. Elle en a pourtant exploré les possibilités il y a un demi-siècle déjà.
 
Peut-être avez vous déjà aperçu ces graphiques faisant l’inventaire des porte-aéronefs des marines de guerre du monde entier, où l’on découvre, avec étonnement parfois, que des nations comme l’Italie ou l’Espagne disposent ou disposaient encore récemment de « porte-avions ».
Encore faut-il aujourd’hui s’accorder sur ce qu’est vraiment un porte-avions. Pas de porte-avions au sens classique avec catapultage comme le Charles De Gaulle, mais des navires porte-aéronefs, plus proches de nos BPC de classe Mistral. Ces bâtiments sont équipés pour recevoir des hélicoptères bien sûr, mais aussi des avions de chasse d’un genre particulier, à décollage court ou vertical. Voici ci-dessous une vidéo toute récente de F-35B en phase d’essais à bord de l’USS America :
Quel intérêt stratégique ?
Après la seconde Guerre Mondiale vînt l’avènement des avions à réactions, une force de frappe aérienne sans commune mesure avec les flottes du passé. Mais des appareils soumis à des contraintes techniques ou logistiques plus importantes.
Très vite, on réfléchit donc à l’est comme à l’ouest à quelle solution adopter en cas de pistes inutilisables, après un bombardement par exemple. Et certains penchent donc pour le décollage vertical, ou court, également très adapté aux projections en mer.
Après une décennie d’innovations plus ou moins pertinentes (les soucoupes !), y compris en France, c’est ainsi que naquirent la famille américano-britannique des AV-8 Harrier, ou le Yak-38 soviétique.
Aussi, bien que peu à l’aise pour l’exercice du dogfight, ces appareils étant plutôt destinés à l’attaque au sol, les ADAV, grâce au phénomène de poussée vectorielle permis par leur(s) moteur(s) , peuvent néanmoins réaliser quelques manœuvres évasives inédites.
Problème, les ingénieurs ont très vite réalisé que ce choix avait des limites importantes: d’une part une consommation de carburant provoquant une diminution drastique de l’autonomie en vol des appareils (moitié moins qu’un chasseur classique, au minimum), et d’autre part une limitation de la charge utile, l’avion ne peut dépasser une certaine masse pour pouvoir décoller verticalement.
Ces deux paramètres qui les rendent justement toujours non viables à ce jour pour le marché du transport civil.
C’est pourquoi ces appareils sont très souvent utilisés avec décollage court et non vertical, afin de pouvoir emporter… de l’armement.
Par exemple, les premiers essais du F-35B destiné à l’USMC ont démontré que l’avion ne décollerait verticalement qu’en configuration « lisse », sans arme ou réservoir auxiliaire. Avec armement et réservoir, il a besoin du tremplin qui équipe la plupart des bâtiments porteurs, comme par exemple les futurs ponts d’envol des « portes-avions » britanniques HMS Queen Elisabeth et HMS Prince of Wales qui entreront en service autour de 2020.
Malgré ces handicaps, le modèle continue de rencontrer du succès. L’exemple flagrant est le choix regrettable des britanniques d’abandonner le F-35C (un F-35 navalisé « catapultable » qui équipera l’US Navy) au profit du F-35B sur ses deux portes-avions en construction… cela au prix de l’interopérabilité avec les marines françaises, ou même américaines donc. En conclusion, il semble que les avions à décollage vertical soient un choix de prédilection pour les pays mettant en place des forces expéditionnaires interarmes. Les deux exemples emblématiques, s’agissant du Harrier comme du F-35B, étant la Grande Bretagne donc, et les USA en ce qui concerne l’USMC (United States Marines Corps).
En France, deux avions oubliés: les Mirage III V et Balzac
Venons en à la France donc, où l’on développe historiquement des avions de chasse très performants.
C’est une histoire peu connue, mais la piste des ADAV fut étudiée par le gouvernement français qui lança au début de la décennie 1960 un programme expérimental, qu’il confia à… Marcel Dassault. L’idée était d’avoir un avion de « pénétration » éventuellement porteur d’armes nucléaires capable de décoller après une première attaque ennemie.
