Le totem correspondant à 2% du PIB en matière de dépenses militaires inonde le débat public alors qu’il n’est que très rarement – si ce n’est jamais – bénéficiaire de la moindre tentative de définition. Pourtant, replacer cet objectif dans le cadre du « partage du fardeau au fossé transatlantique » (Olivier KEMPF, L’OTAN au XXIe siècle – La transformation d’un héritage, Paris, Éditions du Rocher, 2014 (2010), 614 pages ; voir le chapitre 12) est la condition sine qua non pour apprécier autant sa pertinence aux échelons de l’Alliance atlantique qu’au seul échelon national.

[caption id="attachment_3205" align="aligncenter" width="490"] © Le Figaro. Véronique Guillermard, « Dissuasion nucléaire : la France ne baisse pas la garde », 20 février 2015.[/caption]

C’est pourquoi – et dans la perspective de l’élection présidentielle de 2017 en France – il est impératif de souligner combien la définition ambiante des 2% ne correspond pas du tout à l’ambition otanienne et masque les graves difficultés financières à venir face à la modernisation de la dissuasion nucléaire et la « bosse budgétaire » jamais absorbée. 

La question du financement de l’effort militaire est l’un des premiers enjeux de l’Alliance Atlantique et son organisation intégrée (OTAN) à sa naissance en 1949. Les États-Unis d’Amérique, d’une part, participent au fardeau transatlantique qu’ils percevaient comme une « avance » (Kempf, p. 414) dans l’espoir que les Européens puissent prendre – seul – le relais. Le débat entre les Alliés de chaque côté de l’océan Atlantique dura pendant tout le conflit Est-Ouest (1947 – 1991) avec un Congrès américain considérant régulièrement, notamment par le vote de résolutions, que les membres européens de l’OTAN n’en faisaient pas assez tandis que ces derniers essayaient de prouver leur bonne foi et discuter la grille d’analyse financière américaine. Raison pour lesquelles Washington se déclarait favorable dans les années 1980 à un pilier européen dans l’Alliance afin de combler définitivement l’ « avance » (Kempf, p. 415).

