Comme une image prémonitoire, la vidéo de lancement de la Coupe du Monde 2018 par la FIFA affichait un joueur en joie juste au dessus du drapeau français.

Sans extrapoler davantage, la victoire des bleus a été l’achèvement d’une longue campagne débutée laborieusement le 6 septembre 2016 sur la pelouse du Borissov Arena au Bélarus par les finalistes de l’Euro 2016. Cette finale perdue quelques semaines auparavant fut considérée à ce titre comme un réel crève-coeur puisque le Portugal l’emporta sur une équipe généreuse, talentueuse mais encore trop tendre sur le plan tactique et l’efficacité de l’effort. La défaite agit néanmoins comme un accélérateur de maturité sur l’ensemble de l’équipe qui apprit de ses erreurs et canalisa sa fougue sous la houlette du sélectionneur-entraîneur.

J’avais à cet effet écrit voici plusieurs semaines sur mon fil twitter que trois caractéristiques déterminent la valeur d’une équipe de football : la technique – la tactique – le physique. Et que l’on verrait celle qui réunira au mieux les trois qualités à la fin de cette Coupe du Monde. Ce fut la France sans doute aucun qui a su conquérir le titre suprême en sachant optimiser chaque qualité selon les matchs. Car il était inutile d’être excellent dans un secteur au détriment des deux autres, tout était lié à un équilibre prenant en considération l’adversaire du jour au regard de ses propres forces.

Un homme – ou plutôt un tacticien – derrière cette victoire : Didier Deschamps. Défenseur de talent passé par le FC Nantes, les Girondins de Bordeaux, l’Olympique de Marseille mais aussi et surtout par la Juventus de Turin.

Cette expérience italienne au milieu des années 1990 fut décisive en ce sens que l’Italie était en cette période LE championnat par excellence où la bataille se faisait sur la pelouse certes mais aussi sur tableau noir blanchi de schémas sibyllins. De cette proximité avec le grand Marcelo Lippi [1], Deschamps en retira de prestigieux trophées à court terme et à long terme une connaissance hors pair de la gestion d’équipe en ses divers aspects.

Celle-la même qui se fit jour lors de cette campagne où il réussit à préserver ses joueurs de la fatigue, de la pression adverse, des fautes rédhibitoires, des gestes inconséquents et des médias, Il réussit à former une équipe [2] autour de ses valeurs et malgré leur jeune âge, à leur transmettre la tempérance et la persistance dans l’effort. L’entraîneur des bleus prit un risque calculé en se passant des services des « millionnaires », préférant un ensemble plus cohérent et harmonisé à une coalition d’égo.

Pour le reste, n’oublions pas l’excellent parcours de cette valeureuse équipe de Belgique qui termina troisième après un dernier baroud d’honneur contre l’Angleterre.

L’absence de l’Italie et des Pays Bas (dès les éliminatoires), de l’Espagne, l’Allemagne, le Portugal et encore l’Argentine (dès les 1/8èmes ou en phase de groupes) plaçait la compétition sous le signe de tous les possibles.

Et la Russie?

La Coupe du Monde a réconcilié le pays avec sa propre équipe de football. Si son passage durant l’Euro 2016 fut calamiteux (dernière place de son groupe), elle avait fort heureusement laissé un autre souvenir lors de l’édition 2008 où elle fut en mesure de battre l’ogre néerlandais, favori pour le titre, avant d’échouer en demi-finale contre l’Espagne, futur vainqueur de l’épreuve.

Pour « sa » propre Coupe du Monde, l’équipe russe, la Sbornaya, s’affaira à combler son manque de constance par de gros efforts sur les plans physique et tactique. Au point de se venger de l’Espagne en huitièmes de finale à la stupeur générale puis de passer à côté de la demi-finale face à une Croatie de grande classe.

Il est assez stupéfiant de constater que sur les 23 joueurs sélectionnés, seuls 2 évoluaient dans un championnat étranger.

