Toute culture est constituée de référentiels. Il existe des cultures traditionnelles souvent implantées dans des lieux géographiques, pratiques pour le développement des sociétés, et mythiques, car un signe ou un événement désigne ce lieu comme étant propice à l’installation des sociétés. Il existe également des sociétés artificielles qui se constituent pour répondre à des besoins le plus souvent économiques et scientifiques comme les plateformes pétrolières, les sous-marins, les environnements hyper-informatisés et les vols habités.

Quelle que soit la nature de ces sociétés, il est nécessaire d’appliquer des principes d’observation qui induisent  à la fois un devoir d’objectivité (on regarde, on enregistre, mais on ne juge pas et on ne transfert pas nos propres référentiels culturels sur l’Autre) et un devoir d’exhaustivité (il ne faut négliger aucun détail). Le plus souvent, le travail d’observation nécessite que l’on se déplace sur le terrain lorsque cela est possible et que l’on partage la vie et les mœurs des populations que l’on analyse.

1. Méthode d’étude des cultures

L’étude porte sur l’habitat, la langue parlée, les technologies développées, les techniques du corps, la médecine, les techniques d’usages généraux, les outils, les instruments, les machines. On s’intéresse également aux arts développés par la société choisie, à ses modes de sécurité et de défense, à son alimentation et à ses façons de se la procurer, aux vêtements que portent ses individus, à leurs habitations, à leurs transports, etc. La démographie, l’esthétique, l’économie et le droit, les religions, la mythologie, les croyances, les sciences et les échanges nationaux et internationaux font également partie des objets étudiés.

Voici là une description technique et académique qui nous permet de concevoir qu’une culture est aussi un stock d’informations.

Cette méthode, appliquée par le tout premier ethnologue et anthropologue, le frère Bernardino de Sahagun (1499-1590), a fait ses preuves à travers une compilation qu’il a intitulée « Histoire générale des choses de la Nouvelle-Espagne » qui n’est autre que le Mexique où il étudiera toutes les tribus qu’il y rencontrera.

450 ans plus tard, on se demande ce que ce Franciscain aurait pensé d’une conversation saisie à travers le temps, qui évoquerait une possible création de culture spatiale déjà en cours de formation, mais revue à la lueur de la mondialisation et de nouveaux besoins stratégiques dans les sociétés humaines.

2. Espace et culture spatiale

Nous sommes en 2015 et je m’entretiens avec Jean-François Clervoy, astronaute, grand communicant, passionné et pédagogue qui a l’art de vous faire aimer l’espace, puis avec Philippe Boissat qui a l’art de vous faire aimer les satellites et nous devisons sur l’élitisme liée à la culture spatiale, réservée à quelques cerveaux éclairés tandis que nous voyons poindre de nouveaux enjeux stratégiques.

Lors d’une conférence donnée à l’ISEG, sous l’impulsion de Viviane du Castel, une spécialiste en intelligence économique, Jean-François Clervoy vient de donner une conférence sur le monde du spatial puis clôt son intervention par cette fameuse phrase « ceux d’entre vous qui sont prêts à partir dans l’espace, levez la main ! ». Tous les étudiants lèvent la main et nous comprenons alors que quelque chose d’important est en train de se jouer. Ils n’ont pas peur, ils veulent comprendre et s’emparer de cet espoir spatial.

