Parler d’un livre qu’on vient d’écrire – sans tomber dans le panégyrique ou l’autocritique maoïste s’entend – relève toujours de la gageure, voire de la schizophrénie. Ainsi, je viens de commettre un ouvrage dont le titre dévoile grandement le contenu : Energie, ressources, technologies et enjeux de pouvoir. Il s’agit d’un aboutissement personnel évidemment, puisque l’objectif avoué était d’embrasser tous les grands enjeux de la géoéconomie de l’énergie. C’est bien là tout le défi et tout le problème. En effet aucun livre en français n’avait jusqu’ici pris en compte l’ensemble des aspects stratégiques que peut revêtir la question énergétique au plan international. Loin de ne se cantonner, comme c’est trop souvent le cas, à la géopolitique des ressources en hydrocarbures, l’énergie est un secteur vaste et, surtout, fondamental.
Même si toutes les problématiques internationales ne se ramènent pas à l’énergie – contrairement à ce que certains aimeraient croire –, l’énergie est très souvent au cœur des dynamiques et des confrontations. Le rapport fournisseur/client qui organise une certaine dépendance réciproque, entre les acteurs se révèle essentiel dans de nombreux cas. Russie-Europe, France-Arabie saoudite, Canada-Etats-Unis, Russie-Turquie, Chine-Asie centrale, etc., nombreuses sont les relations stratégiques fondées sur l’énergie. Le découpage de l’Arctique, les revendications en mer de Chine, les rivalités dans le Golfe persique, le statut de la mer Caspienne, sont autant de problématiques où l’énergie joue le rôle central.
Il faut ainsi le rappeler encore et toujours, l’énergie est le socle de tout système qu’il soit politique, économique ou militaire. Sans elle rien n’est possible. Les révolutions industrielles qui ont façonné notre monde contemporain ont avant tout été des révolutions énergétiques. La première – passage de la traction animale à la force de la vapeur issue de la combustion du charbon – et la seconde – passage du charbon au pétrole comme ressource dominante – ont été au cœur des XIXe et XXe siècle. Ce bref rappel permet de mettre à mal des théories bien trop répandues sur une prétendue troisième, quatrième ou même cinquième révolution industrielle. Tant que le pétrole dominera les mix énergétiques, nous serons bel et bien dans la seconde. Ce rôle fondamental de l’énergie dans tout système humain, fait de cette question la plus importante et donc la plus stratégique. La course aux ressources pétrolières de la planète a pour ainsi dire structuré une bonne partie des rapports de pouvoir du siècle passé, des découpages de la dépouille de l’Empire ottoman jusqu’aux tensions en mer de Chine.
Néanmoins la géoéconomie de l’énergie ne s’intéresse pas exclusivement aux ressources, car ces dernières ne sont qu’une partie du problème. Au fond il y a du pétrole, du gaz, du charbon et de l’uranium dans de nombreuses zones de la planète. Par contre peu d’entreprises et de pays maîtrisent les technologies clés que sont l’enrichissement de l’uranium, le raffinage du pétrole ou le transport du gaz naturel. La technologie qui devient prégnante avec le nucléaire et les énergies renouvelables, devient un nouveau levier de pouvoir où les positions dominantes ne sont pas toujours évidentes. A titre d’exemple, la Corée du Sud – concurrencée aujourd’hui par la Chine – est au centre du jeu gazier mondial du simple fait qu’elle soit le constructeur quasi-monopolistique de méthaniers de dernière génération. Comprendre la technologie et son pouvoir – égalisateur ou disruptif – fait également partie de l’appréhension des dynamiques internationales.
En outre, sans que l’on puisse en nier l’importance, la géographie demeure prégnante dans le jeu mondial. Le contrôle du transit des ressources qu’il soit naturel avec les détroits (Malacca, Bosphore), semi-naturel avec les canaux (Panama, Suez) ou totalement artificiel avec les réseaux de pipelines, est un impondérable de l’analyse des enjeux énergétiques. La problématique des guerres gazières russo-ukrainiennes et la volonté de Moscou de tout faire maintenant pour contourner l’Ukraine, nous rappellent que le pays de transit peut avoir un vrai pouvoir stratégique sur fournisseurs et consommateurs.
De nombreuses autres questions structurent le livre comme la place de l’énergie dans les sociétés actuelles, le rôle géoéconomique des normes et des marchés financiers ou le ballet des négociations climatiques. Même dans les enceintes feutrées de l’ONU, là où se joue l’avenir du climat, se joue également un jeu de pouvoir entre entreprises, Etats, organisations internationales et acteurs de la société civile. In fine ce sont ces relations quadripartites – dont l’analyse est l’un des cœurs de l’ouvrage – qui structurent l’ensemble de la réflexion proposée ici au lecteur. C’est à la sagacité de ce dernier qu’est laissé le fait de trancher s’il est pertinent d’aborder l’énergie comme un ensemble, avec une vision totalisante plus répandue dans le monde anglo-saxon que dans les cercles français. Energie, ressources, technologies et enjeux de pouvoir ambitionne en tout cas d’être une première brique en ce sens, avec peut-être d’autres à suivre.
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