La Russie médiévale, méconnue du grand public francophone, ne manque pas de hauts faits et de personnages passés au statut de légende dans les chroniques et contes. Parmi tant d’exemples, deux peuvent être cités pour leur importance dans l’Histoire Rus’ : Vseslav de Polotsk et Dovmont de Pskov.
Dovmont de Pskov
Tous deux surent lutter contre l’adversité avec des fortunes diverses, et marquèrent leur époque et l’avenir en asseyant l’indépendance des territoires leur étant assujettis.
I Vseslav, le Prince Sorcier
Vseslav de Polotsk (1039-1101) fut l’une de ces figures ayant marqué les esprits et désormais célébré sur les terres du Bélarus. À Polotsk comme il se doit, là où il régna et mourut, là où la gloire l’inscrivit sur les tablettes de l’Histoire et où la tradition populaire en fit un mythe national.
Ce souverain passa à la postérité sous bien des dénominations, Vseslav de Polotsk (ou de Kiev est-il parfois couché) étant la plus neutre. Mais il est aussi possible d’y trouver des références en tant que Vseslav le Sorcier ou le Prophète. Une manière de camper le personnage…
Noble ascendance pour une dure conquête du trône de Kiev
Vseslav pouvait se targuer de descendre de Vladimir Ier, Grand Prince de Kiev (958-1015), celui-là même qui baptisa la Rus’ et scella un rapprochement diplomatique avec l’Empire Byzantin. Une bien jolie carte de visite pour briguer un territoire plus vaste que celui de Polotsk qui lui échut par Rogneda (962-1002), sa grand-mère et épouse de Vladimir. Pour autant, la réclamation du titre de Grand Prince était entravée par de substantielles complications juridiques et militaires, d’autant qu’il n’était qu’un prétendant secondaire puisque Vladimir s’était par la suite remarié avec Anna Porphyrogeneta, fille de l’Empereur Byzantin. Laquelle dit-on, imposa le christianisme en lieu et place du paganisme comme préalable inconditionnel au mariage avec le souverain du nord. Toujours est-il que cette lignée plus récente pouvait légitimement et prioritairement s’arroger le droit de revêtir le titre princier au grand dam de Vseslav issue de la branche cadette et païenne.
De la politique d’attrition à la bataille sanglante
Mais l’homme n’était pas de nature à s’en laisser compter, et amorça une conquête vers le pouvoir, aidé des ressources de son apanage. Premier écueil d’importance : Yaroslav le Sage (978-1054) [1] avait engendré trois fils, Iziaslav Ier, Sviatoslav II et Vsevolod Ier qui n’entendirent aucunement se laisser spolier de leur droit.
Relativement avisé en matière militaire, et conscient que le fléau de la balance ne penchait pas en sa faveur, Vseslav renonça à s’emparer de la formidable forteresse qu’était Kiev à cette époque. Préférant laisser les trois fils de Yaroslav en son sein et ne point risquer d’assaut meurtrier susceptible d’être fatal à ses ambitions.
Il adopta dès lors une autre stratégie que le choc frontal : la coupure des lignes d’approvisionnement des forces lui étant hostile. Il accompagna ses troupes ravager les terres du nord et perturber conséquemment les voies marchandes, la fameuse route commerciale des Varèges aux Grecs. Pskov, Novogrudok et surtout l’opulente Novgorod n’échappant pas à sa stratégie. Il en profita même pour subtiliser les cloches de la cathédrale Sainte-Sophie de Veliky Novgorod pour leur offrir une nouvelle demeure en sa principauté de Polotsk. Laquelle occupait une superficie territoriale conséquente, correspondant grossièrement à la moitié nord de l’actuelle Bélarus avec quelques empiétements territoriaux sur la Lituanie et la Lettonie contemporaines.
Iziaslav Ier, l’aîné des trois fils, ne pouvait rester guère longtemps en position d’attentiste puisqu’au fil du temps s’amenuisaient les communications et ressources en provenance de la partie septentrionale du pays. Le point de non-retour fut atteint lorsque Mstislav II, son fils, prince de Novgorod, fut contraint de laisser derrière lui sa principauté, chassé par le souverain ambitieux de Polotsk. Iziaslav dut se résigner à manœuvrer et mobiliser l’ensemble des troupes dont disposait encore Kiev pour déserrer l’étau et obtenir rapidement une victoire décisive avant un épuisement irrémédiable des forces et des subsistances locales.
