An 1 après Pesquet
Un rapide tour des médias français ce mercredi laissait pour le moins songeur. La France semble alors réellement découvrir la nouvelle. France 2 dans son JT de midi s’accorde bien 10 secondes entre deux reportages sur la neige pour évoquer le lancement, quand sur les très respectables France Inter (Par Jupiter) et Arte (28 minutes), on est surpris et on s’interroge sur le bien fondé de tout cela. Ici, la nouvelle est traitée sous l’angle du coup de pub pour les voitures électriques Tesla, délire d’un milliardaire dont la puissance commence à inquiéter. Pour preuve il pollue l’espace (je n’exagère pas, confusion est faite avec la problématique des débris dans l’orbite terrestre) !
Falcon Heavy est pourtant une affaire sérieuse. Toute cette aventure est une affaire sérieuse. Aussi rutilante soit-elle, la Tesla décapotable est une charge utile mettant à l’épreuve le lanceur, une charge qui était « sacrifiable » en cas d’avarie sur ce vol inaugural. Même la combinaison de Starman, made in SpaceX, recueille de la donnée pour le futur.
En lui-même, Falcon Heavy inaugure une nouvelle ère pour SpaceX, avec un prix catalogue affiché à 90 millions de dollars, c’est à dire au vu des performances largement en deçà de toute concurrence. En vérité, Falcon Heavy est déjà sur-dimensionné pour un marché commercial où les satellites vont rétrécir, et sous-dimensionné pour les vols habités vers Mars, prévus par les USA et SpaceX. Ceci dit, Falcon Heavy devrait être utile dans les plans américains, et probablement internationaux, de retour sur la Lune vers 2025.
Il est de plus une avancée vers la très fameuse BFR, la « Big Fucking Rocket » qui emmènera – en théorie – des hommes, au moins sur la Lune, puis sur Mars.
Ma question est ici la suivante: l’espace serait-il redevenu cette lubie de chercheurs et d’ingénieurs cloîtrés dans leur labo du CNES ou de l’ONERA, ou pire, de nerds passionnés de SF, pourqu’on ne prenne pas la mesure des avancées récentes ?
Il y a un an pourtant, alors que Thomas Pesquet était notre ambassadeur dans la station spatiale internationale, passant un temps indécent au service des médias généralistes et d’actions de communication de l’Agence Spatiale Européenne, le sujet semblait tout à fait « bankable ».
Tout comme l’ESA avait réussi un formidable coup double, scientifique et médiatique, avec Rosetta en 2016, sonde qui avait réussi à déposer sur la comète Tchouri le petit robot Philae, dans l’enthousiasme général.
Certes mais là… il neige. Et puis c’est américain. Et l’initiative d’un excentrique milliardaire.
Bien évidemment (/bien heureusement !), la presse spécialisée aérospatiale française, et même la presse écrite en général, font elles le constat qui s’impose. Musk et SpaceX semblent inarrêtables, tout comme toute l’industrie américaine du New Space. Un cap est passé, l’Amérique a retrouvé son esprit pionnier, et tout le monde de notre côté de l’Atlantique ne semble pas le réaliser.
Que l’on se rassure toutefois, on constatera que l’ESA, qui dans la pop-culture bénéficie d’une aura tout à fait respectable (du cinéma à Netflix en passant par le jeu-vidéo), est tout aussi capable de jolis coups de pub tout à fait inutiles, comme cette « soirée » avec DJ en apesanteur à bord de l’Airbus ZeroG de NoveSpace mercredi 7 février.
« DON’T PANIC »
Passons sur ma mauvaise foi et ces turpitudes médiatiques bien peu surprenantes au final. Venons-en au cœur du problème, plus profond. Y aurait-il une difficulté en France ou Europe, tant intellectuelle que structurelle à voir dans l’espace autre chose qu’un marché du satellite ?
Certes, les européens, Français en tête, sont brillants dans tout ce qui relève du spatial, et dans tant de domaines fondamentaux, comme l’astrophysique (par exemple la découverte d’exoplanètes), la biologie (spatial et santé font bon ménage), ou même l’exploration. L’Europe, tous programmes confondus, est à l’initiative de milliers d’expériences chaque années, avec des résultats probants.
Il y a évidemment un « mais ». Ces programmes sont essentiellement publics, et on ne peut s’empêcher de penser que l’Europe est totalement dépassée par ce que l’on appelle donc le « New Space », que l’on pourrait définir par l’émergence de l’industrie spatiale privée.
Le journaliste Vincent Lamigeon l’écrivait justement il y a quelques jours dans un article pour Challenges, la France est tout simplement sur le point de perdre la bataille pour le « New Space ».