On travaillait déjà en France sur ce type d’appareil, avec plus ou moins de réussite, et des prototypes assez originaux comme l’ATAR Volant en 1955, ou le Coléoptère « Y ». Pendant ce temps, l’hélicoptère commençait à montrer l’étendue de son potentiel militaire, pendant la guerre d’Algérie notamment.
Très vite, l’avionneur français proposa en coopération avec Sud Aviation le Mirage III Balzac V, appareil équipé de turboréacteurs de sustentation, pour le décollage et l’atterrissage, et d’un turboréacteur classique pour le vol normal: 8 réacteurs Rolls-Royce RB.108 de 1 000 kgp, chacun placés verticalement dans le fuselage, et un réacteur de propulsion Bristol Siddeley Orpheus 3 de 2 200 kgp. Un second démonstrateur, plus lourd, plus « opérationnel », est très vite construit. Il s’agit du Le Mirage III V qui est lui doté de huit réacteurs de sustentation Rolls Royce RB 162-1 et d’un réacteur double flux Pratt & Whitney JTF 10 francisé Snecma TF 106 avec postcombustion (Sources techniques: Dassault Aviation).
Le premier vol stationnaire du Balzac fut effectué le 12 octobre 1962, et sa première transition vers le vol horizontal eut lieu le 18 mars 1963, lors du 17ème vol d’essai de l’appareil. Le 29 mars, il réalisait un cycle complet de décollage vertical, vol en palier puis atterrissage vertical. Malheureusement, l’appareil connaîtra un destin tragique, puisque le prototype de Mirage Balzac s’écrasera le 10 janvier 1964, lors de son 126e vol, tuant son pilote Jacques Pinier. L’avion, remis en état, s’écrasera une nouvelle fois le 8 septembre 1965. Un crash qui coûtera la vie du major Phillip E. Neale, de l’équipe de test de l’USAF venue évaluer l’engin. Le Mirage III V effectue lui son premier vol stationnaire le 12 février 1965, à Melun-Villaroche, alors piloté par René Bigand. Mais c’est le pilote Jean-Marie Saget qui réalisa la transition vol stationnaire/horizontal le 24 mars 1966.
Vînt alors la prouesse ! Alors que de son côté, l’OTAN avait renoncé officiellement en juin 1966 à son programme similaire, le Mirage III V atteint le 12 septembre la vitesse Mach 2,03 ! Un record inégalé que plus personne, F-35 compris, n’envisage d’aller chercher aujourd’hui. Destin funeste là encore, puisque le 28 novembre 1966 à Istres, l’appareil est accidentellement détruit lors d’essais en vol dérapé, ce qui provoque la clôture définitive du programme.
Finalement jugés par le Ministère de la Défense trop dangereux, chers, peu endurants… les ADAV français furent mis au placard dès 1966, alors que le Mirage III faisait lui le succès international de l’industrie aéronautique militaire française.A la fin des années 70, la question ne posa même pas lorsque l’aéronavale dévoila ses plans pour aborder le tournant du 21ème siècle. En remplacement des Crusaders, on envisagea toujours l’utilisation d’un bimoteur conventionnel (catapulté) et l’on pensa même au F-18 avant d’opter pour le Rafale Marine. Ces deux avions resteront cependant dans l’histoire de l’aéronautique pour avoir  été des pionniers de l’innovation. On retiendra notamment ici les premières commandes de vol électriques, l’utilisation de la télémétrie pour communiquer les données du vol en temps réel avec le sol…. et surtout, bien sûr, la détention du record de vitesse pour un ADAV, à Mach 2 ! Aujourd’hui vous pouvez tout de même admirer cet élégant prototype ci-dessous de Mirage III V, qui aurait pu marquer son époque, au Musée de l’air et de l’espace au Bourget.
Thomas Schumacher, Pax Aquitania.
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