Le Ministère de la Défense, via l’IRSEM, publiait cette semaine une étude d’une cinquantaine de pages sur « les blogs de défense en France ». L’état de l’art en quelque sorte, d’un domaine que l’institution a encore bien du mal à appréhender. Petit debrief.

Nous avons le plaisir d’accueillir sur ce billet les commentaires (en bleu dans le texte) de Loïc du blog Défens’Aéro

 

De prime abord, cette étude est à mon sens extrêmement bienvenue ! Une initiative heureuse alors que d’une part, il y a peu encore, certains « décideurs » fustigeaient le prétendue absence de débat stratégique dans notre pays (lire le billet « Esprit de défense es-tu là ? » publié sur ce blog le 14 juillet 2015), et que d’autre part, un grand mouvement de structuration de la recherche semble naître sous l’impulsion de plusieurs acteurs institutionnels ou associatifs (lien ci-dessous).

Une étude bienvenue également car elle récompense – ou plutôt consacre – d’une certaine façon le travail de toute une communauté, constituée de professionnels (journalistes, chercheurs, militaires…) et de passionnés.

Ainsi, l’auteur du rapport, le LCL Arnaud Planiol, chercheur en « Sociologie des forces armées »à l’IRSEM (Institut de Recherche Supérieur de l’Ecole Militaire), a travaillé avec une trentaine de blogueurs entre mars et octobre 2016 sur commande de la DICoD (le service de communication des armées) afin d’établir une véritable cartographie des blogs de défense en France.

Tentons donc d’en faire une brève revue. Avant toute chose, voici le lien où télécharger cette étude: en CLIQUANT ICI.
 
Un écosystème hétéroclite par nature

On remarquera en premier lieu les données très intéressantes que fournit cette étude, principalement issues d’un sondage mis à disposition des lecteurs sur une quinzaine de blogs, mais aussi via les témoignages de plusieurs acteurs. Les graphiques et statistiques en disent par exemple beaucoup sur le lectorat et ses habitudes.

[Aparté : alors oui Pax Aquitania n’en fait pas partie. Oui il y des oubliés « majeurs », des blogs très fréquentés – comprendre largement au dessus de la moyenne – dont les auteurs n’ont pas été consultés. Cela est dommage car quelques expériences auraient pu venir réfuter certaines conclusions de l’étude. Nous allons y revenir.

Mais si, comme le dit l’auteur, l’égo est un des moteurs du blogueur (!!), nous ne nous en offusquerons évidemment pas d’avantage ici. Place à l’analyse !]

L’étude enfonce quelques portes ouvertes, derrière lesquelles tout blogueur se retrouvera: oui un blog est une passion, oui un blog est extrêmement chronophage (cela se compte en milliers d’heures) et provoque parfois un sentiment « d’usure », et non un blog ne rend pas riche ! Particulièrement dans cette « niche » qu’est la défense. Comme on me l’a déjà dit: « Tu ferais mieux d’écrire sur le jardinage ! ».

Oui également, le blog est une forme d’autopublication, d’outil de promotion, et permet de se créer une certaine notoriété, ainsi qu’un réseau (note Défense’Aéro: sources et d’autres connaisseurs dans ce domaine, et parfois même des amis). C’est à ce dernier titre une activité très enrichissante.

Je ne peux bien sûr pas tout résumer ici (c’est pourquoi je vous invite activement à lire le papier) mais toute la question réside dans le fait de savoir si oui ou non, ces affirmations peuvent donner une image proche de la réalité. C’est selon moi peu probable, car comme le résume bien l’auteur dans l’introduction, « les pratiques d’un même format de publication sont tellement variées qu’il paraît illusoire de chercher à les cartographier ».

Pour reprendre mon expérience personnelle, le blog Pax Aquitania a été conçu à l’origine pour exploiter l’actualité défense très dense dans ma région. Pour se faire une place, il fallait trouver un créneau. Et même si la réforme territoriale m’a donné un petit coup de pouce en élargissant l’Aquitaine à des bases comme Cognac et ses drones MALE, ou Limoges avec ses usines RTD, c’est très naturellement que mes écrits se sont élargis à des thèmes bien plus globaux.

