Un récent voyage à Londres (fin 2016) a permis de recueillir auprès d’expatriés français chefs d’entreprise, quelques idées sur le Brexit. Les voici exposées. Pour une bonne compréhension de l’article, il ne faut pas oublier la date à laquelle ces propos ont été tenus.
Les raisons du Brexit (2016 – 2020)
Depuis le référendum, le peuple anglais a encore plus envie de quitter l’UE, car la démocratie est très ancrée dans le pays : la décision du peuple doit être respectée. Les Britanniques sont prêts à souffrir pour une cause même s’ils ne la partagent pas, ils l’ont d’ailleurs prouvé lors du Blitz où les Britanniques n’étaient initialement pas tous anti-Allemands.
L’Angleterre a toujours été réservée face à l’Europe, elle a d’ailleurs toujours combattu les alliances européennes au cours de son histoire. Nombre de ses hommes politiques ont toujours estimé que l’avenir du pays résidait dans le Commonwealth. De plus, la Grande-Bretagne a toujours vu l’Europe comme une création commerciale et non politique. Si elle a poussé à l’élargissement de l’UE, c’était pour faire des affaires et diminuer la dimension politique de l’UE.
Enfin, le parti conservateur a toujours eu un courant pro-européen et un courant anti-européen auquel appartient Theresa MAY. L’affrontement entre ces deux tendances a culminé lors du référendum, qui était d’ailleurs une des mesures du manifeste politique du parti conservateur.
Les clés de compréhension du Brexit
Tenu par le manifeste de son parti qui prévoyait l’organisation d’un référendum sur le Brexit, M. CAMERON a négocié trop vite avec l’UE, précipitant ainsi la tenue de cette consultation. Ce vote a révélé deux failles dans le peuple :
- une faille générationnelle, les plus jeunes étant favorables à l’Europe, alors que les plus anciens y restaient opposés ;
- une faille géographique, les grandes villes (essentiellement Londres) étant pro-européennes, les périphéries étant contre.
Un autre point particulier est de constater qu’une bonne part des « brexiteurs » était constituée de personnes non-européennes (membres du Commonwealth ou non) fraîchement naturalisées qui voulaient éviter que d’autres personnes, européennes en l’occurrence, viennent prendre leur place dans le Royaume-Uni.
Enfin, l’espace médiatique a été occupé par ceux dont les propositions n’étaient pas nécessairement les plus rationnelles, mais qui leur permettaient de faire parler de leurs idées. Or l’occupation de l’espace médiatique permet de mobiliser des électeurs.
La mise en œuvre du Brexit
La particularité de l’article 50 est que, s’il prévoit la sortie de l’UE, il ne propose aucune modalité d’exécution.
Il s’avère que 2 années seront probablement trop courtes pour négocier des accords commerciaux bilatéraux, d’autant que tous les experts en négociation commerciale ont été récupérés par l’UE dans la mesure où cette négociation est dans son domaine de compétences. Les équipes britanniques de négociateurs ne sont donc pas encore constituées.Une fois l’article 50 déclenché, il est fort probable que les 2 années prévues serviront à négocier une période transitoire, mais pas la sortie définitive. En outre, les pro « remain » ont été particulièrement maladroits depuis le référendum puisqu’ils ont demandé la tenue d’une seconde consultation populaire. Ils ont ainsi perdu du temps, ce qui leur a coûté leur éventuelle place au sein du gouvernement de Mme MAY. Les ministères clé sont ainsi tenus par M. FORBES (international trade) et M. DAVIS (exiting the EU).
Mme Theresa MAY est un cadre dirigeant conservateur souverainiste nationaliste et non libéral. Le premier ministre britannique a peu d’appétence pour l’industrie financière, mais souhaite une société plus équitable socialement.
M. Nick TIMOTHY est le très influent conseiller de Theresa MAY par lequel le parti conservateur accorde la priorité à l’agenda social : il est persuadé qu’au vu de l’état du parti travailliste dont la base est très à gauche, mais les élus beaucoup moins, le parti conservateur peut rester au pouvoir pendant les 50 prochaines années s’il parvient à réduire les inégalités sociales et territoriales.
Où en est la Grande-Bretagne ?
Au vu de la décision de la Haute Cour, il ne sera pas possible de déclencher l’article 50 sans l’avis du Parlement.