Nous nous focalisons sur des enjeux stratégiques souverains, regardant avec anxiété des programmes Chinois (le quantique par exemple) ou des pays émergents, mais les start-up spatiales californiennes ont été systématiquement sous-estimées par nos décideurs, SpaceX la première.
Cela est valable pour l’aérospatial comme pour la défense d’ailleurs, les grands programmes d’ampleur nationale ou multinationale ont tendance à nous voiler la face, tout en confortant nos champions industriels.
L’article de Challenges met l’accent sur une remarque très pertinente:
« Si tous ces projets (du New Space californien) sont techniquement impressionnants, aucun ne semble hors de portée des savoir-faire technologiques français. Lancer des fusées depuis un avion, comme va le faire Virgin Orbit avec son 747 ? La solution avait été étudiée par Dassault et le CNES dans les années 2000, avec un projet de lanceur embarqué sur Rafale, et ne semblait pas poser de défi technique insurmontable. Miniaturiser les satellites, comme Planet ? Les étudiants de Polytechnique et de l’école des Mines ont montré qu’ils maîtrisaient le domaine, avec leur CubeSats X-Cubesat et Spacecube. Développer des fusées low-cost comme Vector et Rocket Lab ? On voit mal ce qui empêcherait quelques ingénieurs français de créer un lanceur comparable, au pays d’ArianeGroup et de la direction des lanceurs du CNES. »
C’est vrai, qui connait l’existence de ce projet MLA de Dassault Aviation, vieux de plusieurs années déjà ? Un Rafale serait ainsi capable de lancer un micro satellite de 75 Kg ou 150 kg en orbite basse ou héliosynchrone.
Pourtant issus de grands groupes, nombres de projets innovants ne voient pas le jour, c’est le lot de bien des projets industriels. Car il est un point sur lequel on ne peut pas vraiment lutter, c’est la puissance de la R&D américaine, capable d’expérimenter dans toutes les voies.
Certains vous répondront: « oui mais nous faisons du business », la compétitivité avant tout ! Néanmoins, même notre fer de lance, Ariane, champion toute catégorie du lancement de satellites commerciaux et de la fiabilité (la preuve, même quand son lancement raté n’entrave pas la réussite de sa mission), ne sera pas épargné. Le Falcon 9 de SpaceX est aujourd’hui capable de lancer tous les satellites. En 2017, il envoyait près de 117 tonnes de charge utile, soit deux fois plus qu’Ariane et ses 59 tonnes, selon les chiffres de la Federal Aviation Administration. Tout cela bien entendu, à un prix ultra compétitif, soit 61 millions de dollars le lancement, contre 92 millions en moyenne pour la concurrence mondiale.
Ariane 6, prévu pour 2020, doit venir résoudre divers problèmes de compétitivité, même si la confiance vient à vaciller, même à très haut niveau. En novembre dernier, Bruno Lemaire, ministre de l’Economie, lâchait même:
« Je suis inquiet parce que je regarde les évolutions technologiques. Simplement si on met les chiffres en face, a expliqué le ministre de l’Economie : un lancement d’Ariane 5 c’est 100 millions d’euros à chaque lancement. L’objectif pour Ariane 6 c’est d’arriver à 50-60 millions d’euros le lancement. SpaceX c’est aujourd’hui 50 millions le lancement et sera d’ici deux, trois ans parce que c’est un lanceur que l’on peut récupérer, ce sera 10 millions d’euros le lancement ( plutôt 35 millions), cinq fois moins cher qu’Ariane 6. (…) Je souhaite que l’on continue à investir dans l’innovation. Je souhaite que l’on réfléchisse à une stratégie en matière de lanceurs récupérables au niveau européen ».
La question, alarmiste, est posée: Ariane 6 est-il un pari viable ? Même les syndicats s’en émeuvent. La récupération par exemple, était un concept raillé chez nous, le reconditionnement étant jugé trop compliqué, et cher. Aujourd’hui, nous tentons de rattraper ce retard avec des solutions pour… 2025.
Certes, on vous rétorquera ici en France qu’il est facile pour SpaceX d’innover en vivant de contrats avec la NASA ou le DoD, mais l’entreprise a su se rendre indispensable, et est clairement en position de force. Pour l’anecdote, je me rappelle avoir vu de jeunes français porter un t-shirt SpaceX dans le métro parisien. #SoftPower
Chez les start-up, le mal n’est peut-être même pas européen, mais typiquement français. Par manque de moyens, d’accompagnement ou parfois – trop souvent même – simplement d’ambition, nos pépites restent vouées à se faire racheter par la concurrence étrangère. La France produit des ingénieurs d’élite, mais manque clairement de potentiels visionnaires. Les flux financiers sont aussi là, mais ils n’irriguent probablement pas les bonnes semences.