Celle-ci allait avoir lieu le 3 mars 1067, près de la rivière Nemiga après avoir au préalable brûlé Minsk alors sous dépendance du prince de Polotsk. Le Dit de la campagne d’Igor n’est pas très expansif à ce sujet, tout juste prend-on connaissance de deux éléments : la bataille fut âpre et sanglante, et Vseslav préféra retraiter en ses terres, actant ce qui aurait pu être apparenté à une défaite militaire si ce n’était l’état peu reluisant des troupes adverses qui, exsangues, s’abstinrent de le poursuivre et refluèrent vers Kiev.
De la trahison à la trahison
Vseslav rejoignit ses terres et eut comme réconfort de constater que les belligérants avaient décidé de ne pas tenter de passer en force sur ses terres. Était-ce la neige, un souci d’approvisionnement ou la terrible saignée qu’il infligea à ses ennemis qui les en dissuada, voire toutes ces raisons? Toujours est-il qu’il reçut en juin une demande de négociations à la limite des territoires en guerre avec promesse que rien ne serait intenté à son encontre. La rencontre devant se dérouler sur le Dniepr, non loin d’Orsha. Il soupesa la proposition et sans rien renier de ses ambitions initiales dut convenir qu’il lui fallait du temps pour recomposer une armée en état de marche et remettre sur pied les territoires dégradés. Aussi accepta-t-il la rencontre.
Bien mal lui en prit, aussitôt se rendit-il sous la tente censée célébrer la paix retrouvée qu’il fut capturé et emmené en détention à Kiev. Sans risquer davantage de morts, les princes de Kiev avaient mis la main sur le fauteur de troubles.
Son histoire toutefois n’allait pas s’en arrêter là…
Elle allait rebondir par suite d’une défaite militaire, paradoxalement celle de son vainqueur, sur les bords d’une autre rivière, l’Alta, en 1068 face aux Coumans (ou Kiptchaks). Tribu nomade belliqueuse installée sur le pourtour de la mer Noir jusqu’à la mer Caspienne au faîte de sa puissance. L’ampleur du désastre obligea le souverain de Kiev à haranguer la population en vue d’une défense face à l’ennemi tout en lui fournissant des armes après consultation du véché (assemblée populaire). Grossière erreur qui se retourna contre lui et l’obligea à quitter rapidement les lieux pour se réfugier en Pologne. Dans la foulée de la ferveur populaire, Vseslav fut couronné Grand Prince de Kiev avec pour objectif de repousser la menace Coumanne efficacement.
Le sort venait de remettre Vseslav de Polotsk sur pied, et même assis sur trône.
Retour à Polotsk et sécurisation de son règne
Il n’allait cependant guère profiter de sa nouvelle responsabilité tant inattendue en pareilles circonstances. Deux événements le privèrent après seulement une année d’exercice du titre suprême : d’une part Iziaslav Ier revint de en territoire kiévien à la tête d’une armée prêtée par le roi de Pologne, Boleslas II, par lequel il était lié dynastiquement [2] ; Sviatoslav II quant à lui remporta une bataille décisive l’année suivante de la débâcle face aux mêmes Coumans, annihilant de fait à Vseslav le soutien populaire qui lui avait permis de ravir le pouvoir. Pressé militairement à l’ouest par les troupes de Iziaslav et au sud par celles de Sviatoslav, tout en ne bénéficiant que d’un soutien populaire versatile, Vseslav prit la seule décision raisonnable qui lui était encore possible : retraiter en sa principauté pour y consolider ses positions.