Toutefois, dans les années 1970 et 1980, les Européens fournissaient « 95% des divisions, 90% des soldats et des pièces d’artillerie, 80% des chars et des chasseurs, 65% des navires de guerre » (Kempf, p. 415) pour l’effort commun en Europe. Ce qui relativise aussi la portée des critiques américaines.
Les débats financiers des années 1990, en réactions logiques aux grands bouleversements stratégiques, portaient des élargissements successifs de l’Alliance et donc des coûts engendrés et sur quel périmètre allait reposer ce partage mais aussi sur l’acquisition de nouvelles capacités propres et/ou partagées pour l’OTAN et ses membres, ce qui demandait, là aussi, des efforts financiers.
Il s’ensuit alors, entre la Deuxième Guerre du Golfe jusqu’aux attentats du 11 septembre 2001, un fossé des capacités entre les deux rives de l’océan Atlantique qui se transforme alors en fossé transatlantique. Les dépenses militaires américaines, après la parenthèse généralisée de la prise des « dividendes de la paix, bondissent de 3,4 (1995) à 3,9% du PIB rien qu’en 2003 tandis que les États membres de l’Alliance Atlantique stagnaient ou descendaient sous la barre des 2%.
Face à la menace du découplage – puisque les États-Unis dépensent plus dans l’OTAN que les gains militaires qu’ils peuvent espérer en retirer – les Alliés s’entendent alors au sommet de l’Alliance à Washington 1999 sur le nécessaire accroissement des capacités militaires européennes au sin de l’OTAN par le truchement du lancement d’une Initiative sur les Capacités de Défense (DCI ou Defence Capabilities Initiative). Le débat sur les capacités se poursuit jusqu’au sommet de Prague (2002) mais se dilue. 
C’est la Directive Politique Globale qui repositionne sur un certain équilibre entre les capacités à atteindre et les finances à partir du sommet de Riga (2006). C’est-à-dire que la PESD avec ses objectifs capacitaires est perçue comme une opportunité pour catalyser le développement de capacités expéditionnaires en Europe tout en contraignant les membres à des objectifs capacitaires plus vagues mais tout aussi engageant, sur le principe. 
Dans les politiques déclaratoires des membres de l’OTAN, l’objectif des 2% transparaît sans toutefois atteindre le papier des communiqués des sommets. C’est là la grande évolution enregistrée au sommet du Pays de Galles (2014 ou sommet de Newport) car il est bien écrit que les « Alliés qui se conforment actuellement à la directive OTAN recommandant un niveau minimum de dépenses de défense de 2 % du produit intérieur brut (PIB) chercheront à continuer de le faire. De même, les Alliés qui consacrent actuellement plus de 20 % de leur budget de défense aux équipements majeurs, y compris la recherche et développement y afférente, continueront de le faire. » Un objectif réaffirmé au sommet de Varsovie (2016)
Il existe, au moins, deux normes comptables dans l’OTAN afin d’apprécier les budgets des États membres entre eux :
  • norme V1 : inclut la totalité des crédits de la gendarmerie ;
  • norme V2 : ne prend en compte que 5 % des dépenses de la gendarmerie (stricte activité « militaire »).
  • Ces deux normes peuvent être exprimées avec ou sans les dépenses de pensions.
 Par rapport à l’objectif de dépenses énoncés et précisés (2014-2016), prenons l’exemple du budget de la Défense nationale en France pour l’année 2017 (sur la base du PIB 2015 à 2181,1 milliards d’euros) :
  • 42,95 milliards d’euros au total (soit 1,96% du PIB) ;
  • 40,5 milliards d’euros sans le budget Anciens combattants (1,85%)
  • 32,4 milliards d’euros sans les budget Anciens combattants et celui des pensions (1,48%)
  • 17,3 milliards d’euros dans les deux totaux pour le seul budget équipements (soit 39% du budget total (1,96%).
Eu égard aux discours de l’Alliance Atlantique et aux engagements contractés par ses membres (2006 – 2016) et à la norme OTAN V2 – la Gendarmerie nationale relevant désormais du ministère de l’Intérieur et donc de la LOPSI/LOPPSI 2 pour l’essentiel – il ne faudrait retenir que le budget sans les dépenses pour les Anciens combattants et les pensions, c’est-à-dire, en 2017, les 32,4 milliards d’euros (1,48% du PIB). Il va sans dire que le budget équipements répond bien assez au critère énoncé en 2014.
Par voie de conséquence, et dans la seule perspective otanienne, un puissant effort national est nécessaire afin de porter le budget de la Défense nationale de 1,48 à 2%. Sur les données de 2015 (PIB) et 2016 (vote de la loi de finances), l’effort demandé correspondrait alors à :
  • de 32,4 milliards d’euros (2017) ;
  • à 43,62 milliards d’euros (2022 ou 2025 ?) ;
  • c’est-à-dire un total avec les deux budgets retranchés de 54,17 milliards d’euros.
Le citoyen peut se faire rapidement une idée puisque la base actuelle sur laquelle devrait porter les débats – dans la perspective otanienne – est bien de 1,48% et non pas de 1,78 ou 1,85. Ces dernières bases sont-elles une manière de ne pas répondre à l’effort militaire demandé dans l’OTAN ? Remarquons que la France s’est librement contrainte à adopter cet objectif.
Avant de terminer, revenons à la question de la modernisation de la dissuasion nucléaire. Le remplacement des missiles ASMP-A (composante aéroportée (FAS et FANu) via le programme SN4G nécessiterait de 6 à 8 milliards d’euros selon les premières estimations. Le programme SN3G vise quant à lui au remplacement des Sous-marins Nucléaires Lanceur d’Engins de la classe Le Triomphant, soit quatre bateaux. Le coût du quatrième SNLE de cette dernière classe, le Terrible, était en 2010 de 2,5 milliards d’euros soit 2,7 milliards en euros de décembre 2016. En arrondissant arbitrairement à 3 milliards d’euros sur le jeu de l’inflation à l’orée des années 2030, il en coûterait 12 milliards d’euros (hors frais d’études).
D’où l’autre totem avancé dans la sphère médiatique : le budget annuel de la dissuasion va devoir être portée de 3,5 milliards d’euros à plus de 6 milliards d’euros. Les deux programmes précités ne sont que les aspects les plus visibles de cette nécessaire modernisation. Ce qui implique une augmentation obligatoire du budget de la Défense d’au moins 2,5 milliards d’euros en rythme annualisée afin de ne pas amputer d’autant le budget des forces conventionnelles.
Et il demeurait toujours en 2016 35,6 milliards d’euros de dépenses militaires engagées mais non-financées : la fameuse bosse budgétaire. Sans augmentation liée du budget de la Défense, cette bosse ne pourra reproduire que les mêmes effets : réduire les cibles, allonger les cadences de livraison et réduire le format des forces armées.

C’est pourquoi il paraît bien difficile de ne prétendre moderniser la dissuasion nucléaire, sans occulter l’existence persistante de la bosse budgétaire, en se fondant sur une autre base que le budget de la Défense nationale selon la norme OTAN V2 vis-à-vis des objectifs librement contractés par la France. Seul un budget aux environs de 43,62 milliards d’euros à atteindre en 2022 ou 2025 semble être une piste sérieuse pour répondre aux objectifs énoncés.

Le marquis de Seignelay

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