La question est de savoir comment les parlementaires voteront : se rangeront-ils à l’avis émis lors du référendum, ou suivront-ils l’avis de BURKE en 1774 qui estimait que les parlementaires doivent voter en conscience ? C’est un vrai problème pour le gouvernement qui risque de voir la mise en œuvre du Brexit retardée d’un an. En outre, le dépôt d’amendements au Parlement pourrait entraîner la mort du Brexit.
La solution de sortie pour Mme MAY serait alors de demander un vote sans amendement, la consultation des parlementaires n’ayant comme réponse possible que oui ou non. Il est aussi probable que la Cour Suprême, afin de ne pas mettre en danger la démocratie, ne demande qu’un vote dont la réponse soit oui ou non.
Que pourrait-il se passer (2017 – 2020) ?
Le lendemain du Brexit, alors que l’anglais est la langue d’usage de l’entreprise, tous les Français qu’elle emplois se sont mis à utiliser leur langue nationale pour parler entre eux… Un repli sur soi est perceptible, alors même que les Français ont fait prospérer la City. Depuis le résultat du référendum, l’immobilier premium a déjà chuté de 20 à 25 % à Londres. Selon de nombreux analystes, les fondamentaux économiques de la Grande-Bretagne sont ceux d’un pays émergent, et figurent parmi les plus faibles des pays de l’OCDE. L’économie britannique tient par les investissements étrangers via l’UE, mais la situation structurelle du pays est comparable à celle du Portugal. Le Portugal ne pouvant pas jouer sur sa devise, les impacts sérieux ont été ressentis immédiatement par la population. La baisse du pouvoir d’achat en Grande-Bretagne est actuellement indolore, car les Anglais gagnent autant d’argent en £. Pourtant, depuis le référendum, le pays s’appauvrit via le taux de change. De plus, les Anglais sont des traders, pas des investisseurs. Or Mme Theresa MAY souhaite créer une véritable classe moyenne qui n’existe pas vraiment en Grande-Bretagne.
Le système financier britannique ne devrait pas faire défaut, car le pays conserve l’arme de sa devise. Cependant, si la dette publique et la dette extérieure du Royaume-Uni s’accroissent, la seule solution sera une forte récession économique.
L’UE est une zone économique stable. Si ses fondamentaux politiques restent stables, l’UE restera à un bon niveau économique. L’Allemagne obtient satisfaction sur les questions économiques, car c’est elle qui stabilise la dette européenne.
Le problème de l’UE n’est plus l’économie mais la défense : le président TRUMP pourrait affaiblir de facto l’OTAN, la crise des réfugiés et le sort de la Syrie posent des problèmes de défense communautaire encore irrésolus.
La confiance est la clé de l’économie : le nord de l’Europe doit donc investir dans le sud pour que l’UE soit une zone monétaire stabilisée. Or actuellement les pays du nord investissent trop peu dans ceux du sud, faisant courir un véritable risque à l’UE. La médecine des démocraties est la technocratie, à savoir des personnes qui peuvent prendre des décisions sans ressentir de pression politique.
La City de Londres et son avenir
Historiquement, la City a été une des premières « villes » à accorder le droit de propriété à ses habitants. L’Angleterre est régie par un système qui a une visibilité : c’est un pays où le contrat fait droit, il y est donc facile de créer une entreprise sans que les autorités politiques la remettent en cause. Les marchés financiers fonctionnant à la psychologie, la stabilité est donc indispensable à leur bon développement. C’est ainsi qu’en 30 ans, depuis l’entrée de la Grande-Bretagne dans l’UE, la City a attiré environ un million de personnes bien formées qui ont aidé à son développement.
Les mesures de MM. Gordon BROWN et George OSBORNE ont cependant remis en cause cette stabilité juridique depuis 2005. En 1986, la City offrait 300 000 emplois liés à l’industrie financière. Elle en offre autant actuellement. Si on y ajoute les 50 000 de Canary Wharf et les 20 000 du West End, on arrive à 370 000, soit un gain peu important en 30 ans.
Dublin ne remplacera pas la City, car ce sont principalement les emplois les moins qualifiés qui y ont été délocalisés. Genève ne peut la remplacer car les expatriés n’y ont pas trouvé d’écoles pour leurs enfants. Paris a des atouts, notamment en termes d’infrastructures, son droit social est plus compétitif que celui de l’Allemagne, et son bassin d’emploi est de qualité (beaucoup de Français ont fait la City). Dans la perspective de la réalisation du Brexit, la capitale française a donc de forts atouts qu’il lui reste à utiliser au mieux pour devenir une place forte financière.
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