La décision fut d’autant plus justifiée que pendant de longues années, le prince de Polotsk eut à lutter contre les tentatives de reconquête de son territoire par les fils et petit-fils de Yaroslav. Plusieurs expéditions militaires d’envergure furent engagées à son encontre mais aucune ne put le contraindre à quitter son fief, y compris lorsque l’habile Vladimir II Monomaque fut à la tête des opérations. Parallèlement et grâce à cette résistance sur la durée, il organisa et améliora le développement de ses terres. Offrant de facto à sa principauté une autonomie, si ce n’est une quasi-indépendance vis à vis du pouvoir Rus’ basé à Kiev. C’était là sa principale réussite : avoir prodigué à Polotsk pendant trois décennies une prospérité et sécurité qu’elle n’avait plus connu depuis trop longtemps. La cité lui dut notamment sa cathédrale, la troisième chronologiquement du monde Rus’ après Novgorod et Kiev ainsi que et surtout, un rayonnement intellectuel inégalé jusqu’alors pendant toute la durée de son règne. Une fois oubliées les chimères du trône de Kiev, l’administration de sa principauté sera, elle, couronnée de succès.
Les chroniques ne nous apprennent guère d’événements sur ce personnage jusqu’à son trépas le 24 avril 1101. Tandis que les byliny (contes populaires) s’emparèrent de sa légende pour en faire le Sorcier ou le Prophète au sein du Dit de la Campagne d’Igor [3] où il se serait transformé en faucon ou en loup (d’où l’allégorie présente sur la pièce commémorative frappée au Bélarus en 2005), et que sa destinée aurait été consacrée par un rite païen dès sa naissance. De nos jours il est considéré comme le premier chef de l’amorce d’un État Bélarus indépendant.
II Dovmont, Duc païen, Prince chrétien et terreur de l’Ordre Livonien
Postérieurement à cette première figure, un événement majeur allait survenir qui allait briser à jamais l’unité et encore plus les mentalités des Rus’, au point de créer une véritable césure entre Occident et Orient en ces terres.
La césure Mongole
En 1243, la Rus’ de Kiev n’était plus, brisée par l’incommensurable et impitoyable déferlante des hordes tataro-mongoles conduites par Batu Khan. Si ces dernières refluèrent d’Europe de l’Est, non sans avoir de nouveau démontré toute leur supériorité militaire en défaisant les armées polonaises puis hongroises, les Principautés Russes encore libres mais affaiblies par l’invasion demeuraient à la merci des appétits scandinaves comme germaniques. Les novgorodiens, qui s’étaient détachés de l’influence de Kiev au XIIème siècle, avaient transformé leur cité en une république marchande qui ne dédaignait pas pour autant le métier des armes en sus de son appétence pour le commerce. Pour autant elle ne fut pas seule à faire pièce aux ambitions hégémoniques étrangères : une autre République se dressa fièrement et victorieusement face à l’envahisseur avec un personnage de légende à sa tête : Dovmont de Pskov (1240-1299).
Désunion et invasion
De l’extensive, raffinée et opulente Rus’ de Kiev sous Iaroslav (978 – 1054), deux siècles plus tard il n’en restait outre le lien linguistique qu’une vague attache historique entre les différentes principautés ayant profité du relâchement du pouvoir central pour bénéficier d’une indépendance de fait [4]. En 1216 la terrible et fratricide bataille de Lipitsa fauchant l’élite guerrière de la Rus’ de Kiev aboutit à laisser le territoire sans réelle défense et unité. Les efforts courageux mais désordonnés de seigneurs locaux furent bien peu face à l’efficace et rodée machine de guerre Mongole lorsqu’elle déferla une première fois en 1223, dite bataille de la Kalka (située actuellement dans l’oblast’ de Donetsk, Ukraine). De cette cinglante défaite, et en dépit de la perte de nombreux nobles, aucune leçon ne fut retenue et lorsque la deuxième invasion eut lieu en 1237 elle ne trouva quasiment aucune résistance sérieuse sur sa route. N’allaient plus subsister que des territoires épars ayant échappé à la fureur mongole par versement d’un tribut et/ou de l’impraticabilité du terrain pour les tactiques de l’envahisseur. Nul répit n’était à attendre toutefois car fort avisées de cette nouvelle donne géopolitique, les forces de la région Baltique souhaitaient au contraire se tailler de nouvelles extensions territoriales à coups d’épées.
Forces en présence
Peu nombreuses mais très bien entraînées et galvanisées par la foi, les troupes croisées de la Baltique n’avaient pas hésité à faire couler le sang païen, qu’il fut prussien, finnois, estonien puis lituanien, avant de déborder de leur mission évangélisatrice initiale pour porter leur regard vers les riches terres de l’Est bien que chrétiennes [5].
