Le mercenariat celte, en particulier pour les monarchies grecques issues de l’éclatement de l’empire d’Alexandre le Grand et pour les Carthaginois, était une source de main-d’œuvre bon marché et qualifié, à laquelle tous les souverains des derniers siècles avant notre ère ont puisé. Mais voilà, cette troupe s’est attiré une réputation de « soudards », brutaux et indisciplinés. Allègrement déserteurs et trop portés sur la boisson, mauvais exécuteurs d’ordres, sanguinaires et cruels, les Celtes sont, dans la littérature antique, l’archétype du soldat au front épais, usant de la force brute, certes sans rouerie des Numides ou des Perses, mais sans aucune espèce de sophistication tactique ou stratégique. De ce fait, ils sont généralement placés en première ligne dans l’ordre de bataille, comme nous le rappellent les mises en place tactiques d’Hannibal, au sein desquelles ils servent de « fer de lance » chargé d’enfoncer les lignes ennemies. Voilà l’image de laquelle a souhaité se départir Luc Baray dans cette passionnante et minutieuse étude, utilisant avec maestria les données archéologiques et les sources antiques. Prenant appui sur les meilleures études classiques (Henri Hubert, Ferdinand Lot, Camille Jullian) et l’important courant d’auteurs contemporains ayant renouvelé les études celtiques (Jean-Louis Brunaux ou Venceslas Kruta, qui plus que tout autre a plaidé pour une étude globale du monde celte, bien au-delà du périmètre simplement « gaulois »), ou l’approche de la chose militaire antique (Yann Le Bohec, Giovanni Brizzi), notre auteur décape tous poncifs liés aux soldats « vacataires » issus du monde celtique. Des clichés véhiculés pour certains dès l’Antiquité, sans qu’il y ait de véritable critique des historiens grecs et romains, dont la morgue a trop souvent été prise pour argent comptant. Qu’en est-il réellement des médiocres qualités humaines attribuées aux barbares du Nord ? Déloyaux ? Que ne l’étaient-ils davantage que les autres mercenaires ? Cupides et pilleurs ? Leur solde reposait en partie sur ce moyen de rétribution. La responsabilité en incombe donc plutôt aux employeurs grecs et puniques. Sanguinaires et sacrilèges ? Les recherches les plus récentes sur la mythologie celtique montrent que les pratiques les plus choquantes pour les auteurs romains et grecs, comme la décapitation de l’ennemi puis la suspension de sa tête à des autels dédiés aux dieux celtes, prenaient place dans un rituel précis encadrant l’activité guerrière et la replaçant dans une cosmogonie plus générale. Luc Baray nous démontre ainsi qu’il y a derrière cette image convenue du Celte une volonté de le maintenir dans le registre de la barbarie. Une volonté totalement acceptée par les premiers historiens français et anglais du monde celte, pour des raisons derrière lesquelles l’idéologie pointe. Dans la France de la IIIe République, l’idée que la civilisation était romaine et avait été amenée sur le sol gaulois par Rome motiva la reprise des poncifs romains. En Angleterre, la répulsion éprouvée par l’élite pour les marges celtiques des îles britanniques conduisit certainement les savants à manquer de regard critique sur les auteurs antiques. Une question particulière concerne le commandement et la valeur stratégique de ces troupes. Hannibal, nous l’avons vu, aimait à les utiliser comme troupes de choc. Cela a pour longtemps scellé l’opinion sur leurs capacités à exécuter des ordres complexes. Cela est totalement battu en brèche par l’examen attentif des sources antiques, et en premier lieu de César. Celles-ci montrent parfaitement que les Celtes savaient manier l’art de l’embuscade et de la manœuvre sur les arrières avec grand talent. Leur description comme de simple « chaire à javelot » ne tient tout simplement pas. C’est le grand mérite de l’étude de Luc Baray de rétablir l’honneur perdu des soldats celtes. Cependant, nous souhaiterions exprimer une critique, modérée, de l’étude. Si celle-ci démonte un par un les clichés et reconstruit un portrait plus fidèle (bien que parfois fort lacunaire, en raison du manque de sources) de l’ensemble des aspects du mercenariat celte (recrutement, origine, solde, armement, logistique, commandement), un chapitre entièrement dédié à l’usage tactique et opérationnel de ces troupes d’appoint l’aurait conclu avec peut-être plus d’audace. Non que les mises au point stratégiques générales manquent à cet examen riche et minutieux. Nous apprenons en effet de forts intéressants détails sur la géopolitique méditerranéenne antique. Par exemple, l’examen des modalités du transport des troupes mercenaires amène à la conclusion que Carthage reposait trop sur sa flotte commerciale pour sa logistique militaire. Dépendante de la disponibilité des navires de transport civils, elle ne pouvait mobiliser d’un seul coup l’ensemble de ses capacités de transport théoriques dans les situations d’urgence, se plaçant dans des positions délicates. Lors de l’évacuation des troupes d’Hannibal d’Italie, par exemple, elle ne put dégager qu’à grand peine ses soldats, et notamment ses mercenaires celtes, de la péninsule et ne put se préparer à l’ultime bataille de Zama, qui mit fin son hégémonie en Méditerranée occidentale. Mais ces considérations stratégiques sont disséminées dans l’ensemble du texte et auraient pu constituer un chapitre final qui aurait, à n’en pas douter, élargi le lectorat de l’ouvrage. Il s’agit là peut-être d’un thème que M. Baray a réservé pour une prochaine étude, que nous lirons avec la même avidité. Son étude réussit en effet parfaitement les objectifs qu’il lui donne, à savoir tordre le cou au cliché de la furia galica et nous faire comprendre en quoi l’emploi et la sécurisation des troupes de mercenaires celtes représentaient un enjeu de première importance dans les relations internationales antiques. Valeureux et peu onéreux, abondants et dépourvus d’unité politique pouvant les rendre menaçants, les Celtes ont constitué un « accroissement de puissance » sans équivalent pour les unités politiques concurrentes de l’ère hellénistique. On comprend mieux, dans cette perspective, l’aubaine qu’a représentée pour Rome la conquête progressive de la Gaule. Non seulement elle accaparait cette source de puissance, mais surtout elle en privait définitivement ses concurrents. C’est à ce prix que l’Urbs s’assura de manière irréversible la maîtrise de l’Europe et se constitua en hegemôn méditerranéen pour les cinq siècles à venir.  

Antony Dabila

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