Au gré de mes expériences professionnelles et mes observations, j’ai été amené à relever combien certaines directions d’entreprises peinaient à comprendre les générations du numérique. Allant parfois jusqu’à les brider ou les faire fuir à plus ou moins longue échéance.
Seulement ces qualités se révèlent restreintes, voire tout simplement étouffées, dès lors qu’une direction entend les faire entrer au chausse-pied dans un cadre rigide et inadapté. Provoquant ce faisant une démotivation pour le personnel recruté et une perte de valeur pour l’entreprise. Quoi de plus improductif qu’un cadre compacté dans un environnement inadéquat? Or si les anciennes générations acceptaient sans mot dire (ou maudire) leur espace et outils de travail, les nouvelles sont bien plus rétives à cette imposition unilatérale. Une planche, deux trétaux, une chaise avec deux collègues à gauche et deux autres à droite ne donnent plus envie à ces nouveaux employés.
Or, repenser l’espace de façon plus intelligente et plus accueillante sans perte de superficie est désormais une activité lucrative dans laquelle se sont engouffrées les sociétés spécialisées dans le coworking. Loin des emplacements très rustiques du début, désormais il s’agit d’une phénomène qui prend de l’ampleur depuis plusieurs années, et qui, pour séduire entend bouleverser les règles et codes d’entreprise, et épouse en cela l’air du temps et les attentes de toute une génération au travail.
Cosy, trendy ou arty, l’espace de travail se réinvente mais plus encore, épouse totalement les besoins temporels des entreprises modernes qui ont compris que le présentéisme n’était aucunement gage de productivité. Le coworking répond à cette demande puisqu’il est désormais possible de louer à l’heure, à la journée, à la semaine, au mois et à l’année. Pour une entreprise en pleine phase de croissance, cette réponse structurelle est idéale. Pour quelle raison? Parce que la nouvelle génération est liée aux technologies de l’information et de la communication, et non pas uniquement dans les activités tertiaires, et qu’elle fait corps avec elles d’où une distorsion du temps et de l’espace.
Croire que l’on peut tirer le meilleur du personnel en appliquant des méthodes d’un autre siècle c’est le plus sûr et rapide chemin pour aboutir à un gâchis du potentiel humain à disposition.
Inspiré par l’architecture carcérale du philosophe du XIXe siècle Jeremy Bentham permettant au gardien de voir tout le monde sans être vu, le bureau panoptique produit ce même climat intériorisé de scrutation permanente. Se lever pour aller faire pipi vous donne alors le sentiment de contrevenir à la loi du groupe, masse immobile et censément affairée dont le silence pesant laisse supposer qu’elle n’en pense pas moins.
- autonomie renforcée de l’employé et gain de confiance pour ce dernier jugé apte à évoluer sans « fil à la patte »
- cadre de travail choisi par l’employé dont l’acceptation favorise l’adhésion au projet entrepreneurial
- possibilité de rafraîchir l’esprit en lieu et place de le confiner en un seul endroit
- moindre coût en charges pour l’entreprise (eau, électricité et même locaux)
- plus grande facilité pour ventiler les effectifs
Du reste, comme l’exprimait si bien Philippe Silberzahn au sein d’un article consacré à la disparition de la capacité créative comme cause du déclin des organisations, lorsqu’une société s’enferme elle-même dans une conformité croissante aux standards institutionnels, la capacité créative laisse la place à une politique de calibrations et de mesures conduisant inexorablement, cela peut prendre plusieurs décennies comme General Motors ou Kodak, vers l’effacement et la disparition à terme. En somme et comme l’explique en exergue le professeur, une civilisation croît lorsque son élite suscite l’adhésion interne et externe grâce à sa capacité créative. Elle cesse de croître lorsqu’une cassure se produit et que cette élite cesse d’être créative et se transforme peu à peu en minorité dominante fonctionnant sur une logique de contrôle. En somme, lorsque l’entreprise entreprend, entre autres et non exclusivement, par l’espace de travail de formater ses employés, donc ses ressources vives, elle amorce le début inexorable de son déclin par une telle stratégie.