Les Suédois et les Danois, peuples nordiques récemment convertis au christianisme, n’étaient pas les moins zélés et la geste d’un Valdemar II sur les rives estoniennes fut l’éclatante illustration de tout l’intérêt que trouvaient les puissances du Nord à convertir et coloniser cet espace riche d’ambre, de bois et de fourrures. Pourtant ils ne pouvaient rivaliser en efficacité comme en férocité avec une prélature toute droite venue de Jérusalem où la rigueur s’imposait dans tous les domaines, religieux bien entendu, mais aussi économique comme militaire : l’Ordre de la Maison de Sainte Marie des teutoniques plus communément appelé Ordre Teutonique.
Si les teutoniques s’implantèrent durablement en terre Baltique [6], ils n’étaient cependant pas les premiers moines guerriers à avoir manifesté une singulière volonté de « calmer » les réticences des locaux à la conversion. Ainsi l’Ordre Livonien, érigé en 1202 à l’initiative de l’évêque Albert de Buxhoeveden (fondateur de la ville de Riga) connut pour le moins un début très prometteur puisqu’il s’empara de domaines estoniens conséquents en à peine une vingtaine d’années. C’était faire fi de voisins autrement plus coriaces et organisés, frôlant la disparition pure et simple suite à une défaite retentissante contre ces lituaniens qu’ils méprisaient (et trop certainement sous-estimaient) lors de la bataille de Šiauliai en 1236. N’ayant guère d’alternatives à la suite de ce revers majeur, les chevaliers Porte-Glaive acceptèrent de se faire absorber par l’Ordre Teutonique qui non content de bénéficier de revenus financiers autrement plus conséquents [7] progressait inexorablement en s’accaparant de larges domaines.
L’Ordre Livonien réussit toutefois à conserver une certaine autonomie sur sa juridiction dans la mesure où tout acte devait en être référé à son suzerain direct, le Grand Maître de l’Ordre Teutonique.
Il allait cependant se retrouver en première ligne par la volonté tenace de leurs nouveaux protecteurs de reprendre pied en terre Russe.
Dovmont : Duc, paria puis Prince
Singulière destinée que ce Duc lituanien, proche du grand Roi Mindaugas avant de le trahir qui dut pour préserver sa vie trouver refuge à Pskov, ville alors sous dépendance directe de Novgorod. De son vrai nom Daumantas, ce noble possesseur en titre du fief de Nalšia prit fait et cause pour le neveu rebelle Traniota et acquiesça à l’assassinat de son suzerain. Mauvaise décision qui se retourna contre lui lorsque l’un des fils survivants de Mindaugas élimina (physiquement) l’usurpateur, obligeant Daumantas à fuir la contrée avec ses hommes les plus fidèles. Il devint l’hôte de la cité de Pskov en 1266 et mena dès le début pour le compte de cette dernière une expédition destinée à punir ses frères Lituaniens de récentes incursions sur le territoire pskovien. Le succès fut tel qu’il fut proclamé dès son retour Prince par la population, au grand dam de Novogorod qui exerçait une tutelle de droit sur la cité et ses dépendances immédiates.
Véritable émule d’Alexandre Nevsky, ce Prince de Novgorod qui arrêta une tentative d’invasion de ses terres par les suédois en 1240 puis une autre des teutoniques en 1242, Dovmont sut faire preuve de qualités militaires identiques pour préserver l’indépendance de sa nouvelle patrie. Anecdote singulière, après sa conversion au christianisme orthodoxe, il choisit comme épouse la fille de Dimitri Ier Vladimirski, fils aîné d’… Alexandre Nevsky !
Afin de prouver que son dernier fait d’armes ne relevait pas de la simple bonne fortune, le nouveau Prince réitéra une expédition plus ambitieuse avec l’apport de troupes novgorodiennes (Iaroslav, Prince de Novgorod s’étant opposé à cette aide pour punir Pskov de sa décision mais le vétché [8] en décida autrement et ne put que s’incliner devant la décision de celui-ci) en portant l’épée directement sur le territoire ennemi pour mieux le surprendre, ce dernier malgré sa récente défaite demeurant trop confiant en sa force et en la sécurité de ses positions. La campagne se termina par une conclusion encore plus heureuse que la précédente pour les pskoviens puisque la Lituanie remisa ses prétentions territoriales, cessant d’être une menace immédiate pour eux.
