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Cultures stratégiques différentes durant l'antiquité ? Lire Thucydide et Tite-Live. - EchoЯadar

L’Antiquité marque les débuts de l’histoire pour de nombreuses civilisations. Elle reste le creuset des fondements des pensées stratégiques et tactiques actuelles. Cette période est riche dans ces domaines parce qu’elle est déjà variée dans les domaines politiques et culturels. Cette longue liste renvoie à des peuples, européens ou non, aussi variés que les Achéens, les Alamans, les Celtes, les Aztèques, les Bataves, les Carthaginois, les Egyptiens, les Etrusques, les Romains, les Francs, les Hébreux, les Huns, les Hittites, les Minoens, les Mongols, les Nazcas, les Peuls, les Phéniciens, les Sarmates ou les Wisigoths…

De cette diversité de peuples, nomades ou sédentaires, empires ou républiques, ne nous laissent parfois que quelques pensées sous forme de quelques rares livres. Celles qui ont le plus influencé notre manière d’envisager la stratégie sont grecques et romaines. Je vous propose aujourd’hui de redécouvrir quelques exemples tirés de deux grands affrontements : la guerre du Péloponnèse et la 2ème guerre punique.

1/ Athènes contre Sparte

Thucydide nous offre par ses récits historiques une vision très précise de la Guerre du Péloponnèse, de la manière de combattre et celle de mener la conduite politique de la guerre par la ligue du Péloponnèse sous l’égide de Sparte, ou la ligue de Délos dominée par Athènes. Le récit de la bataille navale de Sybota, depuis ses préparatifs aux combats, éclaire le sens politique apporté à la guerre, à l’instar de la narration de la bataille de Naupacte ou du discours de Périclès aux Athéniens. Ce dernier vise à mobiliser moralement une population dont le pouvoir et la richesse sont grandement fondés sur la mer (thalassocratie) et le commerce.

« Athéniens, mon opinion n’a pas changé : nous ne devons pas céder aux Péloponnésiens. L’ardeur avec laquelle on se détermine à la guerre ne persiste pas, je le sais, quand il faut agir; et les pensées des hommes tournent au gré des événements.  […]

« Voilà ce qu’il est juste de répondre, ce qui en même temps convient à la dignité de cette ville. Sachons, d’ailleurs, que la guerre est inévitable ; que si nous l’entreprenons volontairement, nos adversaires pèseront sur nous avec moins de force, enfin que des plus grands dangers naissent, pour les États et les particuliers, les plus grands honneurs. Ainsi nos pères se sont levés contre les Mèdes; ils n’avaient point, en marchant à l’ennemi, nos immenses ressources ; ils abandonnaient tout ce qu’ils possédaient; et pourtant, par la sagesse de leurs desseins bien plus que par les faveurs de la fortune, avec une ardeur supérieure à leurs forces, ils ont repoussé les barbares et sont parvenus à ce haut degré de puissance. Ne restons pas au-dessous d’eux ; mais luttons de toutes nos forces contre l’ennemi, et efforçons-nous de transmettre intacte cette puissance a nos descendants. »

Cette préparation morale à une guerre totale n’est pas sans faire penser à certains discours de Winston Churchill durant la Seconde guerre mondiale. Deux modèles politiques, économiques et sociaux s’affrontent dans cette guerre grecque tout comme plus tard dans la lutte des démocraties contre l’Axe.

Enée de Stymphale, dit le tacticien, auteur grec du IVe siècle avant JC, dont nous savons peu de chose nous a fait parvenir via des traités des éléments de réflexion sur la poliorcétique (nom de son ouvrage) antique. Vivant à une période postérieure à la guerre du Péloponnèse, son œuvre complète la lecture des écrits de Thucydide. Il nous apprend par exemple qu’en cas d’attaque du rempart par les ennemis avec des machines de guerre ou des corps de troupe, il faut diviser en trois sections les défenseurs de la ville, de façon que l’une combatte, qu’une autre se repose et qu’une troisième s’apprête, été ainsi qu’il y ait sans cesse des troupes fraîches sur le rempart.

Ce principe a été repris à de nombreuses reprises dans l’histoire avec succès pour des combats dans la durée sur une fortification. Le système français de rotation des troupes durant la Première guerre mondiale, dans la phase statique de combat dans les tranchées reprend ce principe à une autre échelle, dans un autre contexte.

Les Grecs ont fourni des penseurs de premier rang à la pensée stratégique ou tactique. On aurait pu aussi citer Xénophon et de nombreux autres auteurs. Leurs écrits sont intéressants en ce qu’ils lient actions militaire, économique, diplomatique et politique. Ils reflètent leur temps et  nous éclairent également.

2/ Carthage contre Rome

Tite-Live dans ses écrits sur l’histoire de Rome nous livre des récits précis et instructifs sur la politique, la diplomatie, les combats de Rome depuis sa création jusqu’à la fin de la République. Lors de la 2ème guerre punique, les batailles de la Trébie, de Trasimène et de Cannes nous en disent plus, à titre d’exemples, sur cette campagne.

