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Médecin du RAID - EchoЯadar

La lecture de Médecin du RAID1 est instructive. Non pas tant sur les aspects médicaux de l’affaire, même s’ils forment la trame principale du livre, mais pour tous les à-côtés de cette narration qui donnent un éclairage interne sur l’intervention du RAID au Bataclan.

Source

Nous aborderons successivement la chronologie de l’affaire, l’organisation de l’intervention (ainsi que ses précédents), ce qui semble être un antimilitarisme latent et regrettable, pour finir par le refus implicite de toute critique relative à l’action menée.

I Chronologie

Le premier point intéressant est la chronologie de l’affaire que présente l’auteur. Rappelons que des polémiques relatives aux délais d’intervention eurent lieu, vite tues par le ministre au motif que ceux qui critiquaient cette action n’étaient pas présents sur les lieux.

Rappelons au passage que c’est le lot commun des critiques, que de ne pas être présents sur les lieux. Combien critiquent avec un soupçon de mépris dans la voix Dien Bien Phu ou émettent un avis se voulant autorisé sur l’embuscade de la vallée d’Uzbin en Afghanistan ?

Ces délais auraient été trop longs selon certains, adaptés d’après ceux qui y étaient. Qu’en est-il exactement ou, plus précisément, à la lecture de l’ouvrage ?

La mise en ordre de l’ensemble des éléments du livre nous fournit la chronologie suivante :

  • 21h50 alerte pour rejoindre le stade de France.
  • 22h07 fin des tirs au Bataclan.
  • 22h40 arrivée de la BRI au Bataclan
  • 22h50 arrivée du RAID au Bataclan, sans savoir pourquoi il a été dérouté du stade vers le Bataclan, ni par qui, ni à quel moment.
  • 23h10 environ, arrivée des médecins dans la fosse où se trouvent des victimes (déduit de la p 54 qui mentionne un délai d’une heure entre la tuerie et l’arrivée des médecins).
  • 00h05 début de l’assaut.
  • 00h10 fin de l’assaut.

Il s’est donc passé 2 heures entre la fin des tirs et l’assaut, et 1h25 entre l’arrivée de la BRI sur place et l’assaut.

Nous apprenons également (p 170) que « la BRI a su prendre son temps », c’est le moins que l’on puisse dire…

Dès lors, chacun peut se faire sa propre idée. Cependant, un délai d’intervention d’1h25 pour une unité parisienne qui doit intervenir en plein Paris peut étonner.

II L’organisation de l’intervention et ses précédents

Quelques éléments nous indiquent comment les secours se sont organisés et, à gros traits, comment l’opération l’a été.

Il est tout d’abord étonnant qu’aucun élément relatif à l’alerte ne soit fourni au lecteur. Comment est-elle organisée, y a-t-il des tours de permanence, la lecture ne permet pas de s’en faire une idée, même imprécise.

S’il n’est aucunement question de critiquer le savoir-faire des équipes médicales engagées sur place, la lecture du livre montre que leur coordination était pour le moins perfectible. Personne n’ayant pris la peine de monter une chaîne cohérente d’évacuation des blessés, la coordination entre les différents médecins, brancardiers et autres a été défaillante. Ces éléments transparaissent du livre, puisque l’altercation entre le médecin du RAID et celui de la BSPP y est relatée.

On peut penser que, s’il est effectivement indispensable que des médecins portent immédiatement secours aux blessés, il serait non moins utile qu’un médecin organise les évacuations en précisant les lieux de « dépose » des blessés avant leur évacuation vers un hôpital.

Le même médecin pourrait également expliquer aux brancardiers improvisés leur rôle, ce qui éviterait le constat relaté p 49 où l’on s’aperçoit que personne n’avait expliqué aux brancardiers le principe de la noria ni comment l’exécuter.

Ce manque de coordination est, heureusement, mentionné p 174 dans l’énumération des points faibles. On peut donc espérer qu’à l’avenir, ce genre d’incident ne se reproduira pas.

Outre la question du PC sanitaire, on apprend également (et cela semble encore pire) qu’aucun PC tactique n’a été installé pour l’opération (p 104). Ce point est plus délicat, car si l’on a affaire à une opération complexe, il semble judicieux que le commandant des opérations dispose d’un endroit relativement au calme pour prendre les décisions qui s’imposent.

P 153, un nouveau couplet (car ce point est mentionné précédemment par l’auteur) est entonné sur le manque de logistique du RAID. Pourtant, commander c’est prévoir, et le précédent de l’affaire Merah, où le RAID avait campé devant son appartement plusieurs jours aurait pu servir de leçon. Il n’en a rien été, et les membres du RAID continuent de se déplacer sans logistique de soutien. « Être et durer » peut cependant s’avérer utile, et pas seulement dans la Coloniale…

P 61, la confusion dans la sortie des otages du Bataclan est estimée « normale », dans la mesure où ils étaient choqués. Si leur état de choc se comprend, une telle évacuation dans le plus grand des bobinards étonne. Comparaison n’est certes pas raison, mais l’évacuation des otages de l’Airbus à Marignane fut un peu moins bobinardesque, car le GIGN voulait s’assurer qu’aucun terroriste ne s’était caché dans les personnes évacuées. D’où leur regroupement imposé dès la sortie de l’avion. Vérité à Marignane, erreur à l’intérieur du périphérique ?

Au fil de la lecture, on apprend par un opportun flash-back, que lors de la traque des frères Kouachi, l’auteur du livre qui était déjà intégré dans la colonne du RAID, a été « oublié » à l’hôtel alors que le reste de la colonne faisait mouvement vers Dammartin en Goêle… Cela renforce l’idée d’amateurisme dans l’alerte et le contrôle des personnes.

