Il y a très longtemps dans un lointain pays habitaient les Lilliputiens, une peuplade très étrange. Elle était dotée d’une grande intelligence, d’un sens artistique développé, de capacités d’abstraction étonnante et, dit-on, de prodigieux savoirs tant scientifiques que philosophiques. Parée d’autant de talents et de savoirs, elle faisait également montre d’une grande cruauté et de violences en tous genres. Cette peuplade, composée de nombreuses tribus, se divisait en deux grandes castes : les leaders et les followers.
Les leaders, peu nombreux mais immensément riches et puissants, étaient d’un grand cynisme et se reconnaissaient par leurs tenues coûteuses et souvent excentriques, leurs véhicules richement décorés et leurs mœurs égotistes, souvent dissolus et généralement psychotiques. Les leaders, en dépit de leurs nombreuses déviances, possédaient cependant tous les pouvoirs notamment celui suprême de l’information. Grâce à lui et à ses variations (désinformation, manipulation de l’information, intoxication informationnelle, vol du patrimoine informationnel, etc.), les leaders possédaient l’étrange capacité de ramollir les cerveaux des followers, surtout celui de leur progéniture, qu’il fallait continuer de laisser dans l’ignorance et la bêtise la plus crasse. Des divertissements tous plus abrutissants les uns que les autres, entrecoupés de séries d’animation intégrant des images subliminales et des infra-sons, permettaient de modeler les cerveaux au point d’en faire littéralement du flan. Un mets par ailleurs très recherché lors des cérémonies [1] sacrificielles décennales.
Sous couvert de grandes avancées sociales et collectives, les leaders exploitaient sans vergogne et de toutes les manières possibles les followers. Ces derniers, l’écrasante majorité de la peuplade, semblaient tels de petits animaux dociles, préservés des grands enjeux de la peuplade. Seuls les plus brillants esprits des leaders, appelés les resolvers, pouvaient comprendre et traiter les grandes questions complexes du Monde. En réalité il n’était pas si sûr que les resolvers fussent plus intelligents que les autres mais les coutumes ancestrales associées aux pratiques manipulato-informationnelles en avaient fait force de loi. Parmi ces resolvers, certains plus que d’autres paraissaient conduire aux destinées de cette époque et de ce monde : sont restés dans la mémoire collective du Monde des noms comme Baruk l’Homme-Abat, Angèle La Merkeul, François Moiprésident, les Brittons [2], l’Abbé Shinzo, Jixi Ping et enfin Vlad le Slave aussi appelé Vlad le Grand.
Vlad le Slave débuta modestement sa vie d’adulte comme soldat puis comme espion, entièrement dévoué à sa tribu, comme l’avaient été avant lui ses ascendants notamment lors de la grande guerre contre la tribu maléfique des « Boches ». Moqué par sa hiérarchie, Vlad considéra qu’il n’avait pas eu la carrière de chef qu’il eut mérité. Un terrible événement, la « Chute du Mur de l’Ouest », survint cependant et eut pour conséquence de bouleverser les coutumes des Slaves et de balayer la chefferie qui conduisait aux destinées de la tribu depuis des décennies. Après une période de turbulences et de nombreux salamalecs en coulisse, Vlad fut nommé chef des Slaves par des petits seigneurs qui avaient imaginé qu’il leur servirait d’homme de paille. Pourtant, Vlad s’il se montra timide au début de son règne, montra très vite d’étonnantes qualités de chef de meute doté d’un très fort taux de testostérone. Ce fut notamment l’épisode dit des « Lieux d’aisance » [3] au cours du guerroyage contre l’une des tribus Slaves du sud qui affirma sa prise en main des différents rouages tribaux et amorça son prestige.
L’immense territoire des Slaves, riche de matières premières mais climatiquement extrême, n’avait jamais tenu les promesses qu’il recelait. La faute à une chefferie aveuglée par des rêves de grandeur et des logorrhées psychopathiques qui firent couler des tombereaux de sang. Vlad, lui, tout à son extrême dévouement pour sa tribu, se dit qu’il allait falloir se remonter les manches et enfin essayer de faire les choses dans le bon ordre. Ce qui lui pris des années afin d’arracher les mauvaises herbes qui étouffaient les plaines fertiles depuis des temps immémoriaux mais également de créer les fondements économiques et militaires adaptés au territoire et aux mœurs locales.
Durant ces longues années, les chefs des autres tribus se moquèrent du petit Vlad et de son peuple plus attiré par les fêtes et les multiples formes de corruption tribale. Le petit Vlad, devant tant de dérives, se mit en tête d’instaurer pour sa tribu la « dictature de la loi tribale ». En parallèle, une importante série de réformes tant économiques, militaires que sociales permit d’arrêter la spirale du déclin et de résister brillamment aux bâtons dans les roues que lui mirent les autres resolvers à la tête desquels Baruk l’Homme-Abat, de la tribu de l’Aigle impérial.
Vlad, pour autant, continua à se montrer déterminé et grâce à de nouvelles technologies de communication par signaux de fumée et pigeons voyageurs, réussit même à donner du fil à retordre aux autres tribus et même à gagner – par la ruse – un bout d’île sur le fleuve Uqren.
Enfin, c’est au cours d’une expédition contre plusieurs tribus mineures dans la zone de l’Aciérie que le petit Vlad prit le titre définitif de Vlad Le Grand. Alors que Baruk l’Homme-Abat menaçait le prince Bachar le Sanguinaire de ne pas franchir la « Ligne Rouge », une frontière naturelle entre plusieurs tribus, et que le roi Moiprésident préparait secrètement son armée mal équipée et aux rangs clairsemés à intervenir près de l’Aciérie, de gesticulations inutiles en rodomontades stériles, Vlad n’eut que faire et envoya ses fidèles Kosaks bouter les hordes barbares qui mettaient la zone à feu et à sang.
Presque au même moment, un nouveau roi succédait à Baruk à la tête de la tribu de l’Aigle impérial. Le roi Dumb, considéré comme un idiot par l’ensemble des autres rois à part Vlad le Grand, se montra en réalité roué et intelligent. Mais ceci est une autre histoire.
[1] Où les plus beaux spécimens de jeunes femelles et jeunes mâles followers étaient sélectionnées pour être placés au service des leaders tandis que les individus ayant le taux de flan-sucre le plus élevé étaient abattus selon un rite secret pour ensuite être dégustés au cours d’un extraordinaire banquet réservé aux resolvers et à la caste des monédors [2] En cette époque la tribu des Brittons était traversé par des luttes intestines et une certaine « tentation de Brexit » qui auraient vu des centaines d’individus allait se réfugier sur une île déserte [3] « S’il le faut, on ira occire les manants jusque dans les lieux d’aisance »]]>