Pour résumer, étant basé à Bordeaux, l’actualité sur Pax Aquitania reste centrée sur le tissu militaro-industriel très riche de l’Aquitaine, quand les analyses que je publie – plus rarement car elles demandent plus d’investissement – toucheront elles à un spectre beaucoup plus large, allant des relations internationales au futur de l’armement, en passant par nos opérations extérieures.

Aussi, je ne saurais absolument pas dire quelle sera l’évolution du blog après 2017, tant cela dépendra de l’actualité, de ma vie personnelle et professionnelle, et surtout je dirais de mon évolution / ma maturation intellectuelle. Bref, le milieu des blogs est par définition mouvant et ne dépend que de la volonté des auteurs.

En ce qui me concerne, mon blog Defens’Aero a été conçu, à son origine, afin de proposer diverses actualités sur l’aviation militaire internationale aux abonnés d’une page Facebook qui se consacrait exclusivement à la publication de photos d’avions. Il a par la suite, petit à petit, bien évolué et j’ai pris mon propre chemin en créant une page Facebook associée au blog et son compte Twitter. Aujourd’hui, Defens’Aero c’est une moyenne de 100 000 pages vues par mois, d’une page FB en constante augmentation en terme d’abonnés avec des lecteurs toujours plus fidèles, des articles quotidiens, des reportages et des exclusivités grâce à des sources solides partout en France. J’espère pouvoir tenir ce blog le plus longtemps possible, mais il y a beaucoup d’à-côté : études en université, vie personnelle, etc… Actuellement, le blog me permet de nouer des connaissances dans le milieu journalistique puisque je souhaite en faire mon métier, et cela m’a permis et me permet de faire quelque piges (dont Air Fan et Airpower magazine).

Une frontière entre professionnels et amateurs qui se rétrécit

Le journalistes sont avant-tout des journalistes (une formation, un métier) et non des blogueurs. Seulement, le blog est devenu pour une grande partie d’entre eux une « nécessité professionnelle », l’opportunité de fidéliser un lectorat sur ces questions précises et de promouvoir leur travail (livre, passages télévisés, etc…), sans toutefois remettre en cause leur activité au sein des rédactions.

Selon l’étude, 3 blogs concentrent la majeure partie du lectorat: Opex 360 de Laurent Lagneau, La voie de l’épée du colonel Michel Goya, et Lignes de défense de Philippe Chapleau. Seul ce dernier est journaliste (il manque cependant dans l’étude Le Mamouth de Jean Marc Tanguy, qui doit aisément se classer dans le trio de tête national en terme de fréquentation).

Les réseaux sociaux semblent eux être devenus le terrain de jeu (de chasse ?) du blogueur amateur. Si Facebook permettra de toucher le très grand public, Twitter sera lui plutôt un milieu de connaisseurs. L’étude aborde aussi d’ailleurs le difficile et important travail de modération que doit effectuer le blogueur. Une activité loin d’être de tout repos !

Je retiendrai de cette étude le fait que l’auteur ne remette pas en cause la compétence des blogueurs, et j’y vois même un geste de confiance envers la communauté à l’heure de la post-vérité… Il y pousse même les communicants de la Défense à nous faire plus confiance et à se rapprocher de nous, et de ne plus nous voir comme des « gêneurs ».

D’ailleurs, même chose s’agissant des lecteurs, qui selon le sondage font largement confiance aux blogueurs: 38% « tout à fait confiance », 62% « plutôt confiance » (Lire la partie sur l’influence).

Attention donc, chaque auteur a désormais, après avoir pris connaissance de cette simple donnée, une responsabilité importante, et quantifiable. Il serait intéressant d’en débattre en parallèle de la crise de confiance qui touche les médias traditionnels.

En terme de consultations, cela devient flagrant. On en a mal pour le site du Ministère.

Quelle reconnaissance pour les blogueurs ? 

Venons en à la dernière partie du document qui aborde la prise en compte des blogs par le Ministère de la défense.

L’institution a visiblement, ne serait ce que par la réalisation de cette étude, la volonté de mieux appréhender le monde des blogueurs et indirectement de l’utiliser dans sa communication.

Passons sur la relation – « c’est compliqué » – entre les journalistes et le Mindef, pour regarder quelle est celle de ce dernier avec les blogs.

Là, l’auteur semble affirmer qu’il serait difficile voire impossible d’entretenir des relations avec les communicants du ministère sans détenir une carte de presse… ce qui n’est pas tout à fait vrai. Et même totalement faux en ce qui concerne Defens’Aero !