Un ennemi avait cependant décidé de bouger ses pions et de prendre possession de ce qu’il estimait lui être dû : les chevaliers Porte-Glaives avec leurs supplétifs estoniens et des renforts danois amorçaient une opération d’envergure…
La lutte jusqu’au dernier souffle
C’est en 1268 à Rakovor, en plein territoire estonien que fut décidée une action audacieuse mais nécessaire pour mettre fin au risque d’invasion qui avait été précédé par de très inquiétantes escarmouches. Les forces de Pskov et de Novgorod s’unirent une fois encore sous la férule de Dovmont, et derechef n’eurent pas à le regretter.
Les effectifs adverses étaient près de trois fois moins nombreux selon les chroniques mais bénéficiaient d’un sens de la discipline et d’une chevalerie supérieurs à celle des Russes. En outre, retenant les leçons de l’échec du Lac Peïpous, le Grand Maître Otto von Lutterberg opta pour une ruse susceptible d’emporter la victoire : il scinda ses chevaliers en deux corps, l’un censé bousculer et percer les lignes adverses par une charge frontale de puissante intensité et l’autre se tenant en embuscade pour prendre à revers l’ennemi et parer à tout retournement de situation comme en 1242.
Un plan judicieux qui omettait un seul détail : la contingence humaine.
L’affrontement se déroula comme prévu par le Grand Maître puisque l’armée Russe dut céder à la charge effrénée des chevaliers venus d’occident. Cependant, alors que le deuxième corps aurait dû s’activer pour écraser les forces ennemies disloquées, son commandant pensa à tort la bataille remportée et s’urgea de participer au pillage du camp russe délaissé ! Funeste erreur qui passait outre le talent de meneur d’hommes de Dovmont, lequel rassembla et réorganisa ses troupes pour provoquer un encerclement des chevaliers bloqués dans la nasse. Ses combattants payèrent cependant un lourd tribut quant à cette résistance, le maire de Novgorod, le posadnik (посадник), fut notamment tué au cours de celle-ci. Inexorablement, les forces coalisées russes reprirent le dessus et anéantirent l’ensemble de l’armée livonienne qui avait manqué cruellement de juste appréciation du déroulement de la bataille.
La victoire finale apporta près de trente années de paix sur la frontière occidentale des Principautés de Novgorod comme de Pskov, donnant une bonne idée des pertes et du choc subis par l’Ordre Livonien.
C’est au crépuscule de sa vie que Dovmont endossa une dernière fois le commandement d’une force armée. Et son ultime haut fait de gloire fut de briser la volonté de revanche des chevaliers Porte-Glaives qui en 1299 opérèrent une manœuvre surprise pour organiser un siège devant Pskov. Si la garde pskovienne mobilisée précipitamment réussit à retarder suffisamment les livoniens pour permettre aux habitants des alentours de se réfugier dans la citadelle, en revanche il était acquis que la cité allait devoir se préparer à un long siège vraisemblablement coûteux en vies [9]. Ce fut alors que le Prince au petit matin suivant saisit l’occasion unique de remporter une victoire éclair. Plus de trente ans après sa plus grande victoire, Dovmont n’avait rien perdu ni de son audace guerrière ni de son coup d’œil tactique : remarquant avec acuité que les ennemis avaient établi leur camp près de la rivière et qu’ils en étaient aux préparatifs de siège, il décida d’une sortie soudaine de toutes les forces stationnées au sein de la citadelle afin de renverser l’avantage de la surprise, lui même chargeant avec les siens.
Le soir venu, l’Ordre Livonien avait quitté les terres de Pskov, une nouvelle fois anéanti militairement et brisé moralement. Le peuple de Pskov n’eut guère de temps pour s’en réjouir puisqu’ayant certainement puisé dans ses dernières forces, son Prince s’éteignit deux mois après sa dernière geste. Il avait cependant laissé à sa principauté une indépendance de fait (qui ne fut reconnue en droit par Novgorod que lors du Traité de Bolotovo en 1348) ainsi qu’une prospérité lui permettant de continuer à entretenir une milice bien armée et respectée.
