Le 25 janvier 2017, le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian a fait signer un pacte entre le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) et les Présidents d’Universités (CPU), afin de créer une alliance entre le monde de la Défense et le monde de la Recherche. Le Pacte Enseignement Supérieur et Défense (le PES) insiste sur la nécessaire intégration des sciences humaines et sociales (SHS) dans la conception des recherches et de l’innovation.

Ce geste capital devrait oxygéner toute la chaîne qui conduit à des plans de défense globale, car de la veille en passant par l’analyse et la stratégie pour des plans d’action, les SHS viendront enrichir tous les acteurs de la sécurité et de la défense et toutes leurs conceptions. Le but est de défendre aux mieux les patrimoines humain, matériel et informationnel.

Il s’agit d’un vrai défi qui promet de faire progresser l’éducation, la science et la morale citoyenne, tout en se parant d’une épaisse de couche d’éthique et de déontologie, si l’on admet que le principal enjeu de la défense est -entre-autres- social.

Petite adaptation de la conception de l’éducation

Progrès de l’éducation et de la science tout d’abord, ce défi oblige à admettre l’interdisciplinarité. Celle-ci fait l’objet de beaucoup de promotion mais n’est pas encore systématique dans le travail d’équipe. Pourquoi ? Parce que dès l’enfance et l’école maternelle, nul n’a encore pensé à proposer des programmes pédagogiques qui s’appuieraient sur le travail de groupe (pour développer la multiplicité des intelligences et des perceptions) et favoriser ainsi la première interdisciplinarité qui est celle de la variété des personnalités. Un peu plus tard, à l’école et à l’université, on pourrait imaginer que les notations pourraient être à 50% liées à un travail personnel, et à 50% liées à un travail de groupe. Progressivement, un autre type d’interdisciplinarité pourrait donc émerger, fondé cette fois-ci sur des travaux guidés par la spécialité de chacun.

Ce changement de vue pourrait favoriser à terme l’intégration de l’interdisciplinarité dans les entreprises, qui souffrent souvent de cloisonnement et dans lesquels le mérite revient souvent au premier de la classe, et non à la force collective d’une équipe.

Le PES aura aussi et très certainement des effets sur la morale citoyenne si l’on part du principe que toute la chaîne humaine est concernée dans un programme de défense (le collaboratif et la responsabilité de chacun se trouvent ici engagés), toutes les sciences sont invitées à fusionner, sans exception, pour que les stratégies et les actions de défense nous aident à protéger le plus efficacement possible nos patrimoines sensibles et stratégiques ; ceux dont finalement tout le monde est responsable puisque l’équilibre de tous repose sur leur sécurité dans la continuité.

Comment parvenir à la savoureuse promesse de progrès culturel de la défense en France ?

Les SHS ne se limitent pas au droit, à l’histoire ou à la géopolitique. Certes, ces sciences sont maintenant admises dans la Défense, mais le spectre est largement incomplet. Nous ne saurions pas choqués de voir des énarques, des X ou encore des ingénieurs, se former à la psychologie des ressources humaines, ni même à l’interculturalité. Cette vision existe déjà, l’intégration des SHS est en cours, mais des résistances subsistent.

Les chercheurs doivent prouver le pragmatisme de leurs recherches et de leurs applications aux spécialistes de la Défense. Ils doivent faire un effort de communication pour entrer dans le partage et la coopération efficaces et utiles. D’un autre côté, les experts en défense doivent garder leur esprit ouvert et faire confiance à ces sciences qui, d’une certaine façon, sont les seules à savoir que le rationnel des humains se trouve dans l’étude de leurs irrationalités, de leurs émotions, de leurs cultures, de leurs histoires.

Pourquoi est-ce absolument nécessaire ?

Les sciences humaines se sont construites sur les origines des sciences modernes : l’étude critique des conceptions, des idées et des images linguistiques. Elles essaient de remplacer les dogmes et les idéologies par des discussions critiques afin de créer un savoir de réflexion et d’orientation. Ce savoir permet à chacun de former sa propre opinion, la base de chaque ordre démocratique. Les sciences humaines se penchent sur les mondes perçus par les collectifs et la façon dont ils sont transmis par des symboles et des signes. Elles analysent la saisie, le classement, la compréhension et l’évaluation de ces mondes symboliques dans tous leurs aspects (…) »1.

Une étude suisse souligne que les fonctions de base des sciences humaines sont : préserver, interpréter, évaluer, anticiper et orienter afin de choisir des options. Ces actions valent pour les sciences sociales.

Parmi toutes celles qui peuvent nous aider à renforcer la robustesse de nos systèmes de défense, on retiendra : l’anthropologie et la sociologie qui étudient les mutations de l’humain en société, dans ses divers environnements et la façon dont ils conçoivent, respectent et protègent les patrimoines ; la médecine du corps, du psychisme et de la vie sociale des ressources humaines surexposées à de nouveaux types de risques d’insécurité ; mais aussi l’ergonomie pour l’étude de la prévention des “mauvais gestes” dans des contextes qui peuvent être stressants (très informatisés par exemple) ; l’anatomie et l’ostéopathie pour le préserver des maux susceptibles de lui faire commettre des erreurs techniques et mécaniques dommageables pour les actions de sécurisation des patrimoines ; la philosophie et l’éthique pour que tout ces processus reposent sur un socle de valeurs fortes, communes et dans l’intérêt de tous.

Le monde est pluriel. La problématique de valorisation et de protection est systémique et ne peut se passer d’un programme global de protection interdisciplinaire qui focalisera autant sur les sciences technologiques, que sociales et humaines.

Il faut prendre conscience de nos richesses

La France regorge de talents, de matières grises et de patrimoines en tous genres. Il est indispensable qu’une conscience s’éveille et que chacun réalise que nous faisons partie des plus grandes puissances mondiales, malgré la petitesse de notre territoire, si on le compare à d’autres puissances économiques et politiques mondiales. Nous avons su, tout au long des siècles, développer nos acquis, épanouir les sciences et notre culture. Notre rayonnement international le prouve. Tout ceci ne peut être établi sans l’humain et le social, aux commandes. La France est culturellement associée à la transgression qui fait progresser, puis à l’exploration et à la conquête qui font que l’on gagne et que l’on est fier. Porté par l’élan collectif, c’est une force, de celle qui fait que notre culture reste ouverte tout en se protégeant. Cette idée ne peut être développée sans les SHS qui étudient les grands mouvements de notre société et le développement de l’humain dans les environnements qu’il créé et qu’il façonne avec le désir d’évoluer. La défense, présente dans toutes les organisations humaines doit s’enrichir de ces sciences, pour évoluer en harmonie avec les grands changements planétaires.

La défense est le défi du 21ème siècle.

L’innovation et la recherche n’ont jamais été aussi prolifiques et doivent servir aussi bien le civil, que la défense car désormais, ils sont liés. Les SHS se présentent comme de nouveaux faisceaux d’analyses et de nouvelles forces vives, qui permettront à notre espèce de s’adapter aux mutations rapides de notre planète, à ses fonctionnements mondialisés et numérisés, qui obligent à repenser la place de l’humanité dans l’univers si l’on pense aux dernières découvertes spatiales.

Dr. Isabelle Tisserand, anthropologue

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