Extraits (cliquer pour agrandir):

Ou encore:

C’est ici que je regretterai de ne pas avoir pu participer, car je dois là justement affirmer le contraire: j’ai pu avoir des relations cordiales avec la majorité des services de communications de ma région comme le CFA ou l’Etat Major de Zone, ou, plus spécifiques avec les bases aériennes. Chaque fois, ce sont ces services qui m’ont contacté, invité, dans le cadre de campagnes et d’événements. On ne parle pas ici des opérations, ou de sujets sensibles… mais souvent de thèmes touchant au lien armées/nation. S’agissant des blessés de guerre par exemple, sujet traité régulièrement sur Pax Aquitania, ou des choses plus simples comme une exposition ou encore cet article la semaine dernière sur le recrutement de personnels à Cazaux, article qui a connu le jour même de sa publication une audience très convenable de 4000 lectures.

Au même titre que des organes de presse, je reçois des communiqués en provenance des armées. Libre à moi de les faire suivre, ou non. Mais dans la plupart des cas, je considère qu’il est de mon devoir de diffuser toute information pertinente auprès du grand public. C’était et cela restera un but majeur de ce blog.

Pour Defens’Aero, c’est aussi le même cas. J’ai personnellement toujours eu une très bonne entente professionnelle entre mon blog et les communicants au SIRPA Air, ainsi que ceux des bases aériennes ou de certains régiments de l’Armée de Terre. Contrairement à ce qui peut être lu dans l’étude, j’ai la chance de faire partie de listes de diffusion du Ministère de la Défense et je reçois, à ce titre, les communiqués de presse officiels, etc… Je ne compte plus le nombre de fois où, alors que le mail du voyage de presse demandait (parfois obligatoirement) une carte de presse, le SIRPA Air nous a autorisé à couvrir des exercices afin de faire des reportages pour nos lecteurs, ou encore lorsque ces mêmes communicants ont pris le temps de répondre (au téléphone ou par mail) à mes nombreuses questions.

Pour tout cela, nous remercions d’ailleurs les services précités pour leur confiance !
Un rendez-vous annuel des blogueurs de défense ?

L’auteur, faisant ce constat un peu pessimiste donc (cela dépend de quel point de vue), propose d’associer les blogueurs « amateurs » à toutes les communications du Ministère de la défense, carte de presse ou pas: « C’est en effet nier l’essence même des blogs qui permet à tout un chacun de se muer en pourvoyeur d’information ». Je salue initiative, mais il faut d’ores et déjà se préparer à quelques résistances, et non des moindres ! Peut-être de la part certains journalistes ? Tout comme les blogueurs non-journalistes devront garder bien à l’esprit qu’ils ne sont pas journalistes !

De plus, il est préconisé de concevoir les blogs comme « des relais d’opinion qui pourraient utilement contribuer au maintient du lien armées-nation, ou nation-armées… » Des actions facilitées dans la réserve font aussi partie des pistes. Mais hors de ce cadre-précis, le critère de l’indépendance demeurera évidemment primordiale.

Enfin, comment associer plus activement la communauté de blogueurs ? Je retiens cette idée d’un rendez-vous annuel chapeauté par le ministère:

Certes, chaque blogueur a sa personnalité, ses opinions, sa « ligne éditoriale »… mais l’idée d’une rencontre au niveau national s’avère séduisante. On le voit déjà sur la toile, les coopérations entre auteurs, que ce soit de façon « bilatérale » ou sur une plate-forme (Theatrum Belli, EchoRadar…), donnent en général de très beaux résultats.

Arrêtons nous ici (nous pourrions encore écrire des lignes et des lignes) en concluant simplement que si bien sûr le monde des blogs est très difficilement cartographiable, c’est avant tout la preuve d’une extrême richesse ! Il nous revient au sein de cette communauté de saluer cette étude de l’IRSEM, qui contribue en partie à faire connaître les blogs et leur(s) auteur(s) un peu mieux. Si nous n’irons pas jusqu’à qualifier ce véritable écosystème d’opaque, il est tout naturel, voire primordial, que nos lecteurs soient en mesure de bien appréhender leurs sources d’informations.

Thomas Schumacher, Pax Aquitania.

PS: encore un mot, le collègue de Mars Attaque conseille quelques blogs ces jours-ci !

 
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