L’engouement russe pour le football s’il n’est pas constant en raison de la concurrence du hockey sur glace et du basket-ball, n’en demeure pas moins réel. L’écrivain soviétique Maxime Gorki ne se désolait-il pas du spectacle offert par son ami compositeur Dmitri Chostakovitch se transformant en fan enragé (sic!) lors des rencontres du Zénit, son club fétiche [3]? Vladimir Nabokov était lui aussi un grand ami du ballon rond, et à l’instar d’Albert Camus, joua comme gardien. Citons encore Ossip Mandelstam ou Misha Brousilovski dans le registre des intellectuels russes adeptes de ce sport populaire. Qui plus est, la Fédération de Russie peut se targuer de posséder deux clubs vainqueurs de l’actuelle Ligue Europa et ex-coupe UEFA (l’un des deux trophées continentaux avec la Ligue des Champions) obtenue par le Zénit Saint Pétersbourg et le CSKA Moscou. En toute logique puisque dans les années 2000, des efforts conséquents ont été prodigués dans un souci de remise à niveau financier et infrastructurel du championnat russe pour séduire joueurs et entraîneurs étrangers de niveau : ainsi Éder joue au Lokomotiv de Moscou, Luiz Adriano au Spartak Moscou ou encore Branislav Ivanović au Zénit Saint Pétersbourg. Mais en tâchant de conserver une base de joueurs nationaux pour ne pas déséquilibrer l’armature de l’équipe nationale et favoriser les jeunes talents locaux [4].

Enfin, et de l’avis de tous ceux qui se rendirent sur place, supporteurs comme journalistes, l’organisation fut sans faille et malgré la venue de plusieurs centaines de milliers de spectateurs [5], aucun débordement ne fut constaté. Nombre de visiteurs furent enchantés par les sites accueillant la Coupe du Monde, laissant des témoignages enthousiastes et émouvants. De substantiels efforts furent déployés afin de fournir à cette épreuve des stades dignes d’une compétition internationale soit en les rénovant (Stade Loujniki) soit en les construisant (Stade Nijni Novgorod) mais aussi avec l’édification de tout un écosystème viable allant de navettes aériennes régulières à un service d’hôtellerie d’une qualité au niveau de cet évènement. Ce furent aussi l’aménagement de nouvelles infrastructures : l’on peut citer la station de métro Novokrestovski, bâtie afin de desservir le stade Krestovski de Saint-Pétersbourg. De même qu’un pont a également été édifié pour relier plus facilement l’île accueillant le stade précité au district de Primorski.

Si c’est bien une récompense que la Russie put décrocher au terme de cette épreuve, ce fut celle de l’organisation réussie d’un évènement de rang mondial. Après les Jeux Olympiques de Sotchi en 2014, puis les grand prix de Formule 1 (toujours à Sotchi) et désormais la Coupe du Monde de football, la Russie a prouvé qu’elle savait être un hôte chaleureux tout autant qu’efficace. Le président américain Donald Trump ne s’y est pas trompé puisqu’il a félicité son homologue russe lors d’une rencontre à Helsinki quelques jours après la conclusion de l’épreuve tant pour l’organisation sans faille que pour les bons résultats de la formation nationale, ce dernier lui offrant en retour le ballon officiel de l’épreuve.

Reste désormais à fonder une nouvelle génération de footballeurs à même de se lancer tels des spoutniks vers le cosmos du ballon rond.

 

[1] Marcelo Lippi ne fut pas qu’entraîneur de clubs italiens, il fut aussi placé à la tête de l’équipe nationale italienne qui, sous sa férule, remporta la Coupe du Monde de 2006 au détriment de… la France. Il est actuellement entraîneur de l’équipe nationale chinoise.

[2] Après le triste épisode sud-africain de Knysna où les joueurs refusèrent de jouer un match international en faisant grève : ce qui se traduisit par une crise majeure au sein du football français dont la nomination de Laurent Blanc puis de Didier Deschamps en tant que sélectionneurs fut le résultat le plus probant.

[3] La passion ira bien plus loin puisqu’elle poussa le célèbre compositeur à inviter chez lui toute l’équipe du Zénit. En outre, Chostakovitch réussit avec brio son certificat pour officier en tant qu’arbitre même s’il n’en endossa jamais le maillot. https://www.sofoot.com/dmitri-chostakovitch-et-le-ballet-des-masses-187240.html

[4] L’arrêt Bosman ne s’appliquant qu’aux États-membres de l’Union Européenne, la Russie peut limiter le nombre de joueurs étrangers à sa guise. Même si en théorie les accords de Corfou UE-Russie s’appliquent en la matière.

[5] Les chiffres font état de trois millions de visiteurs pour cette Coupe du Monde, soit deux fois plus que lors des Jeux Olympiques de Sotchi.

Crédit photo : FIFA TV
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