A cette même époque, nous apprenons que des élèves choisissent l’espace comme thème de diplôme de fin d’étude aux Beaux-Arts et que des artistes s’emparent de ce beau sujet. Il faut donc parler de l’espace, partager et communiquer encore plus afin d’intégrer les référentiels qui lui sont associés dans la culture terrienne de tous les jours. Nous expérimentons les buzz avec Twitter puis LinkedIn . Un travail qui nécessite beaucoup de discipline car le challenge est de partager chaque jour tous les événements intéressants qui nous ramènent au domaine du spatial : des images, des sons, des interviews, des résultats d’expériences physiques, chimiques, biologiques, industrielles, architecturales, des nouvelles relatives aux développements technologiques ou encore les apparitions des charismatiques Jeff Bezos, Elon Musk et bien d’autres, qui se disent prêts à financer des projets d’envergure colossale (projet Mars). Très rapidement, parce que nous cherchons les informations spatiales qui concernent des activités de pays moins visibles (l’Inde, le Mexique ou des pays africains par exemple), nous nous rendons à l’évidence : le thème passionne, il passionne partout et surtout la jeune génération. Les « Tweets » et les « Likes » se multiplient chaque jour.

Le voyage de Thomas Pesquet achève de convaincre que le lien entre la Terre et l’Espace est bien là et que désormais, tout ce qui se passe en haut nous intéresse chaque jour… en bas.

Thomas Pesquet renforce l’émergence d’une culture spatiale mondiale en voie de démocratisation en utilisant chaque jour des outils de communication, en dialoguant avec les jeunes et les moins jeunes. A tel point que la distance qui sépare les Terriens de l’équipage de la station spatiale internationale (ISS) se fait de plus en plus fine.

Nous poussons l’expérience plus loin en créant des liens et des correspondances entre le monde de la Marine nationale et celui de l’espace1, grâce aux problématiques de cybersécurité et de cyberdéfense qui mobilisent le monde entier. Tous sont connectés, tous vivent leurs expériences en environnements confinés et hostiles et ont des choses à partager en matière de protection de leurs projets. Philippe Boissat, convaincu de l’importance du sujet, président de 3i3s2, pense depuis un certain temps à créer le département de cybersécurité satellitaire et spatiale qui verra le jour début 20173.

Si la conquête spatiale a débuté à peu près objectivement pour certains historiens en 1898 avec Constantin Tsiolkovski qui avait proposé d’explorer l’espace avec des fusées4, la culture spatiale est désormais bien ancrée dans notre quotidien.

Cette culture spatiale qui s’épanouit pour notre plus grand bien est porteuse d’espoir, de rencontres interdisciplinaires et d’évolutions multiples. Nous sommes nombreux à penser que plusieurs facteurs attestent de la nécessité de nous projeter dans le spatial et d’espérer que de futures générations puissent y vivre un jour : le désir et le besoin d’exploration sont profondément ancrés dans notre ADN, la Terre n’est pas à l’abri de chocs de grande ampleur, d’un surpeuplement qui obligera l’humanité à assurer son plan de continuité ailleurs que dans « son berceau », de nouvelles ressources spatiales peuvent être explorées (astéroïdes), sur terre les développements technologiques ne connaissent pas de fin, tout comme notre humanité qui n’a cessé de conquérir de nouveaux territoires et de s’implanter partout où elle l’a voulu, pour se reproduire.

Tout cela est en train de s’écrire. La culture spatiale a un petit peu plus de cent ans d’âge, mais l’humain n’a jamais cessé d’observer le ciel et les étoiles en cherchant parfois à y deviner son avenir.

Pour aller plus loin sur ce sujet : Astronaute, un métier d’avenir? Podcast de France Culture

Dr Isabelle Tisserand, anthropologue, vice-présidente du département de cybersécurité satellitaire et spatiale de 3i3s

Les vues et les opinions exprimées dans cet article sont celles de leur auteur et ne reflètent pas nécessairement les vues ou les opinions d’EchoRadar.

1 Dr Isabelle Tisserand, European files : https://www.europeanfiles.eu/magazine/cybercrime-cybersecurity-cyberdefence-in-europe, 2016.

Dr Isabelle Tisserand, « Spatial and medical anthropology of human resources: fundamental  elements of cyberdefense in space missions », International Astronautical Congress, Guadalajara, 2016. Dr Isabelle Tisserand, « The concept of « Moon Village »: human and social sciences for the risks prevention », International Astronautical Congress, Adelaïde, 2017.
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