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Elon Musk : diffuseur d'air, d'espace et de publicité mensongère - EchoЯadar

Lors d’une spectaculaire keynote au Congrès Astronautique d’Adélaïde (Australie), le sémillant Elon Musk a présenté ses projets spatiaux : une base sur la Lune, un vol habité vers Mars en 2024, la production imminente de sa nouvelle fusée Big Falcon Rocket destinée au transport Terre-Lune/Mars… et au vol commercial à très grande vitesse autour de notre planète bleue. 

Selon le patron de SpaceX, la Big F…g Rocket (BFR) reliera les métropoles mondiales en moins d’une heure et transportera une centaine de passagers, pour le même prix qu’un vol en classe économique.

Qui n’a pas rêvé d’un vol suborbital Paris-New York ou Shangaï-Londres en 30 minutes plutôt que d’un voyage de 8-10 heures à bord d’un ennuyeux Airbus/Boeing ? Désormais, ce fantasme n’est plus réservé à l’huile de Wall Street devant assister à son conseil d’administration au-delà des mers, ni à la richissime bimbo pressée de chiner outre-Atlantique avec ses copines de trente ans…

Dans cette vidéo promotionnelle digne d’un Philip K. Dick ou d’un Ridley Scott, les passagers sont transportés par une vedette maritime vers une plateforme off-shore de lancement, puis prennent place dans la capsule spatiale (volume habitable : 825 mètres cube) au sommet de la Big Falcon Rocket. Le lanceur s’élève et quitte l’atmosphère terrestre telle une fusée classique ou un missile balistique, et se sépare de son booster réutilisable (qui atterrira quelques minutes plus tard sur son pas de tir/réapprovisionnement). La capsule poursuit son vol intercontinental, pivote pour freiner avec ses moteurs-fusées, et atterrit en douceur à son point destination.

Pas de désarmement des toboggans, ni de vérification de la porte opposée. Depuis septembre 2017, tout cela relève de la préhistoire. Vive Space X ! Longue vie à Elon Musk ! Date du vol inaugural ? No lo sé, Señor !

Vapeurs aériennes et fumées spatiales

À ce jour, le calendrier de SpaceX indique un lanceur lourd Falcon Heavy (charge utile: 63 tonnes en orbite basse, 26 tonnes en orbite géostationnaire) en phase finale de développement, avec un premier vol d’essai planifié pour novembre 2017. Entre les longues sessions de tests, de validations, de pré-productions et d’exploitations commerciales (ravitaillement de la Station Spatiale Internationale, mise en orbite de satellites de la NASA, de l’US Air Force et d’autres clients), la Firme gagnerait à éprouver et rentabiliser son cargo spatial sur la durée, au point de concurrencer les lanceurs Ariane (Europe) et Soyouz (Russie).

N’est-ce pas prématuré de vanter les mérites d’un lanceur plus lourd – en l’occurrence la Big Falcon Rocket (charge utile: 150 tonnes en orbite basse) – dont la production ne démarre qu’en mi-2018 ? N’est-ce pas indécent de prétendre au transport de passagers en étant dépourvu de la moindre expérience des vols habités (à très haute altitude ou en orbite basse) ?

Le prix du billet annoncé par Elon Musk laisse également songeur car il présuppose un modèle économique et technologique comparable à celui des jets commerciaux. Il n’en sera rien.

L’industrie du transport aérien casse les prix parce qu’elle éprouve son modèle économique et technologique depuis les années 50, et bénéficie des effets d’échelle et de réseau induits par les fréquences élevées des vols aller-retour sur plusieurs continents, et par les correspondances et les alliances entre compagnies aériennes. Aujourd’hui, la quasi-totalité des grandes et moyennes villes d’Europe, d’Asie, du Moyen-Orient et d’Amérique ont des aéroports en activité constante, l’immense majorité des pays pauvres ont leurs compagnies aériennes, et presque toutes les capitales de la planète sont desservies par les alliances Skyteam, Oneworld et Star Alliance.

Ainsi, une poignée de compagnies aériennes desservent la ligne Paris-Douala/Yaoundé, et plusieurs dizaines font de même sur les lignes Genève-New York et Johannesburg-Londres en cette seule journée.

Quelles seront les fréquences des vols suborbitaux SpaceX/BFR sur des lignes intercontinentales très demandées telles que Londres-New York, Paris-Dubaï ou Shangaï-Los Angeles ? Comment tenir les coûts dans l’univers impitoyable de l’aviation commerciale où les plus rentables l’emportent rapidement sur les plus audacieux ou les plus innovants ? Elon Musk aurait-il oublié qu’une fusée réutilisable n’est guère fiable au-delà d’une centaine de vols tandis qu’un B-737 ou un A-340 demeure fiable après plus de 10 000 vols ?

Pour peu que le super-PDG révise ses classiques en aéronautique, il (re)découvrira la fabuleuse histoire du Concorde. Cette merveille supersonique, exclusivement française et britannique, consommait trois à quatre fois plus de carburant qu’un B-747 ou un A-380 sur le trajet Paris-New York… pour un billet aller-retour facturé à l’époque à 53 553 francs soit 8164 euros / 7513 dollars !

Houston, nous avons un p… de problème !

Entre publicité et science-fiction, la vidéo de SpaceX ne fait aucun cas de la logistique lourde et complexe d’un lanceur (consommable ou réutilisable) et des équipements afférents (maintenance, approvisionnement) sur le pas de tir. Après tout, il s’agit de séduire, pas de convaincre ni d’expliquer, n’est-ce pas ?