Dans la bataille de la Trébie (dec 218 av JC), courte mais édifiante, Hannibal a exploité au mieux le renseignement (espions gaulois), le terrain (choix du lieu de la bataille), la météo (temps froid), la logistique (les hommes et les chevaux étaient reposés et nourris), la surprise (détachement de Magon) et la « légèreté et imprudence » des chefs romains. Laissons la place à Tite-Live. Entre les deux armées coulait un ruisseau, renfermé, de toutes parts, dans des rives profondes et couvertes d’herbes marécageuses, de buissons, de broussailles, comme le sont d’ordinaire tous les lieux incultes. On pouvait cacher même de la cavalerie dans cet endroit obscur: Hannibal s’en aperçut, après avoir lui-même reconnu le terrain: « Voilà quel sera ton poste, dit-il à Magon, son frère: choisis dans l’armée cent cavaliers, cent fantassins, et viens avec eux me joindre à la première veille. Il faut maintenant prendre de la nourriture et du repos. »

En juin 217 av JC, Hannibal choisit les bords du lac de Trasimène pour combattre Flaminius. Il prend le temps de tendre une embuscade à son ennemi, réputé pour ses actions précipitées et son orgueil.

Il prend le temps de reconnaître le terrain et de se renseigner sur :

  • « les projets et l’état d’esprit du consul » (selon Polybe, ce doit être la principale étude d’un général d’armée),

  • « les ressources pour s’approvisionner facilement, la nature du pays et ses routes » (renseignement logistique),

  • « tous autres renseignements utiles, furent, pour lui, l’objet de l’enquête la plus soigneuse ».

A l’inverse, les Romains n’assurent pas le minimum de sûreté que requiert leur cantonnement près du Lac. Une action de déception, la météo et le courage des combattants firent le reste pour les Carthagéniens, comme l’indique Tite-Live : Hannibal fait subir au territoire situé entre Cortone et le lac Trasimène tous les fléaux et les ravages de la guerre, pour exciter davantage l’ennemi à venger, dans sa colère, les outrages infligés à ses alliés. Il était déjà parvenu à un endroit fait pour une embuscade, […].

La bataille de Cannes (août 216 av JC) aurait pu être décisive : la victoire est totale pour Hannibal et le désarroi des Romains entier. Cet immense succès tactique ne fut pourtant jamais transformé en succès stratégique. Hannibal aurait pu exploiter sa victore en s’emparant de Rome. Mais, il déclare après la bataille que ce n’est pas « une guerre à mort qu’il fait aux Romains; c’est pour l’honneur et l’empire qu’il lutte ». A l’inverse, les Romains menaient une guerre totale qu’ils ont finalement gagnée ! « Guerre limitée pour un belligérant contre guerre totale pour l’autre» un grand classique… Laissons place à la bataille : « Tandis qu’on perd le temps en disputes plus qu’en délibérations, Hannibal, ramenant des lignes, qu’il avait tenues jusqu’à une heure avancée du jour, toutes ses troupes au camp, sauf les Numides, envoie ceux-ci attaquer au-delà du fleuve les Romains qui vont à l’eau. Cette troupe en désordre, les Numides, à peine après, avoir pris pied sur le bord, la mettent en fuite par leurs cris et leur attaque tumultueuse; puis ils se laissent emporter jusqu’à un poste situé en avant du retranchement, et jusqu’aux portes mêmes du camp. » 

En définitive

Ces deux affrontements montrent que le contrôle politique n’a cessé d’être présent. Si une bonne tactique permettait la victoire militaire ponctuelle, un enchaînement de victoires militaires n’entraînait pas forcément la victoire politique. Ils montrent également que la solidité des alliances est primordiale en dehors du champ de bataille et nous livrent des axes de réflexions dans la guerre et sur les buts de la guerre. En outre, dans ces combats pour la suprématie, seule la bonne combinaison des actions maritimes et terrestres permet une victoire un peu durable. Enfin, la lecture des deux ouvrages suivants permet de se faire une idée personnelle sur ces affrontements entre nations fondées sur des organisations militaires et politiques différentes : l’Histoire de Rome depuis sa fondation de Tite-Live et La guerre du Péloponnèse de Thucydide.

S.D., Lignes Stratégiques

La Bibliotheca Classica Selecta de l’Université Catholique de Louvain (http://bcs.fltr.ucl.ac.be/) met à disposition des internautes des textes de l’antiquité dont l’Histoire de Rome depuis sa fondation (Ab Vrbe condita libri) de Tite-Live (http://bcs.fltr.ucl.ac.be/LIV/ ). Les livres XXI à XXX décrivent la deuxième guerre punique.  L’Histoire de la guerre du Péloponnèse peut être découverte en ligne. ]]>

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