Certaines régions du monde et en particulier l’Europe sont soumises à un vieillissement de la population, qui se traduit au mieux par une augmentation de l’âge moyen de la population suite au recul de la mortalité annuelle – augmentation de l’espérance de vie – mais le plus souvent par une baisse simultanée de la natalité. Malgré des politiques favorisant une immigration de personnes jeunes pour compenser le déficit de naissances par rapport au renouvellement de la population, cette tendance semble inéluctable. En Allemagne, en 2016, le solde naturel est de – 150 000 personnes pour + 200 000 pour la France à la même période. Pour autant peut-on en déduire que la France est ou même sera plus puissante que l’Allemagne ? Non. Cependant, la stratégie implique de se poser la question du rapport de la démographie et de la puissance. Loin de vouloir être exhaustif, ce billet vise à faire réfléchir sur quelques questions simples.
La nombre est une qualité en soi ?
Si l’on prend en compte une logique malthusienne, la réponse est évidente. Un surplus de population est vue comme un handicap certain. Cette doctrine politique tirée des travaux du britannique Thomas Malthus (1766-1834) prône la restriction ou la limitation de la population, les ressources disponibles étant limitées. A cette doctrine, s’opposent des doctrines liées à la croissance, comme celles d’Alfred Sauvy, qui considèrent qu’une société qui refuse d’avoir des enfants, donc de préparer l’avenir, perd peu à peu son rang. Le débat existe toujours et ce billet ne vise pas à se positionner par rapport à ces deux doctrines opposées. Dans un monde où les ressources apparaissent comme limitées, le malthusianisme est une évidence mais force est de constater que ce que nous appelons ressources, notamment stratégiques, évolue. Si les silex constituaient manifestement une ressource importante à l’âge de pierre, ils n’en constituent plus une. De même, le pétrole ou l’uranium le seront-ils dans cent ou deux cents ans alors qu’à l’âge de pierre leur utilisation était vraisemblablement plus qu’anecdotique ?
On peut considérer que ces deux doctrines – modèles plus exactement – s’appliquent selon que l’on est dans une société technologiquement stable et fermée ou dans une société en pleine évolution et ouverte.
Développement durable et croissance de la population ?
Ainsi, on peut considérer que les ressources de la planète sont sur-utilisées par l’homme mais aussi que les ressources qui s’épuisent seront supplantées par d’autres plus pérennes. Dans ce dernier cas de figure, l’augmentation de la population n’est pas un mal en soi si elle n’est pas plus rapide que les changements de techniques qui permettent de la supporter. Si l’évolution technique n’est pas au rendez-vous, les conséquences observées par le passé sont peu réjouissantes : guerres civiles ou extérieures pour l’accès aux ressources, famines, pandémies… Un développement n’est durable (concept issu du rapport Brundtland 1987) que s’il concilie des impératifs économiques, sociaux et écologiques. A technologie stable, cela signifie limiter la population mais à technologie évoluant, cela permet d’envisager un accroissement démographique, la jeunesse portant de nouveaux projets faisant évoluer cette dynamique.
En définitive, le rapport de la démographie aux ressources est toujours relatif aux technologies locales, une planète de chasseurs – cueilleurs ne pouvant soutenir guère plus qu’environ une dizaine de millions d’individus, pour dix fois plus après la révolution agricole du néolithique. Et presque cent fois plus avec la révolution industrielle de l’époque contemporaine. Qu’en sera-t-il à l’époque numérique ?
Le nombre à l’âge numérique
Depuis le début de l’ère numérique – que l’on peut faire débuter lors de la Seconde guerre mondiale – la question de la population capable de soutenir cet effort de développement se pose. La réponse fut quantitative jusqu’à la diffusion des compatibles PC dans les années 1980. Il s’agissait de disposer de chercheurs de haut niveau mais surtout de techniciens supérieurs performants capables de faire fonctionner ces systèmes complexes. La démocratisation vient en deux grandes vagues, avec un équipement en PC dans presque tous les foyers développés et le développement de la téléphonie mobile reliée à Internet. Les applications numériques foisonnent, le nombre de hackers semble se développer, et les besoins liés à l’informatique changent la société. Les « bataillons d’ouvriers » de l’ère industrielle doivent être remplacés par de nouveaux bataillons de jeunes ouvriers du numérique qui ressemblent beaucoup aux employés du tertiaire de l’ancien monde. Ce paradigme actuel sera-t-il battu en brèche par le développement de l’intelligence artificielle et la robotique ? C’est probable mais pas certain, l’humanité pouvant se concentrer sur le développement d’autres activités une nouvelle fois dégagée des tâches les plus fastidieuses de son époque ?
Conclusion : la vieillesse des nations ?
Au-delà du bienfait individuel lié à l’augmentation presque générale de l’espérance de vie à la naissance et au cours de la vie, le vieillissement d’une population est stratégiquement délétère si cela se traduit par une éviction de la jeunesse des grands choix de société et de la possession de richesses. La jeunesse est indubitablement une qualité pour l’avenir d’une nation quels que soient les pays. Cela ne veut pas dire que les autres adultes n’ont pas leur rôle à jouer dans le développement stratégique d’un pays. Néanmoins, le surplus de population doit être maîtrisé pour éviter de mettre sa jeunesse sur des routes migratoires incertaines ou des champs de bataille. Chaque génération doit donc jouer son rôle dans le changement du monde et dans la construction d’un nouveau monde, si possible meilleur que l’ancien, ce qui reste un enjeu sans cesse renouvelé. Le progrès est peut-être à ce prix.
S.D., Lignes stratégiques
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