Les métropoles reliées par les vols SpaceX/BFR seraient tenues de subventionner, de construire et/ou d’entretenir des plateformes offshore de décollage/atterrissage exclusivement dédiées à la BFR, et censées supporter la pression et la chaleur générées par l’allumage des boosters.

À l’ère de la piraterie et du terrorisme pour tous, comment garantir la sécurité de ces installations à proximité des environnements urbains et des littoraux ? Paris, Londres, Berlin, Montréal et Johannesburg, villes plus ou moins éloignées du large, devront-elles verser quelques pots-de-vin afin de figurer sur la toile du Grand Sachem des Airs et de L’Espace ?

Qu’en sera-t-il de la sécurité aérienne dans un ciel saturé de jets commerciaux et, dans un futur conditionnel, de drones à basse ou moyenne altitude ? Faudra-t-il réinventer le contrôle aérien (et spatial) afin de surveiller étroitement les trajectoires des BFR ? Compte tenu de la forte sensibilité des lanceurs spatiaux aux conditions météorologiques, comment assurer la régularité et la ponctualité des vols suborbitaux ?

Les fonctionnaires et les cadres des organismes de sécurité aérienne (Eurocontrol, DGAC, FAA, NTSB, etc) ont sûrement pouffé de rire en regardant le show multimédia de Big F…g Musk

Risques et crises à gogo

Peut-on soumettre des voyageurs lambda aux mêmes risques que des astronautes professionnels ?

Les passagers des vols SpaceX/BFR devront se munir d’assurances voyage et d’assurances-vies hautement avantageuses car ils seront assis au-dessus de plusieurs tonnes d’oxygène et de méthane prêtes à exploser au moindre pépin.

Il n’est guère nécessaire d’être un expert en aérospatiale pour constater que le décollage d’une fusée relève peu ou prou d’une explosion contrôlée, suivi d’un vol jalonné d’incertitudes dévastatrices. En effet, l’histoire de la conquête spatiale ne manque point de véhicules pulvérisés et/ou d’équipages carbonisés à cause d’un joint défectueux, d’un bogue électronique/mécanique, ou d’un bouclier thermique en décomposition lors du retour dans l’atmosphère. SpaceX l’a constaté à plusieurs reprises en testant ses fusées Falcon…

À moins d’être aussi durement formés aux manœuvres aériennes/spatiales que Buck Danny et Dan Cooper, les voyageurs devront faire une croix sur le confort et la sérénité.

Après l’embarquement, ils seront harnachés comme de véritables astronautes à leurs sièges, les yeux vers le haut et le dos à l’horizontale, et devront patienter quelques minutes (ou quelques heures ?) en attendant le décollage. Ils basculeront à nouveau dans cette position à l’atterrissage et dans l’attente de leur débarquement.

De quoi éprouver une profonde nostalgie pour la ceinture de sécurité de leur dernier vol Air France ou Emirates…

Au fait, les passagers des vols SpaceX/BFR auront-ils droit à un bagage en cabine ? À des boissons et à des amuse-gueules ? À l’usage du smartphone ou de la tablette ? Au Wi-fi ?

Dans les phases de décollage et de descente, ils encaisseront 2 à 3G et seront écrasés par leurs propres poids (multipliés par 2 ou 3), subiront la gravité zéro et se sentiront aussi flottants que des méduses en eaux profondes dans la phase parabolique; tout cela en une demi-heure. Nausées, vomissements et évanouissements pour les plus solides, malaises respiratoires ou cardiovasculaires et paradis céleste pour les plus fragiles. À quel prix (en euros/dollars) ?

Après l’atterrissage, les uns seront pris en charge par des équipes médicales, les autres par des médecins légistes. SpaceX devra prévoir un énorme convoi d’ambulances, des bodybags… et des gestionnaires de crises particulièrement doués pour ses comités d’accueil.

Dans sa présentation, Monsieur Tesla Motors a affirmé que les sensations seraient comparables à celles vécues dans un parc d’attractions. En bref, cramez votre temps libre dans les fêtes foraines et obtenez votre certificat médical pour le vol suborbital. Et pourquoi pas un cours en ligne prodigué par la Firme ?

Et si une centaine de passagers grillaient au décollage ou à l’atterrissage d’une BFR ? Quel taux de perte en vols suborbitaux (corps et biens) SpaceX pourra-t-elle endurer ? Sera-t-elle âprement préparée aux procès intentés par les familles des défunts, aux faramineux versements de dommages & intérêts et au plongeon de sa capitalisation boursière ?

En quelques mots, Elon Musk compte-t-il offrir un Hindenburg aérospatial sur Youtube/Facebook Live ?

Arnaques, primes et aéronautique

Fort de son indéniable charisme et de ses fracassants succès entre les algorithmes et la terre ferme (Paypal, Tesla Motors, Neuralink, etc), le super-PDG s’est probablement forgé un pouvoir hypnotique et semble convaincre ses actionnaires de la pertinence et de la viabilité des ses ambitions suborbitales… à moins que son conseil d’administration joue aussi le jeu : celui d’un storytelling ou d’un coup médiatique ciblant les capital-risqueurs (business angels, venture capitalists) de tout poil.

Si ça marche pour l’Hyperloop, l’autre onéreux et improbable joujou d’Elon Musk, pourquoi pas pour la Big Falcon Rocket ?

Un malheur ne venant jamais seul, les orgasmes de la presse technologique autour de SpaceX/BFR consolident de nombreux doutes sur la culture scientifique et sur le bon sens minimal d’une myriade de journalistes… spécialisés ?

En réalité, « Tony Stark 2.0 » a parfaitement compris que le charisme et l’hypnose peuvent vendre tout et surtout n’importe quoi. Pourquoi s’en priver ?

Charles Bwele, Electrosphere

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