III L’antimilitarisme

P 106 apparaît une opposition entre planification et action, comme si ces deux éléments étaient exclusifs l’un de l’autre : « les militaires tentent le plus souvent de planifier leur action, leurs assauts. (…) la police est moins dans l’action planifiée que dans la réaction. C’est sa force. » Mais c’est aussi sa faiblesse, s’il nous est permis de critiquer (au sens noble du terme) ses actions. En effet, une planification minimale permet de savoir comment se comporter lorsque l’action débute plutôt que d’avoir à improviser. En outre, cette affirmation peut laisser penser que le propre des armées est la planification, à l’exclusion de l’adaptation. Si l’on braque son regard vers les armées de l’oncle Sam, c’est peut-être vrai, mais l’auteur pourrait utilement se faire offrir une wonderbox « dolo » sous la forme d’un stage, aussi bref et intense soit-il, dans le paradis de la rusticité qu’incarnent les armées françaises…

P 113 sont moquées les épreuves pour obtenir un brevet militaire de parachutisme. On ne sait lequel, ce qui permet d’entretenir une confusion de mauvais aloi. C’est aussi mal comprendre que le parachute n’est qu’un moyen de transport et non une fin en soi. Donc la marche de 30 km critiquée après les sauts est utile lorsqu’il faut s’infiltrer ou s’exfiltrer. Il est vrai que ces questions sont rarement de mise dans les interventions policières, ce qui explique que la pratique du parachutisme peut différer entre la police et les armées.

La lutte entre la gendarmerie et la police est mentionnée p 169, faisant ainsi croire au lecteur que tout n’est qu’ordre et beauté, luxe calme et volupté dans le monde policier. À d’autres… L’intervention de Broussard pour tenter de rabibocher les patrons du RAID et de la BRI fut largement médiatisée. L’auteur serait-il amnésique ?

Enfin, p 183, une petite pique à destination des armées car « ce n’est pas la même chose d’user de l’explosif au fin fond de l’Afghanistan ou du Mali que d’y recourir en plein Paris. » Personne ne dit le contraire, mais ce n’est pas pour autant que les armées ne disposent pas de spécialistes « explo » capables de calculer précisément les charges nécessaires à différents types d’opérations.

Dénigrer les armées est un jeu facile, répandu et inoffensif en France. Pourtant, s’en inspirer peut s’avérer utile. Ce n’est pas la police qui a eu l’idée d’adjoindre un médecin à ses « troupes d’élite », puisque les armées en campagne se font accompagner depuis… un certain temps par des « toubibs ».

Utiliser le vocabulaire tactique pourrait être utile, car il a l’avantage d’être précis. Ainsi, neutraliser est un verbe qui se suffit à lui-même. Il ne peut y avoir de « neutralisation définitive », car neutraliser c’est mettre temporairement hors d’état de nuire.

Un vocabulaire commun permet une meilleure communication, n’en déplaise aux tortionnaires du vocabulaire.

IV Le refus des critiques

Enfin, le dernier point abordé, celui du refus des critiques, est vraisemblablement le plus problématique de tous ceux qui transparaissent de la lecture de l’ouvrage.

En effet, toute action, et a fortiori une action publique, doit pouvoir être critiquée. Il ne s’agit pas d’en dire du mal pour le plaisir de médire, mais de vérifier si elle a été menée conformément aux « règles de l’art », et à ce que chaque citoyen est en droit d’en attendre. Refuser toute critique revient à affirmer que l’excellence est son point fort et qu’elle ne nous quittera jamais.

Or, dès que la critique est évoquée par l’auteur, on sent qu’elle est refusée a priori. Ainsi, lorsqu’il parle de l’affaire Merah, il mentionne (p 139) « (…) le flot de critiques qui va nous salir dans quelques heures. » Oubliant ainsi que, si l’action est correctement menée, les critiques finissent par se taire, car elles n’ont plus lieu d’être. Par contre, leur persistance devrait amener à se poser de salutaires questions, quoi qu’en disent les anciens qui leur ont déclaré après la même affaire « vous ne ferez jamais taire les jaloux ni les aigris » (p 141). Affirmer ceci, c’est faire l’amalgame entre toute critique et les jaloux et les aigris, ce qui est le meilleur moyen de faire taire toute critique et de se complaire dans une excellence qu’on est le seul à reconnaître.

Cette critique des critiques est paradoxale, car l’auteur mentionne p 190 « les critiques nous pèsent alors qu’aucun de ceux qui nous les adressent n’aurait tenu sur le terrain ce soir-là » après avoir appelé de ses vœux (p 176) une critique similaire à ce qui a lieu aux USA : « les Américains (…) confient généralement l’analyse des faits à un universitaire indépendant qui n’est pas un acteur de terrain(…) Ce genre de mise à plat manque cruellement dans notre pays. »

Alors, que faut-il exactement ?

Une liberté de critique ou une liberté de louange, la critique étant réservée à quelques happy few ?

Réserver la critique à certains revient à stériliser le débat public et à se couper de remarques pertinentes.

Conclusion

Finalement, le livre se ferme sur une impression de malaise.

Malaise de voir une unité qui se veut d’élite ne pas supporter la critique, malaise de voir resurgir à nouveau le dénigrement des armées, malaise de voir qu’une unité qui cultive « l’humilité » se veut le centre du monde.

Ce qui aurait pu être un témoignage intéressant, tourne trop vite à un plaidoyer pro domo.

Si cela se comprend, cela n’en est pas moins regrettable.


1Par Matthieu Langlois, édition Albin Michel.

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