Le grand héros de Pskov fut canonisé par les autorités orthodoxes et son corps étendu au sein de la cathédrale de la Trinité. Dernier hommage légitime à celui qui réfugié avait tant apporté à la cité, et jusqu’à son dernier souffle de vie.
Remarquable tacticien comme stratège, Dovmont sut utiliser à merveille les lignes intérieures et l’exiguïté de l’espace du terrain d’affrontement pour retourner contre ses adversaires ce qui faisait leur force. Ainsi lors d’une escarmouche les autorités militaires livoniennes pensèrent-elles affaiblir le Prince de Pskov en l’attaquant simultanément sur plusieurs fronts, mais ce faisant et en plaçant Dovmont au centre du dispositif (puisqu’en étant l’objectif principal) elles lui offraient l’opportunité de procéder par de puissantes attaques en série contre chacune des formations rencontrées en profitant de l’avantage numérique. Revenant à chaque fois au milieu de l’espace pour choisir sa prochaine victime : en scindant leurs forces pour frapper simultanément les Croisés avaient adopté un plan qui les perdit. Le roi Frédéric II lors de la guerre de sept ans (1756 – 1763) allait expérimenter de nouveau avec succès ce concept et contrer un ennemi pourtant supérieur numériquement.
Durant l’été 2011, les habitants de la cité de Pskov eurent une heureuse surprise : l’épée légendaire de Dovmont repose désormais auprès de son maître à l’église de la Trinité après avoir été rendue par les autorités de Saint-Pétersbourg le jour anniversaire de la ville. Et de retrouver le bras de son maître qu’elle servit fidèlement…
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[1] Ce Grand-Prince de Kiev maria l’une de ses filles, Anna, au roi de France Henri Ier (1008-1060) qui lui donnera quatre enfants, dont Philippe Ier. Ses dates de vie et de mort sont sujettes à controverse historique. Elle passera à la postérité sous le vocable d’Anne (parfois Agnès) de Kiev et l’ouvrage en slavon d’Église, appelé aussi évangéliaire slave, qu’elle amena de sa contrée sera celui sur lequel les futurs monarques Francs prêteront serment jusqu’à la Révolution Française.
[2] Sa femme Gertruda (1025-1108) était princesse de Pologne.
[3] http://remacle.org/bloodwolf/historiens/anonyme/igor.htm
[4] Le même sort frappait le Saint Empire Romain Germanique qui se délitait inexorablement d’avoir plus consacré son énergie à lutter envers l’autorité Papale (avec l’excommunication retentissante d’Henri IV) puis les communes Italiennes, subissant les terribles défaites de Legnano (1176) et de Parma (1248), qu’à renforcer l’unité de tous les vassaux assujettis à l’Empereur. Délitement qui sera consacré par Frédéric II de Hohenstaufen (1194 – 1250) qui ne put qu’abdiquer et concéder nombre de privilèges aux évêques et nobles de son Empire par les Confoederatio cum principibus ecclesiasticis et Statutum in favorem principum.
[5] Le divorce entre les Églises catholique et orthodoxe ayant été consommé en l’an 1054 et perdurera malgré la tenue de deux conciles œcuméniques postérieurs à Lyon en 1274 puis à Florence en 1439. En 1204 le sac de Constantinople, qui conservait des liens commerciaux mais aussi cultuels très étroits avec la Rus’ de Kiev, n’améliora en rien la compréhension mutuelle des deux communautés.
[6] Pour une meilleure approche de cet épisode, veuillez vous reporter à l’article suivant : La Baltique, terre de croisade
[7] Les opérations militaires de l’Ordre sur le pourtour de la Baltique ne sauraient confiner leur présence à cette seule région : nombre de commanderies étaient disséminés en Europe, à Metz par exemple dont la Porte des Allemands est le témoignage de la proximité d’une commanderie locale. Lire à ce sujet le très bon ouvrage de Kristjan Toomaspoeg, Histoire des chevaliers Teutoniques, Flammarion, Paris, 2001.
[8] Le vétché (вече), que l’on peut désigner comme étant une assemblée populaire se réunissant au son des cloches. Ladite assemblée pouvant le cas échéant se muer en cour de justice pour les cas les plus graves devant être tranchés impérativement.
[9] Bien que Dovmont eut pris soin pendant les années précédentes d’ériger des fortifications au sein de la ville.
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